dimanche 30 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 2 (suite 4)

 

Un trou dans les nuages

Au dessus du NB-UHE

Pour un pilote qui vole dans un espace sans visibilité, un trou dans les nuages représente l’espoir, surtout si ce dernier n’a aucune formation pour le vol aux instruments, ce qui implique une formation spéciale s’ajoutant à une licence de base. Un trou dans les nuages devient alors un point de référence et surtout la possibilité de retrouver une route perdue, ceci sans oublier la disparition d’un puissant stress pouvant mener à une erreur fatale.

Nous sommes en 1984. Je travaille comme vendeur automobile chez Le Grand Trianon Ford à Québec. C’est un autre de mes innombrables travaux menant vers le néant d’une carrière sans issue satisfaisante. La flagornerie qu’on nous imposait pour vendre un véhicule me donnait la nausée. Un jour, je vis au sortir d’un restaurant, une annonce stipulant la fondation d’une école d’aviation d’ultralégers, une nouvelle vague d’appareils volants qu’on disait accessibles aux moins fortunés. Dans la détresse d’un travail où je me sentais dévalorisé, après la perte deux années auparavant d’un emploi dont j’étais fier, mais dont les portes de mon employeur furent fermées pour cause de faillite, après la perte de ma maison, l’opportunité de voler aux commandes d’un appareil fit renaître en moi un vieux rêve qui s’était presque éteint. C’était mon trou dans les nuages. À défaut d’une carrière professionnelle en pleine chute libre, un loisir qui m’avait toujours été interdit par un dossier médical allait me donner ce qu’il fallait pour renouer avec une saine ambition de vivre. Un docteur de l’aviation civile eût pitié de moi et en juin 1984,  j’obtins mon premier passeport pour une autorisation restreinte de voler.

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Copie du renouvellement de cette licence en 1990.

J’étais fou de joie et malgré les coûts encore passablement élevés pour les 25 heures de vol exigées pour l’obtention du permis et les 25 heures de formation théoriques, j’étais au champ d’aviation à St-Lambert de Lévis tous les jours de beau temps dès six heures le matin. Petit à petit, une fois les cours théoriques réussis, je commençai à voler avec mon instructeur afin d’accumuler les 10 heures essentielles minimales afin d’entreprendre mon premier solo dans les airs. Je le dis sans vantardise, mais j’étais doué et j’apprenais très vite. Les heures passées en plein ciel avec mon frère pendant les années 70 et les moindres occasions que j’avais eues de me familiariser avec les lois de l’aéronautique y étaient pour beaucoup. Aussi, faut-il ajouter à cela les nombreuses lectures sur le sujet, car il y avait toujours une revue de l’aviation qui traînait quelque part dans un coin de la maison. C’est alors qu’un certain matin, précisément le 1er août 1984, vers les 7 heures le matin, après quelques minutes à peine de vol et quelques atterrissages réussis en compagnie de mon instructeur, ce dernier me dit : « Bon, maintenant, c’est à ton tour. C’est ce matin que tu voles tout seul. Tu n’as plus besoin de moi. » Mon coeur fit un bond dans ma poitrine alors qu’il détacha sa ceinture et partit vers le hangar. J’étais figé sur mon siège et je n’avais pour toute expérience que 5,4 heures de formation.

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Preuves à l’appui de mon journal de bord (Log book)

Il revint avec deux plaques d’acier munies d’un anneau et il plaça ces deux poids de 75 lb chacun sur son siège et boucla la ceinture afin que ces deux masses ne se déplacent pas en plein vol. Cela devait le remplacer et maintenir le centrage de l’avion. C’était un beau matin, presque sans nuage et avec un vent minime. Jeannine m’avait accompagné et hasard des hasards, elle avait ma caméra. Les genoux me claquaient tous seuls, mais pas question de lâcher. C’était mon jour J et je savais que cette journée allait marquer toute mon existence, pour le meilleur ou pour le pire. Je fis donc ce qu’il fallait faire.

Prep premier vol solo 1

Méticuleusement, je vérifiai tout sur l’appareil et je me vêtis adéquatement afin d’affronter le froid en haut, même si c’était un 1er août. Puis je me suis assis aux commandes et j’ai commencé à rouler vers le bout de la piste.

départ solo premier 01 août 1984 - 7h10

En roulant vers mon point de départ, j’ai tenu le curieux dialogue suivant avec Dieu et ma défunte grand-mère Mélanie (mon arrière grand-mère). Je dis le Notre Père en appuyant avec emphase sur le « que ta volonté soit faite », mais en espérant que sa volonté ressemble à la mienne et puis je dis à Mélanie : « Pose tes mains sur les commandes et attache-toi bien, on part », puis j’enfonçai les gaz à fond et manoeuvrai si bien qu’à peine après avoir roulé moins d’une centaine de pieds, j’étais dans les airs et je voyais mon instructeur et Jeannine m’envoyer la main et me faire signe que tout était beau. Ce moment ne peut être décrit avec des mots. Même la belle langue française ne suffit pas à exprimer ce que l’on ressent lors d’un premier vol en solo. Pas d’instructeur pour vous conseiller ou corriger vos erreurs, pas de conseil non plus si le moteur décide de faire des siennes, pas d’ami pour vous guider vers un atterrissage réussi. Vous êtes seul, à 1100 pieds dans les airs et là, le plus difficile reste à faire, c'est-à-dire atterrir sans casser du bois. C’est là qu’il faut plonger en sa mémoire, se faire confiance et garder son sang-froid tout en se remémorant les gestes faits avec un instructeur à ses côtés. À plus de 1000 pieds dans les airs, je réalisais avec une émotion indescriptible que pour la première fois de ma vie, le 1er août 1984, à des années lumières de mes rêves d’adolescent, j’étais aux commandes d’un appareil volant au dessus du magnifique paysage du village de St-Lambert de Lévis. Quelques nuages étaient maintenant sous moi. Enfin, je volais.

