lundi 25 mai 2015

La dictature des fabricants de peur.

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

 

La peur qui paye

Peur 1

Pendant longtemps, il n’y a eu que quatre saisons, du moins dans notre hémisphère nord. Le printemps, l’été, l’automne et l’hiver, chacune de ces saisons avec leur lot de particularités, de petites misères et aussi de grands bonheurs.

Ce matin, alors que j’écoutais les nouvelles matinales tout en sirotant un café, j’eus la désagréable impression qu’on essayait de me convaincre que le bonheur simple et tranquille par une belle journée de printemps était impossible. Non seulement content de me « garrocher » images par-dessus images publicitaires de tous les produits disponibles en pharmacie contre toutes les allergies, les deux animateurs s’en sont donné à cœur joie de « radoter » at nauseam aeternam qu’il fallait être bien prudent puisque cette année, la saison des allergies était bien plus virulente que par les années passées à cause du printemps tardif que nous avons connu. Loin de moi l’idée de ne pas sympathiser avec les personnes souffrant de graves allergies, mais nos médias en sont rendus à créer cette psychose collective où, malheureusement, ceux et celles qui ne seront pas victimes d’allergies seront considérés comme des gens anormaux. Alors, ils sont où ces belles journées printanières où la nature renaît et s’éveille à la vie, où les arbres fleurissent? Ils sont où ces paysages magnifiques avec un ciel rempli d’outardes, ces chants d’oiseaux en amour comme jamais et ces nids qui petit à petit se laissent découvrir au fur et à mesure de leur savante construction?

La peur à vendre

La peur 2

…source inconnue

La peur est à vendre parce que ça paye. Aujourd’hui, c’est la saison des allergies, demain ce sera la saison du soleil. Alors, attention au soleil, ce grand créateur de cancers de peau. Ne vous en faites pas, les créateurs de crème solaire vont vous le rappeler avec grande insistance le moment venu. Et puis n’oubliez surtout pas l’eau et la noyade possible. Gilet de sauvetage obligatoire partout, presque à croire qu’il faille le porter dans son bain alors que les accidents de la route, surtout en motos seront à la une de tous les journaux. Ah oui, et si par malheur un petit avion de deux à quatre passagers s’écrase dans un champ, les médias matinaux vont en parler au moins pendant trois jours, le tout animé par des commentateurs qui n’y connaissent que dalle en matière d’aviation et qui diront à peu près n’importe quoi pour faire peur à qui veut bien entendre. La parade des « madames » qui ont peur que le ciel leur tombe sur la tête parce qu’elles demeurent non loin d’un aéroport va faire trembler toute la province à ne point en douter. Encore là, on aura oublié qu’un peu de soleil fait du bien, car en ce pays où la vitamine D se fait parfois rare, elle est nécessaire à tous les humains. On aura oublié ces belles journées sur la plage, ces barbecues sur le patio avec des tas d’amis, ces voyages vers les plages de la Gaspésie ou des Îles de la Madeleine, ces longues soirées tranquilles sur le balcon avec en sourdine, les lointains bruits d’une ville fatiguée de sa lourde chaleur. Mais ne vous en faites pas, la saison de la chasse va bientôt arriver et ce sera aussi la saison des cueillettes. Alors là, attention aux échelles mal appuyées, aux allergies alimentaires. Les fraises peuvent être catastrophiques, les piqûres de moustiques, la maladie de lime, les ratons laveurs ayant la rage, les chiens errants, les animaux abandonnés pendant l’été et surtout, le nouveau vaccin contre cette nouvelle souche de grippe qui arrivera bientôt. Tout cela en plus des élections fédérales à la mi-octobre, et voilà un dangereux cocktail pour « dépressionner » avant l’hiver. Encore, là, personne n’aura vécu le plaisir de marcher en pleine forêt d’automne et photographier pour que la mémoire se souvienne, ces belles couleurs dont nous fait cadeau la nature généreuse. Parée pour le grand sommeil, elle se pare de sa plus belle courtepointe avant de s’emmitoufler sous le blanc manteau hivernal. Voilà alors qu’arrive la saison des rhumes et de la grippe, toujours selon les nouvelles à la télévision. L’hiver sera long, froid, humide et avec beaucoup de neige. Entre temps, ce sera la saison des insomnies et de l’augmentation des cancers. Une personne sur deux sera diagnostiquée à ce qui paraît et puis n’oubliez surtout pas la blancheur de vos dents, vos dents sensibles et puis les recommandations de tous ces dentistes patentés qui en remettent encore plus épais sur le phénomène. Ensuite, avec les pneus d’hiver viendront le nombre catastrophique d’accidents, de carambolages et de froissement de tôles sur les routes glacées de la province, le tout s’accompagnant de toutes ces assurances qui pardonnent une fois, deux fois et même trois fois, enfin peut-être. Si vous faites du ski, attention. Il vous faut maintenant un casque protecteur. Michael Shumaker s’est cassé la gueule en ski, alors, il faut que tout le monde se protège. Quant aux autoneiges, skidoos et autres machines du genre, il vous faudra vous protéger bord à bord d’assurances, de permis de sentiers, de vêtements mode obligatoires, de casques protecteurs chauffés à 700. $/pièce, de mitaines et bottes chauffées et de weekends à d’incontournables hôtels spécialisés en relaxation sur sentiers enneigés.

