vendredi 24 mai 2013

Petite histoire méconnue d’un naufrage

Louis d’Amour, premier officier sur le ZENOBVIA

GE-3 bateaux blogIl est beau le havre de Grande-Entrée. Quand les bateaux de pêche modernes s’élancent vers son entrée, peu de leurs capitaines savent qu’à quelques milles nautiques au sud de leur position, repose enfouie dans le sable, la coque d’un navire dont un des membres d’équipage fut à l’origine d’un nom de famille bien connu dans ce village, les D’Amour.

En effet, le long de la Dune-du-Sud, à environ six milles nautiques à l’est de l’île Shag, une coque surgit du sable pendant quelque temps pour retourner s’y enfouir au gré des marées et des courants des printemps et des automnes.

Le ZENOBVIA 

Il s’agit de la coque du ZENOBVIA et ce n’était pas un petit navire. Il s’agissait d’un brick de 212 tonneaux, construit en 1873 à Nantes en France. Lors d’un voyage entre Saint-Pierre et Miquelon et l’Île-du-Prince-Édouard, il s’est échoué à la Cormorandière le 11 décembre 1879, soit six années après sa construction. Aucun membre d’équipage sous la gouverne du capitaine Laberer ne perdit la vie, mais tous furent obligés de passer l’hiver aux Îles de la Madeleine à cause de la fermeture de la navigation en ce temps de l’année. À bord, sur les 32 membres d’équipage, il y avait un jeune officier du nom de Louis d’Amour.

L’histoire raconte que le dimanche qui suivit le naufrage, tous les marins, sous l’ordre du curé, étaient à la messe et les officiers portaient leurs plus beaux uniformes chamarrés d’or. Pendant son sermon, le curé demanda aux gens de la paroisse d’être généreux et d’amener les naufragés chez eux pour l’hiver. Après la messe, les Français se tinrent tous au garde-à-vous à l’arrière de l’église. En sortant, les paroissiens accrochèrent par le bras à tour de rôle chaque matelot et officier jusqu’au dernier. C’est ainsi que le premier officier Louis d’Amour passa l’hiver chez Zacharie Boudreau et connut celle qui allait devenir son épouse, la belle Geneviève Thériault.

Mériter la main de la belle Geneviève ne fut pas facile et sa mère, Élisabeth, de même que le curé de la paroisse, le soumirent à un véritable noviciat. Élisabeth répétait à qui voulait l’entendre : « Il ne faut pas se fier à ces étrangers-là! À beau mentir qui vient de loin » et s’il avait manqué à la messe du dimanche une seule fois par sa faute, il n’aurait jamais eu la main de celle pour qui son cœur battait. Après six ans de probation, on eût la certitude que Louis d’Amour était un bon chrétien et un brave homme. C’est donc en 1885, avec l’entière approbation des parents Thériault, que Louis et Geneviève purent enfin convoler en justes noces.

Après bien des péripéties, Louis d’Amour a continué l’exercice de son métier de marin. Il est devenu capitaine et propriétaire de sa goélette et a subi d’autres naufrages. En 1921, il vendit sa goélette LA BÉATRICE à son fils Albert et accepta le poste de gérant d’un magasin à Grande-Entrée. Louis d’Amour décéda en avril 1923 de calculs aux reins, victime encore une fois de l’hiver. La navigation n’étant pas encore possible en ce mois d’avril, il mourut avant qu’on ait le temps de le rendre à l’hôpital de l’Île-du-Prince-Édouard, l’hôpital le plus proche des Îles de la Madeleine à cette époque.

On dit qu’il repose dans le cimetière de Grande-Entrée, à l’ombre d’un modeste monument funéraire, seul témoin du premier d’Amour ayant pris racines aux Îles de la Madeleine.

Un résumé de Georges Gaudet

*Source: Antonio d’Amour, adaptation d’une lettre de Cyrille d’Amour à son frère Charles, le 20 mars 1960.