Alors, comme toute bonne chose a une fin, j’entrepris les manoeuvres d’atterrissage. Je volai en parallèle  avec la piste, par vent arrière, tel que je l’avais appris. Puis je piquai légèrement du nez tout en diminuant la puissance du moteur et j’amorçai un virage en descente sur la droite. Enfin, moteur au ralenti, le nez de l’avion en léger piqué après un autre virage sur la droite, j’étais dans l’axe de la piste et presque en vol plané. C’était là, la manoeuvre la plus délicate.

Premier atterrissage 

Photo réelle de mon premier atterrissage.

Je crois sincèrement que Mélanie y était pour quelque chose puisque jamais je n’avais fait, avec mon instructeur, un si bel atterrissage. À quelques pieds au dessus du sol, je relevai le nez de l’appareil

moi ulm 3 

Et il se posa comme une plume sur l’herbe de ce petit aéroport que je n’oublierai jamais. J’étais fou de joie, je criais mon bonheur et alors que je roulais vers Jeannine et mon instructeur, ce dernier me fit signe de remettre les gaz et de m’envoler à nouveau, ce que je fis avec grand plaisir. Après trois posés/décollés et autant de circuits sans bavure autour de l’aéroport, je roulai alors vers le hangar afin d’apprécier ce moment magique, ce moment que je n’oublierai jamais.

J’avais pour la première fois de ma vie, percé les nuages et je n’avais pas l’intention de m’arrêter là.

01 août 84 (1) 01 août 84 (3)

C’est deux photos témoignent bien de cette journée mémorable puisqu’elles furent prises avant le vol solo et l’autre… après. Là-haut, la température était plutôt froide, mais la sueur sur le front rend bien justice aux minutes magiques que je venais de vivre.

La semaine prochaine, « VOLER POUR LE PLAISIR ».

GG

dimanche 23 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 2 (suite 3)

 

*Comment naît un rêve

De la suite dans les idées.

Dune du Nord d'un ATR 42

Gracieuseté de pilotes qui me comprenaient, voici une photo prise du cockpit d’un ATR 42 de Inter-canadian en décollage au dessus de la Dune du nord aux Îles de la Madeleine.

Évidemment, les années ont suivi et jamais le rêve ne s’est éteint. Après quelques années « olé olé » d’implications politiques estudiantines, j’étais devant un choix qui n’avait rien de dramatique dans mon cas. Toutefois, la balle courbe n’était pas encore passée sous l’élan de mon bâton et elle allait changer tout le cours de ma vie. Au seuil de la possibilité des études supérieures, je cherchais un accès assuré dans une école de pilotage. Les Forces armées canadiennes étant fortement contingentées, surtout pour les francophones, je me suis tourné vers les écoles privées, particulièrement le Moncton Flying Club.

atterrissage Moncton 1978

Atterrissage avec mon frère à l’aéroport de Moncton NB, un certain jour d’hiver 1978.

Les coûts d’un cours professionnel étaient hors d’atteinte pour mes parents à cette époque. J’avais 18 ans à peine et il en coûtait près de 9,000. $ pour l’obtention d’une licence commerciale alors que mon père n’avait comme tout revenu annuel, qu’une somme de 4,200. $ afin de combler tous les besoins de sa petite famille. J’ai alors eu la brillante idée de stopper l’école afin de m’inscrire au sein de la GRC (Gendarmerie royale canadienne) sur un entraînement de policier.

RCMP 1

L’idée était qu’avec un bon salaire et 5 années de respect de contrat, j’allais avoir amplement le temps de me payer le fameux cours de pilote dans une école privée tout en travaillant. Une fois le contrat respecté, il ne me serait resté qu’à quitter ce corps de police afin de travailler pour une compagnie aérienne. Je passai alors tous les tests préalables de la GRC et pendant 9 mois, je fus mis en attente d’un appel. C’est là que la balle courbe est venue. Travaillant comme waiter sur le North Gaspé pendant tout l’été, j’ai eu une alerte cardiaque en plein travail, alors que nous étions heureusement attachés au port de Pictou en Nouvelle-Écosse. Puisque j’étais déjà accepté au sein de la GRC et sur recommandation du médecin, je n’ai rien dit sur cet incident aux autorités policières et en mars de l’année suivante, j’entrais à l’école de police de Regina en Saskatchewan. Tout allait bien jusqu’à ce qu’un jour de congé, mon coeur se mit à battre au repos à plus de 175 pulsations/minutes. Après examen minutieux de la part des autorités de l’école policière en accord avec les médecins, on m’accorda un licenciement médical après un entraînement de 101 jours exactement sur les 206 prévus.