Alors, qui aura eu le temps d’apprécier l’hiver en marchant dans la poudreuse avec raquettes et ou en skis de randonnée? Qui aura eu le temps, du haut d’une montagne de ski, d’admirer ce fabuleux paysage s’étendant jusqu’au fleuve ou jusqu’à une infinie ligne d’horizon? Qui aura eu le temps de méditer sur les beautés et les richesses de la nature, assis devant un trou dans la glace en attendant que le poisson veuille bien mordre à l’hameçon? Qui aura eu le temps de construire avec ses enfants un igloo, un bonhomme de neige, une patinoire extérieure sur le gazon dormant? Qui aura eu le temps de lire un bon livre, les pieds chauffés par la chaleur radiante d’un feu de foyer, les épaules recouvertes d’une « doudou » bien confortable? À force de peur et d’obligations vendues à grand renfort de publicité, nous aurons raté l’essentiel.

La vérité et la peur

la peur

Les brocolis sont des extra-terrestres, à moins que ce soit le contraire. Les extra-terrestres sont des brocolis…?

Il faut en convenir, nous avons tous peur de mourir et c’est normal. Ce qui est encore plus plate, c’est que nous allons tous y passer un jour, qu’on le veuille ou non. Autrefois, une majorité de gens mouraient de maladies cardiaques et le cancer arrivait en deuxième position. Aujourd’hui, alors que les médicaments pour le cœur ont grandement amélioré la qualité de vie des gens atteints, c’est le cancer qui vient de passer en première position à ce palmarès. Malgré tout, nous vivons plus longtemps que les générations précédentes, mais à quel prix en matière de qualité de vie? La peur vendue à grand renfort de publicité a fait de nous des peureux en tout. Trop de gens ont oublié que si nous ne mourons pas de maladie cardiaque ou de cancer, il faudra bien mourir de quelque chose un jour. Plate à dire, mais c’est comme ça. Bien sûr, l’alpiniste, le pilote de petit avion, le passager de gros avions, le mangeur de hamburgers, le skieur, le cycliste, le joueur de hockey, le nageur, le plongeur, le coureur automobile, enfin, tous ces gens risquent de mourir un jour de leur activité. Quant au grand mangeur de pilules inutiles ou parfois nuisibles, à celui qui ne fait absolument rien parce qu’il a peur que ses dents jaunissent, que son sang épaississe, que sa peau brûle trop, que les allergies qu’il n’a jamais eues se manifestent, que son parachute n’ouvre pas, qu’une hépatite quelconque lui empoisonne le foie parce qu’il a marché sur la plage, c’est encore plate à dire, mais faudra bien qu’un jour, il meure quand même. La question demeurera toujours la suivante. Aura-t-il vécu sa vie ou au contraire, aura-t-il vécu dans la peur constante de mourir d’une cause qu’on lui aura répété sans cesse qu’il aurait pu éviter? – le tout à fort prix monétaire, bien sûr!

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG

mardi 19 mai 2015

Doux souvenirs d’enfance…(suite 2)

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

 

Doux souvenirs d’enfance dans un havre de pêche… (Suite de la semaine dernière.)

Départ pêche au homard cage-homard 

Le plus beau métier du monde.

