vendredi 30 novembre 2018

Cinquième croisière

UNE CROISIÈRE À DEUX

Le matelot attendait sa belle sur le quai. Chaleur intense d’une ville mêlée à la chaleur de deux corps qui s’embrassent passionnément. Cette cinquième traversée, elle sera entièrement pour elle. Je la veux heureuse, pleine de découvertes, intime et remplie de surprises.

Je lui raconte des tas de choses, des contes de marins, des histoires empreintes d’embruns, de brumes célèbres et de naufrages historiques à lui faire peur. Je ne me rends même pas compte que la mer lui est presque étrangère et je défile histoires après histoires tous les trésors imaginaires de la piraterie des siècles passés. Nous finissons par en rire et la traversée se passera sur les vagues du bonheur, sur le blanc de ces vagues qui cassent sous leur poids et sur ces pas de danse qui épuisent le corps, mais rajeunissent l’âme. 

Une fois déposés sur le quai d’arrivée, l’appel de la mer se fera encore présent, mais un grand vent nous portera plus sur une route faite de dunes et de « butteraux ».

Le petit scooter surnommé «Snoppy »nous portera sur ses reins et les routes des Îles défileront avec splendeur tout au long de ces plages et rives au sable doré et aux galets argentés. Finalement, un lendemain moins venteux permettra aux voiles de notre joli trimaran en location de se gonfler avec douceur tout en laissant glisser sous ses trois coques, des filets d’eau en gouttelettes, trop pressées de disparaître dans les sillons créés par les lames des pontons en quête de vitesse. Le bonheur est total. 

Des amis d’enfance seront de la partie quand nous nous promènerons sur les quais. Maintenant vieux retraités se déguisant tout comme moi en « vieux loups-de-mer », nous échangerons avec plaisir notre savoir et surtout nos frasques d’adolescence, les pieds dans nos « bottes de rubber » la tête dans les nuages et le cul assis sur la lice d’un quai. 

Pourtant, soixante-neuf années viennent de s’écouler depuis ma naissance. Un peu comme le texte de cette chanson de Gabin, je regarde la terre et je ne sais toujours pas comment elle tourne. Et elle tourne pour moi depuis plus de 25,000 jours et je n’y comprends rien encore. Je reste songeur et je plonge dans les beaux yeux de ma douce. Ils me disent qu’à trop chercher, on risque de s’y perdre et qu’il vaut mieux s’accrocher à ce précieux sentiment qu’on appelle l’amour. On dit que c’est le seul coup du temps qui compte et j’ai envie de le suivre aveuglément, comme non-voyant qui fait confiance au bras qui le guide. 

Le jour du départ des Îles est arrivé. La sirène du navire se fait entendre et la cheminée crache sa noire fumée au rythme du démarrage des moteurs. « Snoopy »est remisé, le trimaran n’est plus et un vague sentiment de tristesse envahit mon être. C’est l’heure du départ vers une autre terre promise. 

Mon travail consiste à raconter des histoires aux passagers et j’aime ce travail. J’aime les inviter dans mon univers de vagues et de sel, de tempêtes et de grands calmes. J’aime leur présenter mon amour pour ce grand fleuve et je les invite au partage. Depuis quelques années, je traîne mon sac de marin rempli d’histoires, de naufrages, de tempêtes célèbres, de faits héroïques, de baleines perdues et de grands sauvetages. J’aime sortir ces voyageurs de leur univers de bitume, de cartes à poinçonner, d’heures de pointe, de cônes oranges et de folie matinale vers un ailleurs jamais satisfait. 