Medical discharge 

Inutile de dire que je ne leur ai jamais pardonné cette décision, surtout que j’étais un excellent élève. Ce licenciement médical allait briser ma vie, mais je n’en étais pas vraiment conscient à cette époque. De la tachycardie et un souffle cardiaque étaient une banalité pour moi et cela ne m’effrayait guère. Quelques années de vagabondage suivirent et à cela s’ajoutèrent un cours professionnel de barman et du travail dans tous les bars des Îles. Puis un jour, des recruteurs des Forces armées canadiennes passèrent une soirée au bar. Après quelques bières, ils m’invitèrent à passer quelques examens et sans révéler mon état médical qui semblait s’être amélioré avec les années (mon état était devenu chronique m’avait-on dit), je passai dans les filets médicaux des FAC et me retrouvai à l’entraînement des officiers à Chilliwack en Colombie Britanique. Malgré un malaise bien caché en mission d’éclaireur dans les Rocheuses, grâce à un ami qui n’a jamais rien révélé, j’ai terminé cet entraînement avec brio et me classai 6e sur 122 candidats pour me retrouver contrôleur de trafic aérien à la base de Summerside à l’Île-du-Prince-Édouard.

Tour de contrôle Summerside IPE 

Tour de contrôle de l’aéroport de Summerside, IPE en 1973.

À peine cette formation terminée, j’ai postulé à un entraînement de pilote et c’est là encore que le tout s’est écroulé. Dans les faits, j’ai raté l’examen médical qui m’aurait envoyé à l’école de pilotage de Cold Lake en Alberta puis à celui complémentaire de Moosejaw en Saskatchewan. J’étais maintenant âgé de 24 ans, marié et je me retrouvais à la case départ. Entre temps, mon frère unique avait pris le même parcours que moi pour arriver à ses fins, mais en passant par la voie de la Sureté du Québec. N’étant pas affligé du même handicap que moi, il gradua de l’Institut de police de Nicolet  et débuta une carrière de policier tout en suivant des cours de pilotage privés dans un aéroclub de Québec. Inutile de dire que j’étais à ses côtés afin de partager ce même engouement. Jamais je n’oublierai son premier vol solo et c’est en sa compagnie, tout comme sous les marches d’escalier alors que nous n’avions pas encore l’âge d’aller à l’école, que j’ai satisfait en partie ma passion pour le vol aérien pendant quelques années.

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Avion identique à celui sur lequel mon frère a fait son entraînement et premier vol en solo.

Le sort m’avait alors amené à Québec ou je fus waiter et capitaine de restaurant au Château Frontenac et puis éducateur dans un orphelinat en banlieue de cette même ville. Toutefois, fatigué de vagabonder de piètres emplois en piètres emplois, je décidai en commun accord avec mon épouse de retourner aux études à temps plein. C’est là que j’entrepris pendant 3 années complètes une formation en communications tout en travaillant à temps partiel dans les médias locaux du Saguenay, puisque j’étais étudiant au Collège de Jonquière. Le sort avait aussi voulu que mon frère, toujours policier, fut muté dans la même région. C’est alors là que nous avons partagé de nombreuses heures de location d’avion à l’aéroclub de St-Honoré et fait ensemble, les pires folies aériennes qui auraient pu nous coûter la vie, chaque fois que le budget le permettait. Le mont Valin, le « trou » laissé par de drame de St-Jean Vienney de même que les fjords du Saguenay, la statue du cap Trinité et le village de Ste-Rose-du-Nord n’avaient plus de secrets pour nous. Je n’avais pas ma licence de pilote, mais mon frère avait la sienne, une licence privée et puis je vous laisse deviner le reste.

low flight 

Photo d’une de nos folies prise par l’amie de mon frère alors que nous foncions directement sur sa maison pour l’impressionner et… oui, oui, c’est bien un fil électrique que nous avons remarqué tout juste à temps avant de lever le nez pour passer au-dessus. Ah les folies de jeunesse.

D’ailleurs, en 1978, nous allions entreprendre pendant la période de Noël, la plus hasardeuse équipée de notre vie à tous les deux et ce en compagnie de nos compagnes de vie d’alors. Toutefois, je ne vous raconterai pas cet épisode puisqu’il fera partie un jour d’un roman jeunesse complet que je souhaite publier un de ces quatre. Disons qu’en quelques jours bien venteux de décembre, en monomoteur, parfois en pleine tempête, nous avons fait un aller/retour entre le Saguenay et les Îles de la Madeleine, avec comme toute expérience pour mon frère, environ 250 heures de vol, pas de certification aux instruments et pour moi, de vieux souvenirs d’opérateur/radio en tant que contrôleur de trafic aérien militaire. Dans le langage aérien, cela s’appelle « jouer avec ses poignées de cercueil » et c’est à peu près ce que nous avons fait, mais nous avons aussi par cette aventure, compris que nous avions tous les deux, l’étoffe de nos héros d’enfance. Cela faisait contrepoids à notre jeune stupidité. Nos pauvres parents sont passés par toutes les émotions pendant cette période, mais impossible de nous arrêter.