« La pêche, c’est le plus beau métier du monde » disait mon père. Et puis après une pause de quelques secondes, il ajoutait : « quand il est bien fait ».

Évidemment, le texte qui va suivre sera biaisé un tout petit peu, puisque nombre de gens passionnés de leur métier pourraient affirmer la même chose. Du cultivateur au pilote d’avion en passant par le pompier, le professeur ou l’infirmière, tous pourraient débattre de la beauté de leur métier ou profession pour peu qu’ils en soient convaincus et heureux ou heureuses de le pratiquer.

Pour ma part, je ne peux vous raconter ce métier qu’à travers les yeux de mon père. Il fut d’abord pêcheur dès l’âge de 12 ans avec son père, puis marin dans la marine marchande pendant la Deuxième Guerre mondiale, ensuite capitaine caboteur et pêcheur sur sa propre goélette, puis marin sur le LOVAT, puis à nouveau pêcheur et enfin, pendant les 25 dernières années de sa vie professionnelle, garde-pêche. Nous sommes alors au début du printemps 1960. La morue ne se vend plus et pire, il n’y en a plus pour les pêcheurs côtiers. Le hareng est bloqué par des seineurs au large du Rocher-aux-Oiseaux et l’avenir s’annonce sombre pour tous ceux qui veulent continuer de pratiquer la pêche côtière. Criblé de dettes et ma mère s’étant mise en tête de nous expédier au collège classique mon frère et moi, mon père décida d’appliquer à un poste vaquant de garde-pêche. Grâce à l’influence d’un dénommé Clawrence Clarke de Grosse-Île, lui-même chef garde-pêche, mon père obtint le poste convoité. Pour ma mère, ses rêves de nous expédier au collège devenaient possibles, mais pour mon père, il s’agissait de deux choses bien différentes. D’une part, l’accusation voilée d’une trahison de sa propre confrérie de pêcheurs et d’autre part, l’abandon d’un métier qu’il aimait plus que tout au monde. Jamais je n’oublierai le matin de son premier départ au travail. J’étais non loin de la chambre de mes parents et mon père était assis sur le bord du lit. Il disait à ma mère : si jamais je savais ne jamais revenir à la pêche, je refuserais la « job » dès ce matin. Inutile de dire qu’il eût droit à tout un sermon de la part de ma mère et presto, il était prêt pour ce nouveau travail qu’il allait exercer pendant les 25 années suivantes.

garde-pêche 

Mon père

Un rêve utopique

Je n’avais que 12 ans et j’accompagnais mon père presque partout, allant même sur les nuits de patrouilles avec lui. Dans ma grande naïveté, je voulais le protéger de tout mauvais parti qu’on aurait pu lui faire. Il connaissait les ficelles des fraudeurs puisque lui-même avait quelque peu joué auparavant dans une illégalité bien « vénielle » comme auraient dit les curés de cette époque. Une cage tendue hors saison pour quelques homards par automne constituait son bagage d’illégalité, mais cela lui avait suffi comme expérience pour prendre sur le fait un bon nombre de ces pêcheurs illégaux, dont quelques-uns… de ses amis pourtant bien avertis à l’avance de bien se tenir. L’intégrité à un prix et ce fut une des belles leçons que mon père m’aura apprises. Il disait souvent : tous les pères de famille des Îles devraient avoir le droit de tendre une cage à homard par année en toute légalité. Le gouvernement n’aurait qu’à accorder un permis pour chaque chef de famille et punir sévèrement les contrevenants. C’était son rêve utopique et évidemment il n’en parlait à personne sauf à nous, autour de la table. Il considérait la mer comme un jardin venant de Dieu lui-même et qu’aucun individu ou organisme n’aurait dû prétendre en avoir un droit exclusif d’exploitation. Maintenant qu’il est de l’autre côté des nuages, je l’imagine souvent en train de pêcher dans ce monde qu’il souhaitait ouvert à tous. Certains pêcheurs le haïssaient pour son intégrité et jamais ils n’ont réalisé à quel point il les défendait en coulisse. J’ai souvenir de ses conversations avec de hauts fonctionnaires de l’ancien ministère des Pêcheries du Québec, des individus qui comme il le disait d’eux; qui n’ont jamais vu une queue de homard, sauf dans leur assiette et qui se permettaient de sortir toutes sortes de règlements en se foutant complètement des conséquences que tout cela allait avoir sur le labeur des pêcheurs. Quand on lui reprochait d’avoir un parti pris pour les pêcheurs, je me souviendrai toujours de ce petit sourire de satisfaction qui en disait long sur l’opinion qu’il avait de son critique.

