Pas même une année et trois planètes.
*La vie est un train qui ne
s’arrête à aucune gare… Yasmina Khadra.
Il pleut sur mes lunettes. Je
ne sais s’il s’agit de mes larmes ou de la bruine qui glisse sur le verre. Il
est rare qu’un roman me bouleverse autant. Pour dire la vérité, aucun ne me
vient à l’idée, mais cette fois, l’auteur a mis dans le mille.
Première
étoile
Depuis un peu moins d’une
année, j’ai l’impression d’avoir vécu sur trois étoiles. D’abord un départ pour
la ville. Appelons là, Rive-Sud, découverte d’un nouveau monde. Pistes
cyclables toutes droites, éoliennes comme des anges voulant saluer les nuages,
champs de maïs à perte de vue et chute abondante nourrissant toute une colonie
d’outardes attendant un hiver qui tarde d’arriver. Portant sur mes épaules le
poids de 16 années de travail ardu, l’hiver venant fut accueilli avec grand
soulagement. Lecture, peinture, dessins, croquis, patinage, expositions,
musique, rêveries et repos auront eu de quoi faire croire que la vraie vie,
c’est ça. Et d’ailleurs, pourquoi ne le serait-elle pas? à la condition que
tous les humains y aient accès bien sûr.
Tout n’étant pas parfait, un
sentiment d’impuissance devant un monde en décomposition sociale, politique et
humaine aura aussi occupé cet espace mémoire qui permet de ne pas rester
insensible aux autres. Ainsi, j’ai été témoin en tant qu'usager de la destruction de notre filet médical commun et observé
sans en trouver la réponse, la déconstruction ou la reconstruction de la
ville de Montréal.
Deuxième
étoile
Retour aux Îles de la
Madeleine en ce premier jour de juin. L’idée de retrouver des amis et aussi de
profiter d’un séjour où j’aurais pu réparer mon petit navire à voiles fut
plutôt décevante. Agréables rencontres pour les amis, mais un temps à ne pas
laisser coucher un chien, pitbull ou pas, dehors pendant 12 jours sur les 14
accessibles. On ne peut être heureux tout le temps et comme l’a dit
l’autre : « Il faut connaître
le malheur pour savoir que le bonheur existe. » Pluie et vent, pluie
et vent encore et encore. Vous essaierez ça, confinés dans un petit campeur de
10 pieds par 6 pieds de surface viable, encore que le mot viable demeure
douteux.
Bien sûr, toute médaille ayant son revers, la beauté sournoise des
Îles savait se montrer le bout du nez à travers les brumes matinales, le
silence entendu d’une pluie imminente retenant son souffle pour mieux tomber à
l’horizontale plutôt qu’à la verticale et la preuve que deux êtres qui s’aiment
peuvent survivre en un si petit espace ont bien valu les humeurs changeantes de
dame météo. Le jour où le soleil décida de percer les nuages, je suis allé
visiter ma famille. Ce fut l’occasion de tenir conversation avec eux, assis
dans l’herbe tout près de leur pierre tombale. Ils m’ont dit, ne pleure pas sur
nous. Tu sais que nous serons toujours avec toi où que tu sois. Puis, les
nuages sont revenus et je sentais ma mère toute proche qui me disais : « Pars d’ici, vole de tes propres
ailes. Le monde est vaste et va où je n’ai jamais pu aller. Je serai toujours
près de toi. Plus rien ne me retient, car le ciel est sans limites et les liens
terrestres qui me sont attribués sont uniquement les liens qui m’unissent à toi. »
Les pissenlits s’en donnaient à cœur joie sur le vert gazon et quelques jours plus tard, j’arrivais sur ma troisième étoile.
Troisième étoile
Elle s’appelle navire, bateau
ou même grande chaloupe si vous préférez vous en moquer un tout petit peu.
Beaucoup de monde habite ce navire et de sa rambarde, je regardais les Îles
disparaître dans le vent et la brume. Habituellement, on dit que le vent chasse
la brume, mais pas aux Îles, surtout en juin. Les deux se marient pour cacher
les beautés des collines, les couleurs des falaises et la transparence du
paysage. Juillet finira bien par avoir raison d’eux.
Il pleut sur mes lunettes. Je
viens de terminer la lecture d’un roman : « Ce que le jour doit à la nuit » de Yasmina Khadra.
Une histoire de rendez-vous manqués, d’amitiés écorchées par la guerre,
d’amours jamais assouvis. Le héros se demande si nous sommes la totalité de nos
expériences heureuses ou malheureuses accumulées tout au long de notre vie.
J’opte pour les choix que nous faisons parmi tout ce que la vie nous « garroche ».
Bien sûr, je pleure sur mes rendez-vous ratés, mais je peux aussi heureusement
me réjouir de ces rencontres assumées. J’avoue cependant que certaines
histoires viennent toucher une corde sensible sans que je puisse en identifier
la raison. Un de mes grands amis, Norbert Dufourneau, était un « pied noir »,
un Algérien dépossédé de son pays, un Français qui n’en était vraiment pas un,
un apatride dans l’âme, un Acadien en quelque sorte du siècle dernier. Son
histoire et tout ce qui touche les pays d’Afrique du Nord, la France,
Marseille, la méditerranée et les auteurs comme Camus, Saint-Exupéry et
quelques autres, réussissent toujours à toucher mon âme sans que je sache
pourquoi. Je n’ai jamais visité ces rives, ces déserts, ces villes, ces pays et
pourtant, chaque fois qu’un bouquin me transporte en ces régions, j’ai une
impression de déjà vu.
Se pourrait-il que la vie et la mort ne soient que des
passages, que la totalité de ce que nous sommes soit des bribes de vies, de
peines, de rendez-vous manqués qui continuent, de bonheurs perdus qui
s’imposent à nous à travers les yeux d’une personne, à travers les gestes d’un
enfant, à travers la main d’un ami surgi de nulle part?
Les hélices du navire brassent la mer pour mieux la
repousser sans jamais gagner sur elle. Les Îles sont loin, la brume est disparue et l’étrave du bateau trace un sillon comme le sillon de la vie.
L’avenir est devant, le passé en poupe et je suis là, juste au milieu.
Georges
Gaudet