Charlottetown UHE 

Au dessus de Charlottetown, direction les Îles de la Madeleine.

IM-UHE

Mon frère prenant soin de notre avion à l’aéroport des Îles en ce mois de décembre 1978. Pas chaud, pas chaud cette journée là.

La semaine prochaine, « Un trou dans les nuages. »

GG

lundi 17 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 2 (suite 2)


COMMENT NAÎT UN RÊVE.
Escalier 1                            
* J’ai souvenir de deux petits garçons et d’une armoire sous l’escalier. Tous les soirs, entre 20 h 30 et 21 h, juste après les devoirs, ils entraient dans ce qu’ils appelaient leur cockpit d’avion et en fermaient la porte. Avec une petite lampe de poche, ils jouaient au pilote et au copilote. Les murs et l’envers des marches de l’escalier étaient tapissés de cadrans dessinés sur papiers et cartons. Leur rêve devenait réalité dans leur tête alors que les sons de leur bouche simulaient les bruits ambiants et les conversations radio avec des tours de contrôle imaginaires des aéroports de tous les pays connus de leur monde. Cela durait des samedis entiers et les soirs de semaine, une demie heure seulement. Vers les 20 h 45, leur père frappait à la porte de leur cockpit et disait : « C’est le temps d’aller vous coucher. Ouvrez cette porte. » Les deux aviateurs savaient qu’ils bénéficiaient encore de 15 minutes de vol. Alors, ils répondaient presque toujours : « OK là, mais on est pas encore atterris ». Et là, s’amorçait un étrange dialogue entre les deux enfants. L’un disait : « Tour de contrôle de Montréal, tour de contrôle de Montréal, ici l’avion CFHA. Demandons permission d’atterrir », et l’autre de répondre : « Ici Montréal à CFHA, permission d’atterrir sur la piste 06 dans dix minutes. Maintenez votre cap et appelez-nous en approche. » Ces deux enfants avaient tellement lu de bandes dessinées et de livres d’enfants sur l’aviation et leurs héros tels Tintin, Buck Dany, Tanguy et Laverdure et d’autres qu’ils connaissaient déjà les premiers rudiments du langage aérien, bien que celui-ci demeurait enfantin. Une fois l’atterrissage toujours réussi, ils sortaient de leur avion imaginaire et allaient se coucher après une petite prière du soir au pied de leur lit… et ils s’endormaient en rêvant du jour où ils voleraient pour de vrai. Ces deux enfants, c’étaient mon jeune frère unique et moi.
Piper sur glace    
J’ai souvenir de jolis avions qui se posaient sur les glaces pendant la fameuse chasse aux loups-marins. Un jour, j’ai compté 19 de ces avions, tous posés sur le havre de Havre-Aubert, juste en face de notre maison, le long du chemin des fumoirs et du petit ruisseau. J’apprenais leur nom par coeur. Ils s’appelaient Piper, Aéronca, Cessna, Tailorcraft et parfois parmi eux, siégeait un gros Beaver. J’avais hâte à l’arrivée de cette chasse tout en étant triste pour le malheureux sort de ces pauvres petites bêtes.
Loups-marins
Chaque matin, ces avions s’envolaient vers la banquise avec quelques chasseurs et ramenaient en d’incessants voyages aller-retour, les peaux de loups-marins abattus sur les glaces.
Piper HAM
Avant la tombée de la nuit ou lorsqu’une tempête s’annonçait, ils ramenaient les chasseurs à la maison. Ces pilotes de brousse étaient de véritables casse-cous. Il leur fallait souvent voler dans des conditions hivernales épouvantables et sans instruments, puis dénicher une glace suffisamment longue pour y atterrir sur skis et ensuite s’envoler à nouveau avec une pleine charge de peaux de phoques. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux connurent accidents et même la mort en compagnie de quelques chasseurs madelinots. C’est à ce moment-là, entre 1963 et 1965 que fut stoppé ce genre de chasse. Mon père nous ayant éduqués à l’amour des animaux et quand même ancien chasseur de phoque se réjouissait de l’arrêt de cette dangereuse activité. Moi je me réjouissais du sort de ces petites bêtes, mais en même temps, pleurait la fin de la venue de ces avions qui nourrissaient constamment mon imagination tout au long de l’année au grand dam de mes institutrices.
1er vol