Un règlement absurde.

Un certain printemps, un hurluberlu du ministère avait réussi à faire passer un règlement qui stipulait à peu près ceci. Tout pêcheur ramenant à quai ne serais-ce qu’un seul homard n’ayant pas la mesure requise, devait voir toute la pêche de sa journée rejetée à l’eau immédiatement en étant accompagné au large par un garde-pêche. La mort dans l’âme, mon père a obéi à cet ordre émanant de ses supérieurs sur la colline parlementaire. Je me souviens de ce soir où il est entré à la maison, bouleversé de ce qu’il avait vécu. Il avait vu un pêcheur pleurer amèrement en remettant à l’eau plusieurs centaines de livres de homard. Quelques jours plus tard, ce fut sa propre vie qui fut mise en danger alors qu’un autre pêcheur tenta de le jeter par-dessus bord pour la même raison. Ironie du sort, ce pêcheur devint garde-pêche quelques années plus tard sous les ordres de mon père, et ce, jusqu’à sa retraite. J’entends encore mon père lors d’une conversation téléphonique avec son patron immédiat à Québec, traiter de criminels les imbéciles qui avaient passé une telle loi punitive. Avez-vous idée de ce que c’est que de jeter à la mer toute la pêche d’une journée pour un homme qui a une famille à nourrir qu’il leur disait? – et bien sûr vous ne faites pas la différence entre le début de la saison et la fin d’une saison, ajoutait-il! Quelques semaines plus tard, le fameux règlement fut aboli et remplacé par des amendes au prorata du nombre de petits homards saisis par les garde-pêche.

Une licence annuelle de pêcheur de homard se vendait approximativement 3.75 $ à cette époque et elle n’était pas toujours facile à vendre. Tous n’étaient pas convaincus non plus de la nécessité de protéger la ressource. Je me souviens de ces affiches très laides, de couleurs jaune, rouge et noir que mon père devait afficher un peu partout sur les quais de débarquement et sur lesquels on y lisait : mesurez bien votre homard et ne tuez pas la poule aux oeufs d’or, un slogan qui ferait bien rire aujourd’hui. Mon oncle Cyril,- Cyril à Daniel, avait fait une bonne année de pêche cette année-là, avec 7000 livres à la fin de la saison. Pêcheur à Grande-Entrée et habitant une cabane de pêcheurs pendant les deux mois de la pêche, il mouillait son botte dans la P’tite Baie en bas du Cap chez Mounette en fin de saison. Cette année-là, un pêcheur de Grande-Entrée avait atteint les 20 000 livres pour une première fois dans les anales de la pêche au homard autour des Îles de la Madeleine.

Les plus beaux jours de son métier de garde-pêche.

Ses plus beaux jours étaient toujours les jours de l’ouverture annuelle de la pêche au homard. Je le revois encore debout sur le pont de Havre-aux-Maisons, montre chrono d’une main et lance-fusée de l’autre, attendant patiemment que les aiguilles de sa montre indiquent 5 h « tapant ». C’était interdiction totale de passer sous le pont avant l’heure et bien sûr, certains ne tenaient pas en place. Alors fusait les menaces d’infractions et les plus nerveux du départ revenaient sur la ligne légale. « Ils ont la tête dure » répétait mon père, mais il n’y avait jamais de méchanceté dans sa voix, tout au plus un haussement d’épaules de désespérance. Puis, la fusée partait et la mer devenait subitement blanche sous le pont. Les cris de joie se mêlaient au bruit des diesels et au gazouillis des tourbillons provoqués par les hélices lancées en toute furie.

C’était habituellement un samedi matin et mon père revenait à la maison sans dire un mot. Toutefois, chaque printemps, le temps n’était pas bien long où entre deux œufs avalés et quelques toasts, il disait ceci à ma mère : Obéline, à matin j’aurais donné mes vieilles t’chulottes pour être avec eux. Y diront s’qui voudront, mais la pêche, cé l’plus beau métier du monde.»

À la retraite.

