lundi 28 juillet 2014

Quand la mer parle aux enfants

Justin 1   Justin et la mer

*Petite histoire pour enfants. Adultes, s’abstenir.

Fou de Bassan

 

Un fou de Bassan passe près du navire et Justin n’en revient pas. Ce superbe oiseau de mer lui demande s’il apprécie son voyage à bord de ce grand bateau blanc. Les adultes ne peuvent comprendre, mais il arrive souvent que les enfants découvrent un monde que nous, adultes, refusons de voir. Alors s’amorce un curieux dialogue.

- Et toi l’oiseau, qui es-tu ?

- Je suis un fou de Bassan de répondre le bel oiseau.

- Un fou ?

- Ah non, pas fou du tout. Je suis maître plongeur, grand navigateur sur les lames de l’océan et pêcheur hors pair, surtout quand les hélices de ce gros bateau brasse la mer et fait remonter à la surface toutes sortes de poissons effrayés. Et toi, que fais-tu sur ce navire ?

- Ah moi, j’capote. C’est «cool au boutte» ici à bord. Tu ne peux imaginer tout ce que j’ai vu depuis notre départ de Montréal.

- Tiens tiens, raconte donc ?

OLYMPUS DIGITAL CAMERARencontre capitaine

- D’abord on est partis de Montréal et puis on est passés sous le pont de Québec. J’ai cru que la cheminée allait accrocher tout le pont, mais ça s’est bien passé. Ensuite le capitaine nous a reçu pour souper. Nous étions quatre enfants. Il est bien gentil le capitaine, mais j’avoue que j’ai été impressionné. Il nous a dit qu’à table, il ne faut jamais porter sa casquette, mais nous lui avons demandé de la porter rien que pour nous. On a bien ri. Et puis nous avons mangé des croquettes de poulet, des frites puis de la liqueur.

- Pouah ! –moi j’aime mieux le hareng puis le maquereau.

- Je comprend bien, mais toi c’est pas pareil, tu es un oiseau.

- Et les poulets aussi, ne l’oublie pas. Même s’ils ne volent pas aussi bien que moi.

- Oh pardon, je n’y avais pas pensé. Ensuite, nous sommes allés jouer dans la salle des petits. Il y a des jeux vidéo là dedans. Je me suis même fait une petite amie. Elle s’appelle Cloé et elle vient de bien loin, de la Corse.

Salle de jeux Justin 2

- Ah oui, je connais. C’est beau la Corse. Mon grand-père y a déjà pêché m’a-t-on dit.

- Aussi, Québec est une belle ville, mais ce qui m’a le plus impressionné, c’est l’écluse du Vieux-Port. Je ne savais pas que les bateaux pouvaient entrer et sortir d’un port un peu comme s’ils montaient ou descendaient un escalier.

Écluse

- Vous les hommes, vous inventez toutes sortes de choses. Nous les oiseaux, nous n’avons pas besoin de tout ça. Un bon nid, un «scoule» de maquereaux, un grand plongeon et il n’y a rien de mieux pour te lisser les plumes d’ailes. Bon je dois y aller, j’ai encore faim. Bon voyage mon ami.

- Bon voyage bel oiseau. Moi je suis fatigué maintenant et je dois aller dormir. Je dors dans la couchette du haut. C’est «capotant». Bye.

Justin 3

Eh bien moi, après des journées pareilles, j’suis crevé.

Bonne semaine à toutes et à tous. À la semaine prochaine.

GG

lundi 21 juillet 2014

Tout est question de perceptions

Par Georges Gaudet     georgesgaudet49@hotmail.com

Et si les bateaux pouvaient parler

bateaux 1

Que diraient-ils? Nous n’en savons rien, mais il est probable qu’ils en auraient bien long à dire, tant sur leurs congénères que sur les eaux sur lesquelles ils naviguent, sur les gens de la planète terre et aussi sur ceux qui naviguent sur leurs ponts et coursives.