J’ai souvenir de mon baptême de l’air. Le 3 septembre 1963. Je venais tout juste d’avoir 14 ans et je partais pour le collège classique, précisément au Petit séminaire de Bathurst au Nouveau-Brunswick.  Il fallait respecter la promesse faite par ma grand-mère à quelqu’un qu’elle priait tous les jours : « Lui, le plus vieux des petits enfants, on l’a donné au Bon Dieu. » Plus excité de prendre l’avion pour la première fois que de partir pour le collège, grand-maman ne se doutait pas que le préféré de ses petits-fils n’avait aucunement envie de se diriger vers la prêtrise, mais plutôt vers le gros oiseau sur lequel il prit une première fois la route vers les nuages. Le temps était superbe en ce mois de septembre et pour la première fois de ma vie, j’ai vu les Îles du haut des airs. C’était sublime. Le nez collé au hublot, j’ai tout observé des manoeuvres du gros Dart Herrald de la compagnie Eastern Provincial Airways. Après Charlottetown puis Summerside à l’Île-du-Prince Édouard, ce fut un dernier arrêt à Moncton au Nouveau-Brunswick. À ce stade d’une première expérience, je ne voulais plus descendre de l’avion. C’était trop beau et je considérais mon avenir scellé. Pas question de prêtrise, mais j’étais convaincu que j’allais devenir pilote et rien d’autre. Grand-maman allait être déçue, mais qu’importe. Je savais qu’elle voulait mon bonheur et quelque part, j’étais convaincu que j’allais trouver la bonne occasion pour lui expliquer mon choix. Malheureusement, il fallait prendre le train pendant trois heures avant d’atteindre Bathurst en fin de journée. C’était le début d’une aventure qui allait durer trois années, les années de l’adolescence, les années tristes, folles et riches d’une jeune vie.
À peine sous les draps froids du collège, pleurant en silence sur mon sort, je rêvais déjà du retour à Noël et de ce va-et-vient en fin d’année. Cela faisait 12 atterrissages et décollages par année avec les arrêts à l’Île-du-Prince-Édouard. J’avais tout compté et cela suffisait pour nourrir un rêve, un rêve qui n’a cessé de grandir au cours des années qui ont suivi.
* La semaine prochaine, le rêve continue. GG





lundi 10 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 2 (suite 1)

*J’ai souvenir d’un petit garçon de 5 ans qui voyait de l’enclos de chez son grand-père, un gros avion qui chaque jour atterrissait dans la dune, à moins d’un kilomètre de la maison. Il apprit plus tard que c’était un DC-3 de la « Maritime Central Airways », un de ces avions les plus populaires et les plus fiables qui furent construits depuis les tous débuts de l’aviation. Quand il tournait pour se placer face au vent, ses grandes ailes brillaient au soleil et puis il s’envolait.

Il y a quelques années, j’ai publié ce texte qui n’en demeure pas moins vrai aujourd’hui. En « revoici » tout le contenu.

Comment naît un rêve

Cette histoire vraie est la mienne. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de l’histoire de ma vie, mais bien d’une toute petite tranche de celle-ci. Elle commence à travers les yeux d’un enfant de cinq ans qui ne va pas encore à l’école. Nous sommes en 1954. Pendant l’été, j’habite chez mes grands-parents, presque juste en face de la célèbre sculpture de l’artiste Armand Vaillancourt posée sur ce qu’était la cale sèche de l’Étang au fin fond du Havre-Aubert.

Devant la maison de mes grands-parents côté Sud, il y a un champ de foin, le jardin de ma grand-mère, l’étang puis la dune et son aéroport. Aujourd’hui on appelle ça la plage du Sandy Hook et ce qui servait de piste d’atterrissage sert maintenant de stationnement lors de la tenue de l’événement annuel « Les Châteaux de Sable ».

curieux 2

Il ne suffit que de faire le tour de l’étang à marée basse pour être aux premières loges lors de l’atterrissage quotidien du DC-3 de la Maritime Central Airways, avion de 23 passagers qui fait la navette entre Charlottetown, la Dune du Nord à Fatima et la piste du « Bout du bain » à Havre-Aubert. Chaque jour, je commence par entendre le bruit particulier des deux moteurs à cylindres en étoile qui ronronnent de plus en plus fort jusqu’à ce que le bruit diminuant, apparaisse le gros oiseau de métal, rasant les « butteraux » de sable, moteurs au ralenti, vol plané et qui touche ses gros pneus sur le gravier de la piste rudimentaire presque en face de la maison ou j’habite. Même le cheval de mon grand-père ne semble plus impressionné par le spectacle et continue de brouter l’herbe verte tout en avant de la maison. À croire que je suis le seul fasciné par ce spectacle, je brûle d’envie d’aller voir de plus près ce bel avion, mais je n’en ai pas le droit d’autant plus qu’on m’a dit que cela pourrait être dangereux.

Puis, le bel avion tourne sur lui-même, les moteurs ronronnent à nouveau et les rayons de soleil éblouissent le regard quand ils frappent la surface métallique des ailes, juste avant qu’il s’aligne dans l’axe de départ, droit vers l’Ouest. Alors, le bruit s’amplifie, passe du ronronnement au grondement pour carrément devenir infernal alors que l’avion commence à peine à rouler. Puis il accélère de plus en plus, sa silhouette semble trancher les dunes de sable et tout à coup, il quitte le sol, une roue entre sous l’aile, puis l’autre et le bruit diminue alors que le grand oiseau rapetisse de plus en plus pour ne devenir qu’un petit point à l’horizon.

C’est précisément, un de ces jours-là que j’ai décidé de voler en avion.

Un an plus tard

L’école était pour septembre. J’avais encore tout l’été devant moi pour approcher ce bel oiseau qu’était le DC-3 de la Maritime Central Airways qui se posait dans la dune du Havre-Aubert. Plus vieux d’une année, je pris le risque de traverser la rive de l’étang à marée basse et je me tapis dans le plus haut des butteraux, bien caché dans le foin de dunes (les ammophiles) et j’attendai pendant des minutes qui me parurent des heures la venue de l’avion. Finalement, je le vis qui venait droit du Nord et puis il passa à la verticale de la piste, tourna au- dessus de l’Île d’Entrée pour s’en venir droit sur moi. Du moins, c’est l’impression que j’ai eu même si je savais la piste à quelques centaines de verges de ma position.

 curieux

Mon cœur battait à tout rompre et il était trop tard pour fuir. L’avion approchait plus vite que je ne l’avais prévu et j’eus l’impression que la pointe de l’aile passa juste au dessus de ma tête alors qu’avec une grâce comparable à un goéland qui se pose sur un pont de bateau, il toucha les deux roues avant sur le gravier puis en un petit nuage de poussière, la queue de l’appareil se posa doucement sur le sol. J’étais maintenant à l’autre bout de la piste et comme pour laisser échapper la pression, je courais, sautais, les bras en l’air et dansais comme un indien content d’une bonne journée de chasse.

curieux 1

Une voiture approcha l’avion et une grande porte s’ouvrit. Quelques personnes en descendirent et s’engouffrèrent dans la voiture alors qu’un personnage transportait quelques sacs de toile dans le coffre d’une autre voiture que je n’avais pas vue arriver. Ensuite, une très jolie dame toute vêtue de bleu et avec un drôle de chapeau posé de biais sur la tête, un peu comme une banane, sortit de l’appareil. Deux hommes la suivirent. Tous les deux portaient une casquette bleu azur, l’un était en veston, l’autre en chemise blanche. Celui portant le veston avait des bandes bleu pâle et foncées sur ses manches. Sous le nez de l’avion, ils fumèrent tous une cigarette avant de remonter seuls dans l’avion. Je réalisai alors que je m’étais dangereusement approché de tout ce beau monde et je déguerpis à toutes jambes pour me cacher un peu plus loin dans les branches de pins qui poussaient non loin de là.

Lentement, un des moteurs se mit à tourner puis cracha une grosse fumée blanche avant de s’emballer en un bruit régulier et l’autre suivit aussitôt. Mon cœur battait encore la chamade à la mesure du bruit des pales d’hélices fendant l’air comme des lames de rasoir. Bien caché dans mon sous-bois, je vis le DC-3 prendre de la vitesse de plus en plus, la roue de queue décollant du sol puis ensuite la lente montée vers un ciel plein de nuages cotonneux comme on en voit souvent vers la mi-août.

curieux 3

C’était le plus beau jour de ma vie. J’avais vu de près le plus bel oiseau du monde et j’avais aperçu les hommes et les femmes qui pilotaient ce superbe appareil. Pour moi, ce n’était pas des gens ordinaires. C’était des gens surdoués, des gens extraordinaires, des anges peut-être.

Et j’allais être de ceux-là… quand j’allais être grand… j’en avais la conviction la plus profonde.

Un peu d’histoire

DC-3 Henri Chevrier

Ici, le DC-3 que mon cousin Henri Chevrier opéra aux Îles de la Madeleine dans les années 80, alors que la navigation était fermée pendant les trois premiers mois de l’année. Lui comme mon frère et moi, presque du même âge, avons partagé cette même passion pour tout ce qui pouvait voler.

Peu de choses peuvent être dites du DC-3 qui n’a pas encore fait l’objet de commentaires. American Airlines fut la première compagnie à utiliser le DC-3 de façon commerciale le 25 juin 1936 et la première compagnie à faire un profit sur une ligne passagère uniquement. La ligne New York — Chicago venait de naître.

On utilise encore le DC-3 aujourd’hui pour des raisons utilitaires bien spécifiques. Ses faibles coûts d’opération et sa capacité opérationnelle sur terrains difficiles font que ce cheval de trait aérien possède toujours des qualités que les avions modernes n’ont pas. Encore aujourd’hui, jamais un accident de cet appareil ne fut attribuable à une faiblesse structurelle de cet avion. Un vieil adage dit que le seul avion capable de remplacer un DC-3... est un autre DC-3.

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DC-3

Le DC-3 aussi appelé le C-47 (version militaire) et ses caractéristiques.

Moteurs : Deux 895-kW (1200 HP) Pratt &Whitney R-1830-S1C3G

Performance:

Vitesse maximale de croisière: 207 mph (333 km/h)

Altitude maximale : 23,200 Feet (7 071 m)

Distance avec plein d’essence: 2,125 miles (3 419 km)

Poids à vide :16,865 lb (7 650 kg)

Poids maximal au décollage : 25,200 lb (11,430 kg)

Dimensions:

Envergure: (d’une pointe d’aile à l’autre): 95ft (29 m)

Longueur : 64pi 51⁄2po ( 19,6 m)

Hauteur : 16ft 111⁄2in (5,18 m)

Coûts (en 1935): $138,000

*La semaine prochaine, le rêve continue.

GG

dimanche 2 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 1 (suite 15)

Le jour de vérité

Le lecteur comprendra qu’il s’agit ici d’un montage, car le jour de vol inaugural, il n’était pas question d’avoir le temps de prendre des photos. Mon cerveau était bien trop occupé à autre chose.

premier vol B 
Pendant tout l’été, je me suis familiarisé avec mon avion. C-INNE était devenu l’objet de mes rêves, de mes cauchemars, de mes joies et de mes insomnies. Chaque fois que l’occasion se présentait, je le sortais du garage, vérifiait tout plus d’une fois et puis avec la permission de la tour de contrôle (une station FSS), je roulais sur la piste jusqu’à épuisement, tentant chaque fois de provoquer une glissade, un dérapage et puis une reprise de contrôle. Très vite, je maîtrisai ce poulain au point où je roulais toute la longueur de la piste sans que la queue de l’appareil touche le sol. Je roulais sur deux roues et maîtrisais la direction uniquement avec le gouvernail de queue. J’étais plutôt fier de moi, réalisant que par la force des choses, je jouais pour de vrai au pilote d’essai. Ensuite, j’ai risqué un peu plus de puissance et je me suis retrouvé à une dizaine de pieds dans les airs, toujours dans l’axe de la piste. Un premier petit vol n’a duré que quelques secondes et puis j’en ai refait un autre, puis un autre. Vers le début du mois d’août 1994, j’arrivais à faire quatre petits vols à moins d’une dizaine de pieds d’altitude avec jolis atterrissages, toujours dans l’axe de la piste. En somme, il s’agissait de petits sauts de moutons qui me permettaient de m’adapter à mon environnement de pilote. Pour certains, cela aurait été une réussite, mais je savais qu’il ne s’agissait là que de préliminaires au vrai vol inaugural, celui qu’on n’oublie jamais, et qui allait bien se réaliser un jour.
Le 19 août 1994
Jeannine m’accompagne. D’ailleurs, elle m’accompagne toujours quand je pratique, car elle ne sait jamais si ce sera le grand jour ou pas. Aussi, elle a peur de l’accident fatal et préfère être sur les lieux plutôt que d’attendre mon retour. En silence, elle m’aide à ouvrir les lourdes et grinçantes portes du garage à Craig Quinn. Nous glissons C-INNE sous les ailes du gros Islander bimoteur et puis nous assemblons les ailes de mon appareil sur le seuil des portes du hangar. Je brasse le tout presque violemment tout en me disant que si c’est pour casser, mieux vaut que ce soit au sol. Il règne un drôle de silence, le vent est presque totalement tombé, les maringouins nous assaillent comme des bombardiers de la Deuxième Guerre mondiale. La manche à vent de l’aéroport se soulève à peine et quelque chose me dit que l'heure de vérité est venue. Mon coeur bat fort dans ma poitrine, je l’entends même dans mon casque protecteur. Bon, je démarre le moteur, il ronronne comme une chanson, enfin, comme une casserole, mais d’un bruit normal et satisfaisant. Je m’avance vers la piste et me positionne tout au bout. Je donne un peu d’accélérateur et fais encore quelques sauts de moutons jusqu’en bout de cette piste, puis je reviens vent arrière en roulant jusqu’à mon point de départ. Je me détends un peu et écoute tout bruit qui peut m’avertir d’un problème. Une fois revenu à mon point de départ initial, je vérifie une dernière fois ma radio et j’entends un crépitement. Un hélicoptère militaire appelle la tour de contrôle et s’identifie à la verticale de la tour elle-même et à une hauteur de 4000 pieds ( 1200 m). Il demande ce qu’est cette drôle de machine sur la piste. Est-ce un maringouin demande-t-il? Il ne sait pas que je l’entends et le contrôleur lui répond à peu près ceci : « Ah! ça, c’est une espèce de moustique qui vient ici de temps à autre. Il roule sur la piste, mais on ne sait pas si ça vole. En tous les cas, ça roule bien. »   C’était ce qu’il ne fallait pas dire. De rage, je débranche ma radio et regarde ma montre. Il est près de 19 h (7h pm) et je pousse les gaz à fond. C-INNE accélère comme sur une ligne de départ. La puissance du moteur me surprend et à peine ais-je réalisé la vitesse induite que je suis dans les airs à environ une cinquantaine de pieds (15 m).  Il est trop tard pour revenir en arrière, je vole et plus que je ne le souhaitais. La fin de la piste glisse sous le ventre de mon avion et je suis déjà à 1100 pieds d’altitude (335 mètres) selon mon altimètre. Je stabilise à l’horizontale vers 1200 pieds et l’avion répond à merveille. Cela me rassure. J’ai la main droite toute proche de mon déclencheur de parachute, juste au cas où, puis je me calme. Toujours en ligne droite, je file au dessus de la Petite Baie, tout droit sur la Dune du Nord. Le soleil approche du couchant et brille si fort sur mon hélice qu’il m’aveugle. Je regarde en bas. C’est tout simplement magnifique. L’eau est si claire que je vois le fond presque partout. Je me souviens m’être dit que si ça tournait mal, je pouvais toujours tenter d’amerrir