Jean et les
autres
Certains Madelinots demeurent
aux Îles en permanence et c’est bien ainsi. L’horizon immense, la mer
éternellement généreuse, vaste, et colorée, les baies tranquilles et les buttes
aux rondeurs de vagues en dormance leur suffit. Et puis, il y a les autres,
ceux qui quittent les Îles pour toutes sortes de bonnes raisons afin de voir au
delà de cet horizon inconnu. Issus d’un peuple dont on n’a jamais souhaité délimiter
les frontières, même qu’on a voulu nier son existence, ils partent avec dans
leur sac-à-dos, leurs Îles, leurs paysages, leurs amitiés, leur cœur à la fois
heureux de découvrir et triste de partir.
Jean Lapierre était un de
ceux-là. Ancien président des étudiants de la polyvalente des Îles et premier
meneur d’une grève estudiantine, le jeune de l’époque avait déjà de la graine
de politicien et tout autant de chroniqueur. Ces choses là ne s’apprennent pas,
on nait avec. Alors, il est parti avec dans son sac à dos, ses Îles, ses
amitiés et surtout ses valeurs. La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre comme
on dit. C’est ainsi qu’après des études en droit, des politiciens habiles ont
bien décelé son talent. Hélas, ils ne connaissaient pas pour autant son
entêtement de Madelinot et d’Acadien. Jean Lapierre avait une vision
personnelle d’un pays et malgré un détour de l’histoire, il est demeuré fidèle
à lui-même, assumant toutes les conséquences de ses choix, d’où fait rare en
politique, l’admiration que lui a voué confrères et adversaires parlementaires.
L’on peut ajouter que même dans sa gestuelle, l’on sentait qu’il y avait des limites
qu’il ne fallait pas traverser, surtout quand il s’agissait de sa famille et
ensuite de «ses» Îles. S’il est une chose inexplicable pour le profane venant
de «la grande terre », c’est bien cette solidité de l’âme madelinienne bien
enracinée dans ce petit bout de terre ancré en plein milieu du golfe
Saint-Laurent. Le mouvement Madeli-aide ou le Mouvement social Madelinot n’en
sont que quelques exemples parmi tant d’autres moins connus. Le Madelinot ne se
définit pas par son adresse de résidence, pas plus que par la longueur de son
absence de la terre madelinienne, mais bien par le cœur et la mémoire de son
âme, qui eux, n’ont jamais quitté les Îles. Jean Lapierre était un de ceux-là.
…et
les autres
La fatalité qui de temps à
autre semble s’amuser des plus grands malheurs qu’elle nous garoche au gré de
ce qui nous semble venir de son humeur, n’en a que faire de notre peine. Alors,
pour nous, ceux qui demeurent, il nous reste le souvenir. Et de ce souvenir,
nous avons le devoir de ne pas oublier, mais de transmettre à chacun et chacune
d’entre nous et aux autres, les valeurs que nous ont laissé ces amitiés
disparues, ces personnalités fortes, ces guides lucides et souvent, ces
inventeurs de pays où la mer avec son horizon, demeure la seule vraie frontière
dont personne n’atteindra jamais la limite. Alors, dans le bateau des
souvenirs, il ne faut pas oublier d’y embarquer non seulement le meneur, mais
aussi ses frères, sa sœur, son épouse, sa mère, ses enfants et petits enfants,
les deux pilotes, leurs épouses et les orphelins qui n’ont jamais souhaité
vivre pareille tempête. Jean serait sans aucun doute le premier à approuver ce
geste. D’autres bâtisseur de mémoire sont partis avant Jean Lapierre. Il a
rejoint les autres, indépendamment de leurs couleurs politiques, de leur âge ou
de leur époque. Ils étaient tous Madelinots dans l’âme, bâtisseurs de pays et
pêcheurs de richesses qui ne s’achètent pas. Du haut de la timonerie céleste,
certainement qu’ils nous disent : Salut, salut!
GG