Le soleil chauffe la peinture sur mes ponts métalliques et toute une population de croisiéristes vient de monter à mon bord. Ils sont soit souriants, soit inquiets, soit joyeux, soit anxieux, soit contents, soit mécontents. Pour résumer, ils sont humains. Chacun de ces voyageurs porte en lui l’histoire de sa vie, tant dans les traits de son visage, la mobilité de son corps que dans le langage de son comportement en groupe. Pendant que mon équipage s’active en mon ventre, que les mécaniciens huilent mes machines, que les femmes indiquent les chambres aux passagers, que mes cuisines dégagent les fumets de repas succulents, j’écoute par le travers de mes tôles ce que ces gens se disent. Les Îles aux veaux, Île aux vaches, Île aux bœufs, passent lentement sur mon flanc tribord alors que cela ne fait qu’environ 45 minutes que mes hélices me poussent en dehors du port de Montréal. Accoudé au bastingage de ma poupe, un homme raconte à un inconnu médusé, des bribes de pensées que la mer, la terre, les humains et les navires lui ont suggérées. Dans le coffret de ses souvenances, il dit avoir ramassé un bagage inouï de leçons de vie, de découvertes humaines et de pensées philosophiques et politiques qui lui rendent la vie non seulement tolérable, mais belle et détachée de ce quotidien terrestre pas toujours agréable.

Il raconte

Montréal est une belle ville. Pleine de trous, de travaux, inaccessibles la plupart du temps par ses ponts et rapides, elle se laisse découvrir pour qui prend le temps de la regarder vivre à son rythme. Son vieux port regorge d’histoire et si on a caché son existence pendant longtemps en essayant de tourner le regard des Montréalais vers la montagne, il est évident qu’aujourd’hui, l’on tente de tourner à nouveau le regard de ces millions d’insulaires vers ce fleuve méconnu, autoroute des découvertes et si essentiel à tout le cœur de l’Amérique. Comme une aorte humaine, il alimente toutes les activités commerciales et de loisirs à partir de la pointe de Gaspé et les rives de la Côte-Nord jusqu’aux Grands Lacs, et de par ces endroits, tout le middle ouest américain, passant par le lac Michigan, le Mississippi et sa sortie dans le Golfe du Mexique. Véritable autoroute uniquement connue de ses proches riverains, il demeure toujours la grande veine économique qui continue de faire ce qu’est notre pays et l’Amérique d’aujourd’hui. Le flot de ses affluents et les eaux en son centre sont partagés entre deux nations et les rives de chacun sont si importantes que les deux pays étoufferaient s’il fallait qu’ils meurent.

À plus petite échelle

Quatre moineaux communs atterrissent devant ma table alors que je rédige ce texte. Deux toutes petites mies de pain sont à mes pieds. Ils se méfient de ce grand pied tout proche de ce repas bien désiré. Un brave s’avance et puis un autre. Le premier partage tour à tour ce gros bout de pâte cuite avec ce qui semble son copain alors que l’autre à tout l’air de ne rien vouloir partager avec qui que ce soit, même qu’il semble prêt à défendre sa trouvaille au prix d’une bonne bagarre. Au fond que je me dis, les animaux sont comme nous. Certains peuvent être généreux, d’autres, bien «cupides». Quelques-uns appelleraient cela la loi de la nature, mais j’avoue ne pas en être certain et du coup, en ce lieu aussi étrange qu’un port de mer, je me demande quand tout ce qui vit sur terre fut plongé dans l’obligation de se battre pour sa survie ou pire, de tuer pour vivre.