La mer me calme, la mer me console, la mer m’émerveille. Elle coule l’amour en mes veines et lui donne un air salin.
Ce soir, devant le hublot de mon écriture, ce n’est pas la lune qui danse en canots d’argents sur les flots qui m’émeut, mais un soleil qui saupoudre d’or les vagues dépassées par notre navire voguant à la vitesse des baleines noires. Encore une fois, Cap Desrosiers s’efface sur bâbord et nous voguons vers l’ouest, tout comme ces premiers navigateurs des temps anciens. Ma douce danse dans le salon des amusés et je me demande si tout ce bonheur qu’elle exprime est de moi ou de cette mer qui nous donne tant. Je suis heureux pour elle. C’est un exercice égoïste. Offrir le bonheur multiplie le bonheur de celui qui le donne. Je nous sais sur une autre planète, loin du bruit des marteaux-piqueurs, des klaxons, des sirènes de voitures, des chaleurs pesantes et des mauvaises nouvelles quotidiennes. Si le bonheur existe, il est ici, juste en bas de ces hublots, sur cette mer profonde soutenant de ses vagues caressantes, cette immense coque d’acier qui nous isole de la cruauté de ce monde.

Le soleil nous laisse encore quelques traces d’or sur la mer avant de se coucher derrière les montagnes de la Gaspésie. Cette Gaspésie si méconnue, si mystérieuse et si belle. Jamais satisfaits du bonheur présent et toujours en quête de nouvelles découvertes, je me prends à rêver d’un voyage aux pieds de ces montagnes majestueuses avec mon amour, tous les deux aux guidons d’un cheval mécanique et grugeant des kilomètres de route tout le long de ces imposants monuments de terre, de grès et de forêts plongeant dans le fleuve. 

GG

PS : Si dans votre entourage privé ou professionnel, vous êtes intéressé à ce que je vous présente ma conférence portant sur le fleuve Saint-Laurent, le tout accompagné d’un dialogue avec le public et supporté par des documents visuels, veuillez communiquer avec moi à l’adresse suivante   : georgesgaudet49@hotmail.com        


vendredi 23 novembre 2018

Quatrième croisière

Éveil matinal

Il est 5 h 30 du matin. Le bourdonnement du moteur berce encore mes cellules endormies et mon réveil sonne la danse du dérangement. Je sors de ma couchette. Pas de hublot dans ma chambre. Je ne sais pas s’il fait beau dehors. Je m’habille péniblement et monte au 6eétage. Un brouillard dense cache la mer sous la lumière hésitante du jour. Un silence de nuit persiste toujours dans les corridors. Quelques rares passagers se promènent, tasse de café à la main, habillés comme de grands explorateurs, jumelles en bandoulières. Ils cherchent des baleines dans cette brume  
« à couper au couteau ». 

J’ai pour mission de leur raconter l’histoire du « Rocher aux oiseaux »et de « l’Île Brion » quand le navire passera tout près de ces deux îles. Hélas, ces îles se montreront discrètes, cachées derrière ce voile de gouttelettes en suspension. Seuls, quelques oiseaux, fous-de-bassans, petits pingouins, macareux et marmettes frôleront de leurs ailes les eaux visibles créées par notre vague d’étrave. Qu’importe, je raconterai l’histoire de ces deux îlots, bien réfugié dans le « lounge »,bien à l’abri de la bruine qui coule sur les hublots comme si elle voulait y entrer. 

Contrairement à la précédente croisière où il s’était fait beau, le « Rocher-aux-oiseaux » cette mythique roche surgissant des mers comme un gigantesque gâteau au milieu de nulle part, ne fera pas mentir sa réputation. Autrefois appelé « Isle-aux-Margaux »par Jacques Cartier, « Rocher Maudit »par ceux qui s’y sont fracassé et « Voleur d’âmes »pour ceux qui ont tenté de l’habiter, trop souvent malgré eux ; il sera ce matin comme il a toujours été : soit un rocher dangereux, aux approches sournoises et toujours prêt à surgir de nulle part. Puis comme pour nous faire un pied-de-nez, le soleil découpera le ciel en bancs de brumes isolés, une fois loin de ce pan d’histoire au milieu du grand chenal du Saint-Laurent. 