On ne peut oublier la mer quand on y a consacré sa vie. Son dernier bateau fut le Lucie Johanne, un bateau de pêche… bien sûr.

 Lucie-Johanne  À la barre

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG

lundi 11 mai 2015

Quand les bateaux faisaient «Ti-ké-tak».

Par Georges Gaudet   georgesgaudet49@hotmail.com

Doux souvenirs d’enfance dans un havre de pêche.

* La mer, cette grande unificatrice, est le seul espoir de l’homme. Maintenant, plus que jamais, cette vieille maxime signifie littéralement : « nous sommes tous dans le même bateau. »… Jacques Yves Cousteau.

* Si vous n’êtes pas des Îles de la Madeleine et lisez ce texte, demandez à des Madelinots de vous traduire les mots et expressions que vous risquez de ne pas comprendre.

Fenêtre

Nous sommes à la fin des années 50. Je me souviens de cette chambre tapissée au papier journal et peinte par-dessus d’une jolie teinte bleu azur. Nous sommes au mois de mai et dehors il fait beau. Le soleil entre par la fenêtre et plombe directement sur la petite commode que ma mère a fabriquée avec une boîte vide d’oranges puis recouverte d’une jolie dentelle. Une légère brise du sud-ouest fait virevolter le tissu léger de l’unique rideau transparent recouvrant le haut du châssis. Bien emmitouflé sous la lourde courtepointe, je me laisse éveiller doucement au chant des oiseaux et surtout au « tik-et-tak » particulier des bateaux de pêche quittant le havre en ce début d’ouverture de la pêche au homard. Aussi loin que remontent mes souvenirs, aucune journée de toute ma vie ne m’est apparue aussi belle, aussi paisible, aussi douce que cette journée-là. Ouvrant lentement les yeux, je revois encore toutes ces photos de mes joueurs de hockey préférés, chèrement acquises à coup de cannes de sirop de maïs « Bee Hive » et piquées d’épingles tout autour de mon lit. C’était comme si Maurice Richard, Bernard Geoffrion, Jean Béliveau et quelques autres veillaient sur moi pendant mon sommeil.

Hâvre

Doux souvenirs d’une belle enfance.

Une fois sorti du lit, je vais à la fenêtre. Le Havre Aubert est tellement beau au printemps. Mon père est parti à la pêche avec son « gros botte ». Il ne pêche pas le homard, mais la morue. Son doris est à l’ancre en bas de chez Joseph à Pierre. Il nous l’a laissé à mon frère et à moi pour qu’on s’y amuse à bord, faisant fi bien sûr de sa propre sécurité en mer. Des reflets de diamants courent sur l’eau et au fond du havre, la BTU, la goélette à Hyppolite Arseneau tourne autour de son ancre alors que la cabane sur les « floats » semble flotter sur un léger nuage de brume, déjà entourée qu’elle est des « p’tits bottes » qui viennent y déposer le trop-plein de homard qui sera cuit plus tard à la « Maritime Packers ».

Botte à Omer Cyr

Botte (boat) à Omer Cyr. L’Obiou, « Botte » à Omer Cyr portant le nom du versant Italien du Mont Blanc, mont sur lequel l’avion rempli de pèlerins en provenance du Vatican s’est écrasé au début des années cinquante.

Le homard

Pour pêcher le homard, il faut de « la boëtte », c'est-à-dire du hareng. C’est pourquoi depuis plus d’un mois, mon frère et moi avions déjà pataugé dans la rave de hareng échouée à marée basse sur les rives de La Grave, ceci aux grands désarrois de ma mère. Qu’importe les glaçons encore échoués sur les platiers en ce doux printemps exceptionnel, pour nous, c’était le signe qu’il fallait retourner avec plaisir sur le bord de la côte et courir sur les quais, particulièrement sur celui de la « boucannerie ». Les fumoirs étaient déjà pleins, papa avait fait deux beaux voyages de hareng à Chéticamp puis à Caraquet et Omer à Paulette tendait ses cages pour la première fois de l’année. Il y avait plus d’une centaine de « p’tit bottes » ancrés dans le havre en cette année là et chaque matin, c’était une clameur bien particulière qui réveillait tous les cantons, de « La Grave » à « Par en haut » en passant par « Le P’tit ruisseau » et par « Le sable ». Je ne sais pourquoi, mais le « toc-o-toc » ou « ti-ké-tak » des « bottes à tchu pointu » démarrant pour la pêche, emplissait mon cœur d’une joie et d’une excitation bien particulières. De la fenêtre de ma chambre donnant directement sur le havre, j’observais avec une admiration sans bornes le spectacle de ces petits bateaux quittant l’entrée du havre alors que la fumée s’échappant des fumoirs mêlait son odeur à la vapeur à saveur de homard cuit sortant de la cheminée de la Maritime Packers. Cornélius finissait de réparer sa « bouchure » alors que Jos Bouchard passait la herse dans le champ d’à côté, tout en suivant pas à pas son gros «percheron» bien docile. La journée allait être longue et trop courte à la fois. Des journées bénies comme ça, il me semble qu’il y en avait plein du temps de mon enfance. La mémoire en a certes ajouté quelques-unes, mais après toute une vie, ce sont des souvenirs semblables qui permettent de dire que la vie vaut vraiment la peine d’être vécue.