Hugo M 1

L’innocence d’un enfant me ramène à l’essentiel. Un petit garçon n’en a que pour les fleurs. Il court vers elles, les touche, leur parle dans son langage unique, rit avec elles et les nomme par leur couleur. Son univers n’est que beautés et découvertes. Le danger n’existe pas encore et la peur n’est pas encore assimilée. Il est l’image du bonheur total, tout comme cet oiseau qui, discrètement, vient chercher sa petite mie dans ma main. Non loin de là, des cyclistes roulent dans un paysage magnifique. Certains ne sont pas pressés et semblent admirer toutes les beautés qui les entourent. D'autres ont vraiment l’air d’avoir peur. Engoncés dans un quelconque habit aux couleurs d’une compagnie, équipés comme des professionnels du Jura français, ils enfilent les sentiers à toute vitesse, brûlent les arrêts et feux rouges au mépris de la plus élémentaire prudence, dépassent sans avertir les cyclistes « normaux » et ne se gênent pas pour assaisonner commentaires désobligeants et prétentieux aux quelques personnes à mobilité restreinte qui tentent de partager leurs parcours. Excusez-les, ils sont pressés. Ils courent, pédalent, suent comme des damnés et semblent se diriger vers un destin dont leur vie en dépend. Ils sont pressés de mourir dirait-on et il est à se demander s’ils n’ont pas envie d’amener d’autres victimes avec eux.

Marché Bonsecours

Assis sur ce banc devant le marché Bonsecours, je me demande pourquoi certains humains n’arrivent pas à s’arrêter un moment, à regarder ce qui les entoure et à lire cette belle leçon que la nature nous donne : « Regarde et apprécie, car ce qui est aujourd’hui ne sera peut-être plus jamais là demain. »

Retour sur le bateau qui entend et parle

Des gens sérieux ou qui se croient sérieux parlent de politique alors qu’ils sont appuyés à mon bastingage. Mes parois en tôles les écoutent. Ils se disent inquiets de tout ce qui se passe en politique du Québec aujourd’hui. Beaucoup de gens sont malades ou portent de graves handicaps. C’est une évidence même que je peux constater quand tous mes passagers embarquent ou débarquent de mon bord. Alors, un de ces hommes dit à peu près ceci : « Se pourrait-il que le peuple ait voté pour trois médecins à la tête de cette province par peur inconsciente de la maladie? Nous savons tous que ça va mal aux ministères de la Santé et de l’Éducation. Nous ne sommes pas un pays en guerre et s’il est une chose dont les Québécois ont peur, c’est bien de la maladie. Alors, ils ont élu trois médecins aux plus hauts postes de l’appareil gouvernemental, croyant ainsi que ces “spécialistes” allaient régler le problème.

Et l’autre homme de répondre : « La peur inconsciente quand elle est habilement manipulée peut donner les résultats les plus surprenants. Nous voilà maintenant avec trois médecins à la tête d’une nation, trois hommes qui demandent à leurs citoyens de se serrer la ceinture et trois individus dont l’un a reçu 1,2 million de dollars pour avoir quitté son poste de président de l’Association des médecins spécialistes du Québec, un autre dont le travail de médecin et de politicien combiné aurait rapporté plus de 200,000. $ d’honoraires « questionnables » alors que le dernier aurait bénéficié pendant huit années passées de certains avantages en des paradis fiscaux.»

Les berges du fleuve pavanaient lentement le long de ma ligne de flottaison et en entendant ces deux hommes, je me demandais pourquoi les médecins faisaient de la politique plutôt que de soigner les malades. Après tout, ce sont les mécaniciens qui réparent mes moteurs, les peintres qui peignent ma coque, les garçons et filles de table qui servent les convives… et ainsi de suite. Le capitaine mène son équipage et moi je vais où il me dirige. J’imagine mal ce qui arriverait à mes vieux membres dans les cales s’il fallait que l’animateur des activités à bord ou un mécanicien dûment diplômé doive m’accoster au quai de Cap-aux-Meules.

Coursive

Un enfant court maintenant dans mes coursives. Il cherche des fleurs, mais n’en trouve pas. Je l’amène aux Îles de la Madeleine. Il en trouvera certainement là-bas. Il découvrira aussi des dollars de sable, des coquillages et surtout, le bonheur innocent de son âge. Serait-ce là la clef du bonheur de tous les êtres humains sur cette terre? – à vous d’y répondre.