Je retourne à ma chambre. Le personnel commence à se lever. Les femmes de chambre débutent leur dur travail. Je les admire et j’ai aussi ce sentiment d’imposteur. Pourquoi elles et pas moi. De toutes petites chambres à nettoyer, des passagers pas toujours propres ou ordonnés, des lits en appui aux murs et des lits superposés difficiles à atteindre, sans oublier les mécontents, jamais satisfaits des services que ces femmes leur rendent. Elles sont braves et gardent le sourire quand même, comme si cela faisait partie de leurs tâches. 

Le calme est revenu. Les Îles se découpent maintenant sur l’horizon. La cafétéria est ouverte et une file d’attente provoquée par des dizaines de passagers non habitués à choisir par eux-mêmes ce dont leur corps à besoin, ralentissent le service. En effet, comment choisir entre gruau et céréales déshydratées, entre œufs à la coque et œufs miroir, entre café et thé, entre rôties brunes et rôties au pain blanc, entre confitures aux fraises et confitures aux framboises. Dur dilemme en ce dimanche matin, alors que l’arrivée aux Îles se fait pressante, du moins pour ceux qui croient que nous allons accoster dans les minutes qui suivent, alors qu’il nous reste encore deux bonnes heures avant l’arrivée. 

Deux jours et demi plus tard, nous quittons les Îles sous un vent « à écorner les beux »comme le dit l’expression populaire chez les madelinots. Malgré ce vent, le temps est beau, le soleil dit au revoir et des passagers pleurent. Décidément, ces Îles accrochent la plupart des cœurs. Je monte sur le pont 7 avant d’aller au lit. 

Le vent s’est calmé et la lune danse sur la mer infinie jusqu’à l’horizon, créant un sillon de diamants. Le tableau est beau, unique et captivant. Appuyé à la rambarde, je contemple le spectacle. Que cette terre est belle, que cette mer est belle, que cette voie lactée est belle. Notre navire vogue en un univers sombre dont surgit une beauté qui éblouit le regard. Le pont est presque désert. Des pensées passent en boucles en ma tête. Serais-je vivant ou mort que peu m’importerait, puisque cette immensité me comble tellement. La lune demeure ma compagne jusqu'à ce que mes yeux deviennent lourds. Je retourne à ma chambre sans hublot et sombre dans les bras de Morphée, heureux comme un bébé dont la mère «mer» berce le landau. D’ailleurs, toute la nuit, cette mer me bercera puisque les vents se lèveront encore et notre navire traversera les vagues comme cheval sautant par-dessus des pièges en pleine bataille chevaleresque. Des passagers n’aimeront pas, mais que peut-on y faire, sinon que d’ignorer ceux qui accusent le bateau et se vantent d’avoir déjà navigué sur les mers du monde sans que l’autre navire, plus gros, plus luxueux, n’ait jamais bougé. Je suis toujours triste de cette ignorance et je préfère tourner le regard vers ces sourires d’enfants qui jouent autour des tables et ces gens au sourire content, comme s’ils avaient survécu à l’aventure de leur vie. 

Une autre journée est passée et le crépuscule est déjà là, une fois contournée la Pointe de Gaspé. Le soleil darde de ses rayons couchants les grands hublots de la cafétéria. Nous avançons à peine à la vitesse des voiliers d’antan, puisqu’il faut éviter les baleines, potentiellement sur notre route. Cap Desrosiers nous salue encore une fois et demain, nous serons près des grandes villes et sur ce fleuve qui se rétrécira comme peau de chagrin. 

Beau comme cravate sur chemise de soie, il nous offrira ses charmes. Et moi, j’aurai hâte d’arriver puisque ma douce m’attendra sur le quai et ensemble, nous partirons pour une autre croisière. Bien sûr, nous nous regarderons dans les yeux, mais nous regarderons aussi vers le même horizon, celui du bonheur. 