B12 

Le LLOYD.M. 43 pieds de long. Charge maximale de morue : 7000 lbs, mais il est déjà rentré au port avec 8200 lbs en 1957, du temps où il y avait de la morue en quantité, mais hélas, pas de prix.

À bord du LLOYD-M, acheté en Nouvelle-Écosse, mon père partait pour la pêche « aux trawls » avec le « p’tit Welley » presque en même temps que les pêcheurs de homard. Ces derniers rentraient au port de « la Maritime » aux alentours de midi pour ensuite aller s’ancrer entre « la boucannerie » et le platier du quai à George Savage jusqu’aux petites heures du lendemain matin. Pour les pêcheurs de morue, il fallait attendre le soir pour voir les « bottes » à André à Nazaire, celui à Isaac à « Ludgère », le LULUBELL de mon oncle André et Aurèle à « Lia », le ROSS & KEN de mon oncle Marc et enfin le LLOYD.M. de mon père, rentrer au quai de la GORDON PEW afin d’y décharger leur contenu de morue.

Jeux d’enfants

Ma mère travaillait sur la « skinneuse » (machine à retirer la peau de la morue) à la GORDON PEW, pour le gros salaire de 50 ¢ de l’heure. Ces jours-là, tante Odette devait s’occuper de mon frère et moi. C’était l’occasion idéale de nous échapper de la maison et de faire la tournée du Havre au gré de nos découvertes. Pauvre tante Odette qui se faisait tant de mauvais sang pour notre sécurité. Mis à part le fait d’avoir caché une poule vivante dans la glacière du tambour, que de tours nous lui avons joués, uniquement pour lui faire perdre patience, chose qui devenait bien près de survenir, mais qui n’est jamais arrivée.

Georges et Donald (1957) 

Moi à gauche, mon frère Donald à droite (1957)

Notre bonheur se résumait à peu de choses, mais ô combien il comblait toutes nos attentes. Tôt l’avant-midi, je levais le grappin du doris, juste avant la marée basse et en compagnie de mon frère, nous ramions jusqu’au quai de la MARITIME pour y récolter les restes de fards de homard qui étaient rejetés à la mer par une dalle sortant de l’usine de transformation. Travail de bénédictine de la part de notre mère, toutes ces chairs de petites pattes et de fard aujourd’hui considérées comme le fin du fin étaient récupérées encore chaudes au sortir de l’usine. Puis, vite fatigués de cette routine, nous ramions à nouveau jusqu’à l’usine de la GORDON PEW. En cet endroit, la chute rejetait à la mer les squelettes de la morue avec la tête. Malgré notre jeune âge, nous ramassions ce véritable festin gaspillé. À grands coups de couteau, nous coupions les langues de morue, les « bajoues » et les « noves » (ligament recouvrant la colonne vertébrale du poisson). Jamais nos parents ne nous demandaient de faire ce travail et pour nous, ce n’était qu’un jeu de plus, tout en ayant la sensation que nous étions aussi bons pêcheurs que notre père. Revenant ancrer le doris en bas du p’tit ruisseau, c’est épuisés mais heureux que nous donnions à tante Odette un seau rempli de déchets de poisson qui aujourd’hui se vendent à prix fort sur les étales spécialisées de certaines poissonneries. Roulées dans la farine et les œufs, quoi de mieux que des « bajoues » et des « langues de morue » rôties dans la poêle?