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG

lundi 14 juillet 2014

Arthur et diversion dans un fjord

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

Un bateau est une île, une île est un pays.

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Tous les bateaux ont un langage. Il suffit de les écouter. Les uns sont tous petits, fragiles ou très fiables, d’autres plus grands, sont fiers, braves courageux, parfois téméraires, mais la nature a ceci de particulier qu’elle rappelle sans cesse que c’est elle qui maîtrise tout, qui impose ses lois et force la crainte ou l’admiration, toujours selon son bon vouloir. Il y a quelque temps, en une pure fiction bien sûr, j’ai rencontré l’âme d’un navire, la belle âme d’un beau et quelque peu, « vieux » navire. Encore solide, rempli de rêves et d’aventures, il m’a parlé de son existence heureuse, presque toujours assignée à promener des gens d’une île à l’autre, d’un port à un autre, d’un fleuve à un golfe. Ses tôles d’acier toujours solides témoignaient de sa force et l’usure de ses boiseries de son élégance. Son âme se tenait dans le coin d’une de ses cabines et c’est autour d’une bonne bouteille de vin que j’ai écouté sa belle histoire.

Si ma coque est de métal, mon âme, indissociable de celle-ci, est faite d’histoires, d’émotions et d’expériences me dit-il tout d’un coup. Pendant l’hiver, je remplace un traversier et pendant l’été, je promène des gens qui ont toutes sortes de raisons de monter à mon bord. Je suis à la fois le fou du roi qui amuse la galerie et le consolateur des affligés qui soigne les blessures. Et des blessures, il y en a tu peux me croire. J’avais les deux pieds bien ancrés sur son pont numéro 5 et petit à petit ce navire me raconta l’histoire de chacun. Tu vois ce mec là-bas? Dit-il? Il se bat contre un cancer virulent et sait que l’issue est peut-être proche. Il a choisi de monter à mon bord avec son épouse, question d’oublier un peu et de rêver une vie nouvelle tout en se payant le plaisir de dire merci pour celle déjà vécue. La sagesse entoure ses moindres gestes et moi, je veux devenir le meilleur navire sur lequel il a navigué. Et puis il y a cette femme. Remarque comment elle est plongée dans son bouquin. Elle veut être seule, pas dérangée par qui que ce soit et pourtant, elle meurt d’envie de partager avec quelqu’un ce voyage déjà entrepris en solitaire. De l’autre côté de ce couloir de cabines, tu as sans doute remarqué ce couple qui s’embrasse tout le temps. Ils ne sont pourtant pas jeunes, mais je t’assure que leur cœur le demeure. Ils dansent avec adresse et passion sur le parquet de mon salon parfois houleux et leur grâce rend hommage à la beauté de l’amour tout simplement. Ils m’ont dit, par la voix des murs bien minces de leur petite chambre, qu’ils étaient tous les deux seuls en ce monde. Ils souffraient du départ précipité d’un vieil amour et le hasard avait fait que mon passage devant leur chalet respectif le long du fleuve les avait incités à monter à mon bord. Tu sais, ce soir ils danseront tous au salon-bar et le bonheur que mon étrave labourant la mer pourra leur apporter sera une richesse de plus à mon crédit. Je suis ainsi, comme tu vois. Je suis un porte-bonheur, parfois un consolateur des affligés et surtout, un pont entre un bonheur possible et un bonheur réel, vécu dans le présent et qui refusera pour longtemps de mourir dans le souvenir de mes passagers. Les rives du Saint-Laurent n’auront plus jamais cette saveur tiède après qu’ils auront navigué à mon bord et les beautés de la Gaspésie et des Îles de la Madeleine, des fjords du Saguenay et des rives de la Basse-Côte-Nord, ne seront plus jamais que des noms sur une carte, mais bien des lieux tatoués dans leur mémoire, une mémoire qui refusera toujours d’oublier.

Une tempête, un refuge.