 GE-Au port

dimanche 12 mai 2013

Bien plus capables d’amour qu’il n’y parait

*Récemment, une polémique éclata sur un réseau social à propos d’une brave personne qui perdit son combat contre le cancer après avoir été médiatisée lors de son long cheminement vers une sérénité qui suscita une grande admiration.
Le jour de son décès, certains médias trouvèrent l’occasion de mentionner qu’au cours de sa vie, cette personne avait été danseuse dans les bars, comme si cela avait pu changer quelque chose au parcours courageux de cette femme.
Et si justement, ces êtres de l’underground, hommes ou femmes, clients ou péripatéticiennes, étaient justement bien plus capables d’amour que ces gens qui se disent « ordinaires ». Cette anecdote me rappela un poème, humoristique que j’ai tricoté dans mon imaginaire, il y a quelques années de cela, un de ces jours où j’avais envie de crier à tout le monde que… l’amour n’a ni frontière, ni préjugés, ni classe sociale. Il traverse les océans comme le vent, et ramène à lui toutes les brumes teintées de coeurs sincères, quels qu’ils soient.
rue d'amsterdam (modifiée)

Putes et vocabulaire marin

* À vous de trouver la signification des mots marins soulignés.

Ses pas glissaient lentement sur le macadam

Dans ce quartier d’Amsterdam,

Là où le vent de sa jeunesse,

Lui avait fait connaître, autrefois,

Plusieurs paires de fesses,

Au grand plaisir de son cacatois.

 

Mais c’était une autre époque,

Un temps loufoque,

Un temps ou les amerloques, chasseurs de phoques,

Passaient les vitrines des putes,

Prêtes à toutes les culbutes,

En autant que le client ne les rebute.

Basse marée 

 

Maintenant vieux capitaine,

Sa bedaine,

Cachait son mât de misaine,

Même que ce mât, digne d’une châtelaine,

Aujourd’hui avait plutôt l’air d’un appât

Pour une sœur Franciscaine

 

Trente ans plus tard

Elle était toujours là, dans sa vitrine,

Le visage bourré de fard

Et encore, cette généreuse poitrine.

C’était celle qu’il aurait pu aimer,

Il était celui qui l’avait désarmée

 

Pourtant, les putes d’Amsterdam

Ne s’amourachent pas du premier quidam

Elles les laissent mouiller leurs ancres

Mais s’assurent qu’elles chassent.

Pas question d’aimer un cancre

Avant qu’il ne l’enffourchasse

P5090027(sepia)

 

Mais lui, elle ne l’avait pas oublié

Devant sa prestance

Elle avait même tenté de l’humilier,

Et lui, d’une bienveillance

Avait rétorqué sans ambivalence

Madame, vous ressemblez à mon voilier

 

Et quand il lui montra son beaupré

Elle lui dit, il a plutôt l’air d’un mât d’artimon

C’est le plus petit sur un bateau, à ce que je sache

Non désarçonné et en toute beauté

Il glissa son ancre dans le limon

Tout en riant sous sa moustache.

 

Madame, l’artimon est essentiel

Dur au travail, il est à la poupe

Et avant de vous expédier au ciel

Il peut vous ramoner la croupe

Dans toutes tempêtes démentielles

Croyez-moi, vous n’y perdrez pas votre étoupe.

 

D’ailleurs,  « poop » chez les anglais

Veut dire merde, nous n’en sommes pas loin

Et si l’artimon se déréglais

Nous serions rendus chez les Malouins

Incapables d’accostage

Avec la guerre, en héritage.

 

Permettez donc, madame

Que de votre voile de dentelle

Je sauve ce qu’il reste de mon âme

Avant que cet artimon, ne détèle

Ceci serait infâme

Et indigne d’une caravelle

 

Elle avait ri, elle avait ri, elle avait ri

Tellement qu’elle n’avait jamais oublié

Ce marin dont elle s’était éprise

Premier homme qu’elle avait supplié

Jusqu’à ce que la brise

L’emporte sur son voilier

 

Eh oui, elle était toujours là

En vitrine, comme du chocolat

Maintenant plus charnue, elle lui sourit

Et de joie, son cœur éclata

Alors que l’autre, s’emballât

Sur cette rue, où vraiment personne ne vit.

 

Il entra, elle ferma les rideaux

Leur bastingage était fripé

Leurs yeux, pleins d’eau

Ensemble, ils burent un café

Et cette fois de dés non pipés

S’offrirent le plus beau des cadeaux

Portefolio 5

 

Il pleut sur Amsterdam

Un bateau glisse sur l’eau

L’artimon bien planté en poupe

À bord, il y a une dame

Qui dans ses mains, tient un roseau

Et lui, capitaine, lui embrasse la croupe.

 

Georges Gaudet