Le soir arrivé, nos parents épuisés se préparaient à savourer le repos obligatoire du dimanche. Tigré, notre chat, venait se cacher sous les draps entre mon frère et moi alors que mon père faisait semblant de le chercher et ne point le trouver, tout juste avant de nous embrasser et nous border.

Aujourd’hui

Plus de cinquante années son passées depuis ce temps et vous savez quoi? – Si Dieu m’accorde le privilège de me souvenir de tout ceci le jour du grand départ, je ne pourrai que lui dire merci d’avoir vécu même en si peu de temps, un si grand bonheur. Je crois du plus profond de mon cœur que si tous les enfants de la terre pouvaient vivre, ne serait-ce qu’un court moment de leur vie, un tel bonheur, ce serait bien triste pour les vendeurs d’armes et de haine.

Bonne saison de pêche à tous et à toutes.

* Tous les croquis sont de l’auteur de ce texte.

lundi 4 mai 2015

Pas si fou que ça…ce Stéphane

 

Au hasard de la route.

C’est bien connu, des Madelinots il y en a partout. Des fois, on croirait que nous sommes aussi nombreux que la diaspora juive. Peut-être est-ce proche de la vérité puisque depuis la déportation acadienne, nous ne cessons de quitter les Îles pour aller ailleurs parce qu’il n’y a plus de place pour nous. En différentes époques, ce fut les Anglais, puis l’économie, puis la politique, puis les trop grandes familles, puis le morcèlement des terres, puis l’arrivée de nouveaux arrivants plus riches que nous, puis les étudiants qui ne reviennent pas, puis les maisons qui coûtent trop cher pour s’y établir, puis la pêche qui est en déclin, puis le manque de travail… etc., etc., etc.

Chez Stéphane Vigneau à «Votre poissonnerie du quartier.» 

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Lui, il demeurait aux Îles, même qu’il avait un superbe voilier. Un vrai de vrai, du solide pour la mer, du genre à traverser un océan. Et puis avec un esprit d’entrepreneuriat hors du commun, il a commencé par vendre des bouteilles d’eau de mer et pas n’importe quoi. De l’eau de mer de chez nous, analysée, quantifiée, inspectée, vérifiée, virées de toutes ses gouttes, de tous bords, de tous côtés… enfin, de la maudite bonne eau de mer, de quoi faire bouillir du homard et des coques en accordant une saveur délicieuse à tous ces fruits de mer. Avec son eau de mer, on ne cuisait pas seulement les fruits de la mer, on cuisait aussi tout l’environnement du poisson pour ainsi servir dans l’assiette, non pas un repas, mais une expérience sous-marine et géographique.

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Et puis, comme bien d’autres, les aléas de la vie ont fait qu’un jour, Stéphane a quitté les Îles. Le hasard de ma route a fait qu’un jour j’ai entendu parler d’un type qui avait une boutique au 1253 rue Beaubien-Est et que cette boutique s’appelait « Le fou des Îles ». J’y suis entré et croyez-moi. Celui qui s’affiche comme « Le fou des Îles » n’est pas si fou que ça. Il est certes fou de « ses » Îles de la Madeleine qu’il a quittées pour mieux y revenir un jour, mais en attendant, lui et un autre jeune madelinot tiennent boutique en plein coeur de Montréal et ce n’est pas un commerce comme tant d’autres. On y trouve de tout en poisson et fruits de mer, tant dans le frais que le préparé ou le surgelé. Les mets sont préparés avec soin, souvent à la mode des Îles et tout ça pour une clientèle ravie. Même l’ambiance maritime est toute là, entière, et pas à vendre, mais bien présente pour l’apprécier. Voilà ce que je partage avec vous cette semaine, le tout en quelques photos. Et puis, si vous êtes Madelinots ou Madeliniennes, perdus quelque part dans la grande ville ou si vous êtes de ceux qui ont soif de vent du large, d’embruns et de vagues turquoises, passez donc voir « Votre poissonnerie du quartier ». Je vous l’assure, vous ne serez pas déçus et puis je me permets de vous le dire : personne ne m’a demandé de faire de l’annonce et je n’ai jamais été sollicité pour écrire ce que je viens d’écrire.

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Bonne semaine à toutes et à tous.