Fjord Saguenay

Une tempête s’annonce et je file à l’anglaise dans un port abrité. Le confort de mes vacanciers est plus important que la bravoure d’un défi lancé à cette mer qui me supporte. D’ailleurs, je la connais bien cette mer. Souvent d’une beauté sans pareille, parfois houleuse comme un parcours de montagnes russes et rarement, mais quelques fois dangereusement déchaînée. Alors, là; je garde mes distances et j’admire sa fureur et la puissance de tous ces Dieux olympiens qui ont façonné toutes ces vagues aux couleurs profondes, aux sommets d’une blancheur unique et à la force que seuls, les plus téméraires peuvent affronter, mais jamais sans danger.

Si je suis ainsi, c’est aussi parce que je suis guidé par un fantastique équipage. Mon capitaine est bien important bien sûr. Il est comme un patron, un maire, une personnalité sur terre, mais il n’est pas seul. Toutes sortes d’équipes contribuent à m’aider dans ma mission, soit celle de labourer l’onde de mes puissantes hélices et montrer aux passagers que je transporte, toutes les beautés de ce pays aux milliers de lacs et rivières, d’un grand fleuve et d’une mer s’ouvrant majestueusement sur un océan. Dans mes entrailles d’acier, des gens exceptionnels travaillent sans cesse à la dure tâche de voir à mon existence. Du huileur au laveur de vaisselle, de la femme de chambre au maître des cuisines et son équipe, des ingénieurs aux matelots et officiers, tous sans exception, contribuent au bonheur que je tente de procurer à tous ceux qui ont décidé de monter à mon bord.

Moments de réflexion

Appuyé à la rambarde, j’imaginais facilement ce monologue émanant du navire alors que l’écume de mer dansait le long de sa coque sous les yeux de quelques dizaines de passagers. Je les observais et je me demandais s’ils étaient vraiment conscients de tout le travail et tout le professionnalisme qu’exigeaient leur confort, leur sécurité, leur bonheur en somme. Tiens que je me disais. Combien d’entre eux réalisent toute l’importance des femmes de chambre? Et d’ailleurs, pourquoi dit-on « femmes de chambre » et non pas « hommes de chambre? ». Au pays des égalités souhaitées, des métiers « non traditionnels », se pourrait-il qu’on ait fait un oubli? – un oubli volontaire? Et que seraient ces passagers sans ces femmes? – sans ces personnes qui jour après jour, ramassent nos déchets, nettoient salles de bain, douches et toilettes, balaient chaque espace et surtout, soulèvent quantité de matelas, draps et oreillers pour que nous, les voyageurs, ne souffrions pas du moindre désagrément?

Un peu penaud, je suis retourné à ma chambre, mais non sans avoir salué au passage ces deux femmes de chambre qui ne se doutaient certainement pas du contenu de mes pensées. Une fois bien calé entre deux oreillers, mon ordi sur les genoux, j’ai obéi à ce besoin d’écrire le texte que vous lisez présentement. Le sommeil allait sans aucun doute venir, mais avant de me laisser aller dans les bras de Morphée, je me suis encore abandonné à ce rêve éveillé d’un dialogue avec l’âme de ce navire. Une âme qui me disait essentiellement ceci : « Tu vois, un navire, c’est comme une île. Il est entouré d’eau et subit constamment les assauts de la mer à cette différence près qu’il se déplace sur sa surface. En ce sens, il devient un pourvoyeur de liberté puisqu’une île, quand on peut en partir et y revenir à volonté, celle-ci peut nous sembler paradisiaque, mais si l’on ne peut la quitter, cette dernière devient facilement une prison. Et si belle puisse être une prison, cela demeurera toujours une prison. Je suis donc une île libre, une île comme un pays. Eh oui! Des gens m’habitent, partagent mon espace, voyagent hors mes frontières. Un gouvernement me dirige et des gens travaillent à mon succès. Je procure confort et bonheur à ceux et celles qui veulent bien en profiter et comme tout bon gouvernement, je veille à ce que mes habitants y trouvent chacun et chacune, leur petite parcelle de bonheur.