GG

vendredi 16 novembre 2018

Troisième croisière

Sur la planète entre mer et ciel

Le cri d’une femme surexcitée qui lance des dés sur un jeu qui lui semble tellement passionnant me fait sursauter. La pianiste noie cette frénésie par une douce balade créée au fil des notes de son piano. Décidément, ce « lounge» me sert d’inspiration avec tout son brouhaha, ces éclats de rire et ces cris comme des mouettes devant un banc de poissons. Le rythme change et « Inch Allah» vient remplacer ce décor pour le moins tumultueux. Nous sommes sur une planète et la terre n’existe pas. Il y a des yeux fermés qui absorbent cette chanson et moi, je navigue entre vieux souvenirs d’adolescence et désert de guerre. À l’extérieur, un nuage de fumée de cigarette arrive du pont six et tourbillonne devant mon hublot. Je ne comprends pas cette obsession de tirer sur un bout de feu afin d’en tirer une fumée qui tue. Pourtant, notre vaisseau navigue dans un univers dont l’air salin et frais donne à tous un cadeau de fraîcheur et de santé. Hélas ! Telle semble être la nature humaine, avec ses beautés et aussi ses travers.

Je m’amuse à imaginer la vie secrète de chacun et chacune. Cette proximité en vase clos cache tout de même bien l’univers de ce petit monde aux prétentions toujours heureuses. Fonctionnaires blasés en vacances, couples en tentatives de réparations, âmes blessées en quête de guérison, je n’en sais trop rien, mais j’ose croire que mes Îles ont posé un baume sur certaines douleurs. Ils me l’ont parfois dit sans vraiment le dire. Un sourire, une poignée de main et un « venez que je vous embrasse » amicalement bien sûr, servent parfois de signes réparateurs. Une tape amicale et « mon Dieu que je suis content de vous avoir rencontré »,sans autre ajout, donne le ton d’une confidence presque secrète. Quand cela m’arrive, en toute honnêteté, je me demande si j’y suis pour quelque chose. 

Je pense à mes parents, à mon père qui de son univers lointain, est peut-être fier de son fils navigateur sur les mers des âmes tout autant que sur les ondes d’un fleuve. Les larmes montent parfois. Je ressens toujours ce besoin de consolation venant de ma mère et ce partage fraternel avec mon frère disparu. Ils m’habitent constamment et m’appellent parfois sans insister. Ils sont là, pour me dire qu’ils sont là, tout simplement et qu’ils voyagent avec moi. La mer, serait-elle l’autoroute du ciel que je n’en serais pas surpris. Ma mère la craignait sans vraiment la connaître. Mon père en avait fait sa maîtresse et mon frère son unique évasion. Et moi, je navigue en plein cœur de cet univers, loin de ma sirène, la tête dans les nuages, l’âme entre peine et bonheur puis le cul à dix mètres au-dessus de l’eau.

Angèle arrive avec son violon. Les cordes rient et pleurent au gré de son archet magique. Le « lounge» se vide et c’est dommage. C’est l’heure du dîner pour la plupart et pourtant, les notes de ce violon nourrissent tellement le cœur et l’âme. Le bateau passe à proximité d’une baleine. A-t-elle entendu le violon que je n’en serais pas surpris. Il y a tant d’univers autour de nous.
Une voie lactée liquide, impénétrable à nous les humains et totalement étrangère comme planète à des années-lumière de notre perception. Les baleines dansent peut-être juste à côté de nous et nous n’en savons rien. Parlent-elles entre elles ? Aiment-elles la musique d’Angèle ? Et si elles étaient à la recherche d’une autre voie lactée, toute fascinées comme nous devant une nuit sans lune et cloués à nos satellites. Leur dos rond à quelques pouces de la mort, tout comme nous à quelques kilomètres d’un vide sidéral aux approches mortelles. 

Je divague sur la vague comme dirait un ami. C’est ma drogue et je ne m’en excuse pas. Je sais qu’elle n’est pas mortelle et tellement consolatrice de ce monde fou dans lequel nous vivons. 

Cap Desrosiers brille encore sous les rayons chauds d’un soleil couchant sur un fleuve aux allures d’immensité. Un véritable cadeau des Dieux comme pour nous dire que la vie peut être belle quand on s’y arrête pour la contempler. Pour les uns, c’est une toute petite fenêtre ouverte sur le bonheur. Pour d’autres, c’est l’évasion, la fuite devant le bruit infernal, le jardin arrosant de lumières les jours d’une vie sur son crépuscule. J’observe, je regarde et je me demande où je suis dans tout ça. La réponse m’importe peu. Je me berce de ce bonheur ou seul manque la présence de ma bien-aimée. Un vieux couple d’habitués se tenant par la main passe devant mon hublot. Ils clopinent de vieillesse, mais se tiennent la main comme de jeunes amoureux. Je ne les envie pas. J’ai ma part de bonheur et je remercie ce Dieu dont personne ne sait avec certitude l’existence. Je ne prends pas de chance, je le remercie tout de même, juste au cas où. Et si ce Dieu était ce tout !
Ce ciel, ces nuages, ce fleuve, cette mer, ce paysage aux allures de jardin céleste.     

GG     

jeudi 8 novembre 2018

Deuxième croisière



Un navire est une île

David, le barman à bord et gitan mystérieux, joue une mélodie classique devant un public presque inexistant. Pourtant, les notes s’envolant de ses doigts bercent l’atmosphère du «lounge» d’une douceur qui n’a d’égal que le soleil couchant sur la poupe du navire.
Des ombres passent devant les fenêtres et bientôt, comme le signal d’un phare en plein crépuscule, le « lounge» s’emplit de monde. David quitte le piano et Suzanne, la musicienne, reprend la mélodie. La mer est d’un calme désarmant. Des baleines nous accompagnent au contour de la pointe de Gaspé et puis Cap-Desrosiers, non loin de là, semble nous appeler du haut de son phare centenaire. 

Je fais un tour d’horizon du bar. La table ou jouent aux cartes ces grosses femmes aux éclats de rire puissants comme corne de brume, me servent de carburant au bonheur. Tout près de moi, une jeune maman n’en a que pour son enfant et grand-maman complète le tableau. Quelques passionnés de cyclisme discutent de leurs performances et en dehors de tout ce bruit, les fenêtres du pont 7 révèlent une vingtaine de personnes, 
parfois jumelles ou caméras en mains, toujours à l’affût du passage de baleines à quelques encâblures du navire.     




Devant mon hublot, la mer se marie à l’horizon en un décor de rêve. Est-ce le calme avant la tempête que je n’en sais rien, mais je goûte du regard ce néant issu du fond océanique et ce ciel gris-bleu à la couleur d’une robe de mariée. Rien à l’horizon capitaine sinon que quelques jeunes baleines qui jouent à cache-cache avec des voyageurs surexcités. 

J’observe ces visages et je me demande ce qu’ils cachent. Il y a des sourires qui ne mentent pas et hélas, il y a aussi des traits qui se sont inscrits dans la douleur ou la misère de corps à la souffrance certaine. Accoudé à la rambarde, je sors jaser avec un type qui me semble bien seul. Accueilli par un sourire, nous conversons de tout et de rien, jusqu’à ce qu’il me dise qu’il a amené son épouse avec lui aux Îles de la Madeleine. Il tient dans sa main une fiole où les cendres sont apparentes et les yeux pleins d’eau comme l’océan, il me dit que son amour de 19 années l’a quitté il y a trois mois. Elle n’avait jamais vu les Îles et il lui avait promis qu’elle verrait les Îles un jour. Alors, il tenait cette promesse, même si la mort lui avait fait un croc-en jambes. Puis il se mit à chercher dans son cellulaire afin de me montrer la superbe belle personne au visage d’ange qu’il venait de perdre. 