plutôt que de me frotter au dur d’une piste. J’amène le moteur à 4200 tours minute et réalise que je vole à 55 mph (89 km/h) par rapport au vent sous mes ailes. Effectivement, je vole très vite et plutôt bien pour un ultraléger. Comme la vitesse d’atterrissage devrait se situer aux environs de 27 mph (43 km/h), je considère que j’ai une belle marge de sécurité. Bon, il faut maintenant savoir si cet oiseau peut virer, car là, ce sont les dunes devant puis la mer. Il faut revenir et depuis mon départ, je file en ligne droite vers le nord-ouest. Je donne un petit coup sur le palonnier et comme par magie, sans perdre un pied d’altitude, C-INNE tourne sur la droite avec grâce comme sur un rail. Je suis en plein émerveillement. C’est tellement beau de là-haut. Je vois maintenant l’aéroport, la piste, le hangar et puis Jeannine qui gesticule. Elle semble danser, les bras en l’air. Sur la droite, le camion de pompier sort et se stationne juste à l’entrée de la piste. Je rebranche ma radio et j’entends Emmanuel (le conducteur) dire qu’il se positionne là, juste au cas où j’aurais un problème. Je souris et je m’inquiète en même temps, ne sachant si c’est de bon ou mauvais augure. Je regarde autour de moi et mes cadrans plus d’une fois. Tout semble normal. Alors, j’amorce un virage sur la gauche, puis sur la droite, je fais la boucle de l’infini et réalise que j’ai bâti une merveilleuse petite machine volante. C’est le temps de rentrer maintenant. Je longe donc la piste à une hauteur de 1100 pieds, légèrement sur la gauche et par vent arrière. Je réalise qu’en haut, il vente bien plus qu’en bas puisque j’enfile la longueur du champ d’atterrissage bien plus vite qu’avec le vent dans le nez. Comme il faut atterrir face au vent, je vole vers la mer côté sud, puis passe au dessus du dépotoir municipal. Ensuite je tourne vers la droite, direction qui m’amène au dessus du camping de la Dune du Sud. Des gens m’envoient la main et deux cyclistes prennent la route en direction de l’aéroport, du moins c’est ce que je présume, comme s’ils avaient le feu au derrière. Un autre virage à droite et puis je cale le moteur presque au ralenti. Je suis maintenant dans l’axe de la piste et je maintiens la vitesse à 40 mph (64 km/h). Il faut atterrir maintenant et c’est la manoeuvre la plus difficile et la plus dangereuse bien entendu. J’ai de la difficulté à maintenir l’appareil dans l’axe, car un léger vent de travers me déporte vers la gauche, complètement en dehors du tracé. Il me faut corriger et j’approche la piste en crabe, comme si j’allais me poser presque de travers. Je maîtrise bien la manoeuvre et me rappelle les conseils de Paul Pontois en pareille situation. « Maintiens-le en crabe presque jusqu’au sol » m’avait-il dit. C’est alors que je réalise que je suis bien trop haut pour toucher la piste, même en son milieu. Je pousse alors le manche vers l’avant et c’est le plongeon presque à la verticale. Un plongeon qui me surprend et qui a presque fait arrêter le coeur de Jeannine m’a-t-elle dit par la suite. Je redresse à environs 10 pieds (3m) au dessus du pavé, je laisse glisser et comme par enchantement, je sens à peine mes roues toucher la piste, presque en son milieu. Je laisse rouler jusqu’à l’arrêt total et je tourne pour revenir vers le hangar. Je suis aux anges. J’ai de la difficulté à réaliser ce que je viens d’accomplir. Il y a maintenant du monde au hangar. Emmanuel et son camion incendie, les deux cyclistes, dont Émile à Horace et un autre dont je n’ai pas souvenir, ensuite un badaud qui passait par là et puis Jeannine. Je roule encore sur la piste et quand je tourne vers le hangar, j’enlève mon casque et je les entends crier malgré le ralenti de mon moteur. Ils courent à ma rencontre et de peur de blesser quelqu’un je coupe les gaz. Ils m’entourent, poussent C-INNE presque dans le hangar et j’ai de la peine à sortir de mon appareil, tellement j’ai des tapes dans le dos, des félicitations et Jeannine qui pleure à chaudes larmes. Je suis sans voix, soulagé et j’imagine ressentir les mêmes émotions qu’un athlète olympique qui monte sur le podium. C’était ma médaille olympique personnelle. Je l’avais voulue discrète, sans tapage, mais maintenant que c’était réussi, je me souviens avoir murmuré à l’oreille de Jeannine : « J’ai réussi »… et j’aurais pu ajouter sans vantardise : «against all odds – envers et contre tous » puis je me suis mis à pleurer moi aussi. 
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Dernière page de mon carnet de construction

Ceci met fin à la partie 1 de mon récit. La semaine prochaine, je débuterai la partie 2 (probablement plus courte) et qui portera sur l’historique de cette passion dévorante d’une vie et du curriculum qui l’accompagne. Merci à toutes mes lectrices et lecteurs qui m’ont suivi jusque maintenant dans ce récit véridique, tracé au meilleur de mes souvenirs et au fil des notes prises à cette époque.
GG