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Je m’appelle navire ou bateau. Je suis une île qui avance sur l’eau, un pays qui flotte sur frontières entre rêves et réalités. Je suis votre navire de croisières. »

Bon voyage à toutes et à tous.

GG

lundi 7 juillet 2014

Souvenirs fabriqués de vent, de voiles et de feuilles.

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

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Goélettes et petit carnet de notes

Il fut un temps en ce début du 20e siècle, et ce, jusqu’à la fin des années cinquante où leur présence dans les havres des Îles de la Madeleine était omniprésente. Un siècle auparavant, beaucoup plus nombreuses, elles avaient baroudé le long de toutes les côtes des Îles. Chaque printemps, elles étaient plus d’une centaine, la plupart d’origine américaine. Avec chacune un équipage moyen d’une vingtaine d’hommes, elles amenaient aux pêcheurs et commerçants des Îles un précieux apport économique par l’achat de poisson et de biens essentiels à la pêche. Protégées par le traité de Versailles qui avait accordé un droit de pêche aux Américains dans le Golfe, la « descente à terre » de ces « occupants saisonniers » connut aussi sa période sombre et dont il faudrait plus que cette chronique pour traiter du sujet. Je m’en abstiendrai donc, car il est un autre volet beaucoup plus glorieux à propos de ces navires et équipages qui appartient en toute légitimité à de braves Madelinots. Ces hommes à l’eau salée dans les veines, à la ténacité des découvreurs et armés d’une Foi qui les honorait, avaient compris que si les autres pouvaient venir chez nous, pourquoi ne pouvaient-ils pas faire la même chose et tenter de conquérir les routes commerciales, mais à l’inverse.

La BTU

Une toile de la goélette BTU peinte avec fidélité par un de nos grands artistes méconnus aux Îles, monsieur Raynald Verdier

À la fin des années cinquante, les quelques goélettes survivantes de cette épopée portaient les jolis noms de ARIEL, propriété du capitaine Alphonse Arseneau, BTU et MCA, propriété du capitaine Hypolite Arseneau et bien d’autres dont les noms avaient souvent peu d’importance, car elles étaient mieux connues par le nom de leur capitaine. La goélette à Clopha qui en 1942 transporta 102 Madelinots quittant les Îles pour s’établir en Abitibi, la goélette à Taker, connue pour son transport de charbon et combien d’autres dont le modernisme à fini par faire abattre les mâts et transformer en caboteurs jusqu’à ce que CTMA et la Clark Steamship Company finissent par les remplacer toutes.

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Un jour, le hasard me mit en contact avec un vieux carnet de notes dont rien ne pouvait indiquer le trésor historique qu’il contenait. C’est en ouvrant les premières pages que j’ai réalisé à quel point son petit contenu portait en quelques lignes un tracé d’histoire, des bribes de vie illustrant parfaitement la dure réalité de ces marins et propriétaires de goélettes d’autrefois. C’était en 1950. En première page apparait la liste des dettes variant de 50 cents à deux dollars dans le pire des cas. Et puis ces voyages de pêche à Chéticamp et ces achats ou emprunts de filets de pêche. Des dépenses courantes comme l’achat de provisions. 7.60 $ chez Jos Bouffard et 25.20 $ chez George Savage pour la gazoline. Déjeuners payés à l’équipage à Chéticamp : 36 cents à chacun et achat de 6 pains, 96 cents. Ensuite les prises en novembre. En cinq voyages de pêche, on y mentionne 532 livres d’éperlans déposés à l’entrepôt frigorifique de Havre Aubert qu’on appelait le frigidaire.