Naviguer sur un navire de croisière, c’est aussi naviguer dans son cœur et dans celui des autres. Il y a risque de s’y noyer parfois. Il faut alors être prudent et garder un œil sur la chaloupe de sauvetage, car il faut parfois s’éloigner de l’océan des autres et garder le cap sur son fleuve personnel. Il y a des sirènes au regard de tueuses et aux chants dangereux comme celles au temps d’Ulysse. Leur appel est toujours éphémère, mais non moins charmeur. Beaucoup de marins y ont perdu leur âme. 

Le soleil se couche enfin sur l’horizon. Le phare de cap Desrosiers nous dit au revoir sur fond de montagne sombre alors que l’astre met sa robe orange pour s’enfoncer dans l’univers des bélugas et des marsouins. Suzanne joue toujours de belles mélodies qui s’accouplent au bruit du bar et Jeanne coure entre les tables afin de servir toutes ces clientes passionnées de cartes et de petits-enfants qui sont bien sûr, les plus beaux au monde. Moustaki chante maintenant « ma liberté » dans les boîtes musicales aux quatre coins du saloon. Les gens quittent comme si le chanteur leur avait fait réaliser qu’être libre, c’est aussi décider où l’on va. Dans ce cas, il est 20.00 h, c’est le dernier service. Ils s’en vont souper. Je reste presque seul avec Moustaki et «Le temps de vivre». Seul et heureux, je me noie dans un rêve avec ma belle. La petite chambre que j’habite m’importe peu. Les vibrations du moteur me bercent, même qu’elles semblent battre la mesure avec le chanteur.
Une dernière lame de soleil tranche les montagnes de la Gaspésie et le monde me parait tout à coup si loin, un peu comme si j’habitais une autre planète. Eh oui ! Je vis sur une autre planète et elle est si belle. Ses mers sont si magnifiques, même dans leur capacité d’être cruelles, d’être violentes, allant parfois jusqu’à tuer ceux qui ne les respectent pas. 

Un dos de baleine passe sous mon hublot. Je souris et me demande si ce mammifère sait que je l’observe. Pas question de crier :« Une baleine». Non, celle-là, elle n’est que pour moi. Elle plonge alors dans l’onde et moi, je plonge dans ma réalité. Une petite chambre, des peluches et toujours cette musique en ma tête : « Ma liberté».        

jeudi 1 novembre 2018

Première croisière-2018

Ce quai qui refusait l'oubli

« Que c’est beau la vie » au « lounge » du pont 7 sur le navire.
La musicienne joue cette ballade au piano alors que dans mon coin, je laisse cette mélodie bercer mon coeur entre peine et joie. Les rives du fleuve défilent devant les fenêtres du saloon à la vitesse des vagues et mon vague à l’âme semble suivre le même roulis.


Je pense à toutes ces personnes que j’ai rencontrées lors de cette première croisière terminée. Elles sont toutes parties chez elles, la tête probablement remplie de souvenirs, les valises pleines d’objets inutiles, le compte en banque à sec et avec compagnon, le dur réveil du premier jour de la rentrée au travail. Et moi, je ne suis pas de ceux-là. Je suis de ce second voyage. Je dois amuser la galerie alors que dans ma tête, une porte crie au bonheur et en mon cœur, les larmes coulent. Au cours des six dernières années, mon amour m’accompagnait tout au long de ces croisières pas toujours faciles et en automne, comme la tombée des feuilles, elle m’a quitté comme l’arbre qui se fige en hiver. Un hiver qui n’a pas laissé longtemps place à la tristesse, puisqu’une fée a décidé de traverser ma sombre route. Elle fut celle qui a su mettre de la musique en mon cœur, a pansé mes blessures profondes à coups de baisers, de partages, de caresses et d’abandon en deux corps parfois aux cœurs meurtris et à la passion charnelle consolatrice. Ensemble, nous avons pleuré, nous avons ri, nous avons joué, travaillé et dansé sur la tombe d’un passé que nous voulions tous les deux enterrer dignement et en tout respect, afin de mieux voir le soleil se lever sur la neige de ce long hiver. 

Mais aujourd’hui, je dois quitter ma salvatrice. Non pas pour toujours, mais pour embarquer une fois de plus sur ce navire pour une septième saison. J’ai peur de revoir ces corridors où j’ai aimé et souffert, où j’ai retenu ce feu en moi, cette envie de crier mon bonheur sur toutes les rambardes du monde et où je me suis aussi noyé par la suite en des pleurs silencieux. La vie de marin me fait toucher à travers mon travail d’artiste à bord, cette sensation des départs toujours tristes, arraché des bras de ma douce et ces retours où le cœur s’emballe de bonheur, noyé dans les bras de l’autre sur ce quai qui refuse l’oubli.

Le premier départ fut triste et des larmes ont coulé. Ma fée craignait autant les corridors que moi. Nous nous sommes quittés peu rassurés et comme un cadeau de la vie, les corridors sont devenus ce qu’ils devaient être. Joyeux, pleins de roulis, de tangage et diablement ordinaires.
J’ai retrouvé ma chambre, mais cette fois-ci seul, comme tout marin solitaire, uniquement entouré sur l’oreiller de mon chien en peluche, de mon ourson aviateur et de son compagnon «Snoopy». Je me suis découvert libre, solitaire, mais heureux tout en même temps, avec cette envie incontrôlable de partager mon bonheur avec celle que j’avais laissée sur le quai. J’ai réalisé soudainement que j’étais en train de guérir. Je me suis tourné vers tous ces passagers de passages. Une société en soi. Les uns visiblement heureux, les autres cachant une peine, une douleur, une fin prochaine. Parfois bandits incognitos, saltimbanques en fuite, parfois nouveaux amoureux nageant dans le bonheur comme carpes en rivières et quelques fois infidèles en quête d’une aventure passagère. J’ai parlé avec tous ces gens, je les ai écoutés, ils m’ont écouté. Ils m’ont souvent confié leurs petits et grands bonheurs, leurs petits et grands malheurs. Nous avons partagé, nous avons lié des amitiés éphémères, toujours respectueuses, parfois teintées de rires et quelques fois, teintées de larmes furtives, bien cachées par le vent ou une mèche de cheveux. Et j’ai dormi seul avec mes rêves, avec cette image de ma fée laissée sur ce quai refusant l’oubli. Puis le jour du retour arriva. Poche de linge sale à l’épaule, elle eût l’idée de me photographier avant que je puisse l’embrasser.
Je n’ai jamais reçu un si beau cadeau puisque je me suis souvenu de mon père, le visage plein de poussière de charbon, tournant la rue Saint-André en cette ville de Nouvelle-Écosse. J’avais à peine 5 ans. Il était marin sur un bateau vapeur au charbon et il était mon héros. À bout de souffle, je courais vers lui et alors qu’il me prenait dans ses bras, j’enfouissais mon visage dans les plis de sa chemise sale et les poils en sueur de sa poitrine et puis je disais chaque fois : «Ça sent le travail». J’entends encore son rire, je sens encore la force de ses bras tenant mon petit corps et la force amoureuse de ses muscles protecteurs. En réalité, ça sentait le bonheur véritable.
L’amour ne s’embarrasse pas toujours de parfum et de chemises propres. Il est là, tout simplement et il comble tous ces vides du cœur et de l’âme. 


Puis j’ai embrassé tendrement et passionnément ma fée devenue sirène. J’ai alors réalisé que les cicatrices se refermaient sur mes plaies et une douce fraîcheur s’installait sous les moindres méandres de ma peau. J’étais redevenu heureux. 

…Fin de la première croisière