Au tournant de chacune de ces vieilles pages jaunies, on a l’impression d’entrer dans un autre monde, une autre galaxie, mais toute aussi réelle que notre monde d’aujourd’hui et si différent en même temps. 1950, travail commencé le 10 avril, premier voyage de hareng chargé le 1er mai – parti des Îles le 4, arrivé à Souris le 5, à Georgetown IPE le 6 avec 445 barils de hareng, « over » de 5… ce qui voulait dire 5 barils sur le pont. Deuxième voyage, chargé le 15 mai, partis le 19 et avons fait Souris, Georgetown, Montague, Murray Harbour, Pictou NE et retour aux Îles le 30 mai. Vendus 435 barils de hareng, « short » de 31. Retour avec 44 tonnes de charbon. Troisième voyage : Parti des Îles le 6 juin, arrivé à Pictou NE le 7. En route pour Malagash NE, arrivés le 9 et retour aux Îles le 13 juin avec 46 tonnes de sel… et ainsi de suite en 1951, toujours avec ce parcours à faire rêver les vacanciers d’aujourd’hui et qui était si dangereux et pénible en cette époque pas si lointaine.

Ce petit carnet de notes, c’était celui de mon père. Lui aussi avait possédé sa goélette. Elle s’appelait Grace L. MacKinnon, construite en 1924 à Ingonish Ferry en Nouvelle-Écosse, enregistrée à Sydney NE sous le numéro 152651, elle ne mesurait que 56 pieds et 2 pouces (17 m 12) pour un tonnage de 29 tonneaux. Ce bateau était le bateau de ses rêves. Des rêves qu’il avait élaborés avec ma mère dans les premières années de leur mariage. Je ne peux compter le nombre de fois qu’il nous a raconté à mon frère et à moi les péripéties vécues avec ses frères, André, Pierre et Paul sur cette petite goélette, presque toujours chargée au-delà de ses capacités.

Papa - ateliergoélette maquette

Maquette de la Grace L. MacKinnon une fois terminée.

Au couchant de sa vie, il en a même réalisé la maquette tout simplement de vive mémoire. À part le profond attachement à ma mère, à ses enfants et à sa propre famille, sa goélette avait été son plus grand amour, même si ce vieux rafiot de 26 ans lui en avait fait baver de toutes les couleurs.

Des trésors

Il existe des trésors aux Îles et ces richesses ne sont pas dans des coffres cachés sous terre le long de nos côtes. Ils sont dans les souvenirs écrits ou gravés en mémoire d’hommes et de femmes qui, en leur époque respective, ont façonné ce que nous sommes aujourd’hui. Plonger dans chacune de ces générations passées, c’est réaliser toute l’ampleur du travail accompli, la grande espérance de ces gens à la résilience incroyable et la bravoure sans limites de ces hommes et femmes qui avaient l’air de poteaux plantés dans la mer, capables de résister à tous les vents, à toutes les tempêtes. Il fut des époques oubliées que nous n’avons pas le droit de laisser mourir dans la mémoire universelle.

Jean-Guy Poirier 

Passionné de voiliers d’une époque précédente à celle des goélettes, le Madelinot Jean-Guy Poirier excelle dans l’art de la construction de vaisseaux de guerre des XV, XVI, XVII et XVIIIₑ siècles. Véritables œuvres d’art, ces maquettes n’ont pas de prix, tant sur le plan historique que sur l’ampleur de la passion qui anime ces constructeurs de navires bien particuliers.

Encore aujourd’hui, des passionnés de cet autre monde s’amusent à recréer en miniature cet univers qui ne reviendra jamais. Un univers dont nous ne voudrions pas, tout simplement parce qu’il est comme cette montagne gravie de peine et de misère, de rires et de défis, de joies et d’aventures. Mais cette montagne vaincue sera toujours là et pour longtemps, tout comme un rappel de ceux et celles qui nous ont portés sur leurs épaules, afin que nous puissions continuer notre route, celle initiée par leurs coups de rames assurés.

Il fut un temps où la voile était l’outil de travail d’un peuple de navigateurs. Aujourd’hui, c’est un outil de plaisir et c’est très bien ainsi. Il nous suffit de ne jamais l’oublier.

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG