lundi 30 décembre 2013

Histoire d’une passion Partie 1 (suite 6)

Après la voile, retour à l’atelier

Le 3 septembre 1992. Voilà, j’ai recommencé à travailler sur mon avion. Il faut dire que l’été fut passablement pourri, surtout pour voler, même si j’en avais eu la possibilité. C’est à peine si j’aurais pu voler en deux occasions tout au long de cette saison estivale. J’ai alors remplacé cette frustration par un voyage en Floride d’une durée de 7 jours en fin juin, dont six jours de pluie. J’ai tenté de faire le vide dans mon cerveau pour un moment et dans mon porte-monnaie aussi.

Coup d'coeur 1

Heureusement, j’ai quand même fait beaucoup de voile sur mon petit voilier        « Coup d’coeur», un 18 pieds cabiné avec deux couchettes d’un confort relatif. Les vents, la pluie de même que le froid furent souvent mes compagnons de fortune.

Coup d'coeur 2 Coup d'coeur 3

D’un aviateur de rêve, je suis devenu navigateur amateur pour de vrai. Malheureusement, tout cela a coûté bien cher. Marina, spectacles estivaux, bouffe, visite de la parenté, voyage dans le Sud… ouf! En vérité, je n’ai pas mis un sou de côté pendant toute cette période, tant et si bien que je me demande comment je vais faire pour terminer la construction de mon avion C-INNE sans faire de dettes.

Fuselage

L’ambition est toutefois revenue dans mon atelier. À peine j’avais terminé la découpe initiale d’un seul côté du fuselage que je m’amusais à imaginer ce que cela allait être une fois le travail terminé. 

Fuselage 1

Hier soir, j’ai terminé les longerons du bas du fuselage. Là, j’arrête un peu pour la fête du Travail, question de faire encore un peu de voile de fin de saison. Finalement, c’est le 8 septembre que je recommence pour de vrai ma routine de construction.

Fuselage 2  Fuselage 3  

Le fuselage devient le nouveau défi. Il le faut droit, solide et léger. Toutes ces caractéristiques me semblent contradictoires. Lignes de références, niveau et attaches temporaires deviennent une véritable obsession. Sur la dernière photo, vous pouvez remarquer les quatre tiges parallèles. Pas besoin de spécifier qu’elles ne doivent pas comporter de noeuds puisque ce sont les seules structures sur lesquelles la structure centrale de mes ailes ne sera non pas attachée, mais bien… collée. En aviation, les vis dans le bois sont pratiquement interdites puisque la vibration risque d’agrandir les perforations alors que ce n’est pas le cas pour la colle époxy. D’ailleurs, J’ai commandé deux litres de T-88, la meilleure colle de structure qui soit. ( 22.$) pour les deux litres et 84. $ pour le transport, car considérée comme produit dangereux. Du vrai vol et pas dans les nuages celui-là.

Fuselage 5 

Mes structures d’ailes sont terminées, la partie centrale aussi, l’empennage arrière et une partie du train d’atterrissage. Reste le fuselage, le sablage, le peinturage, le recouvrement de la cellule, le moteur, le parachute et la radio… ouf! Je suis conscient que je ne suis pas au bout de mes peines. Première difficulté : Comment payer tout cela? 2.— Trouver un moteur adéquat sans casser ma tirelire et ne rien sacrifier à ma sécurité. 3.— Et la radio? 4.— Et le parachute éjectable. Un bijou de 2500. $. Il s’agit d’une belle assurance-vie, mais elle n’est pas donnée celle-là.

Pourtant, je me souviens de ce matin d’il y a quelques jours, précisément le 4 septembre dernier, j’aurais pu voler parmi les nuages stables, pleins de grands trous au dessus de Havre-aux-Maisons. Ah que c’est beau de rêver.

Fuselage 4

Maudit que j’ai hâte que ce soit pour de vrai.  

À la semaine prochaine, amis et amies bloguistes.

GG

dimanche 22 décembre 2013

Histoire d’une passion Partie 1 (suite 5)

Printemps 92 et demie satisfaction

Les choses se précipitent. Je dois reprendre mon travail régulier en plus de donner des cours de photos à un groupe d’adultes en soirée. Le temps me manque pour avancer dans mon projet. Je sens les beaux jours arriver et je devrai travailler jours et soirs en plus d’assumer des obligations professionnelles sur appel. Il ne restera alors pas beaucoup de temps pour bâtir cet avion. Mercredi le 20 mai, les choses sont allées rondement dans l’atelier. Physiquement, je ne suis pas crevé. « Lessivé » serait un mot plus exact. Alors, je décide de ralentir la cadence et m’amuser un peu en dehors de mon projet, du moins pour la période de l’été à venir.

Coup d'coeur 4

Je suis propriétaire d’un joli petit voilier de 18 pieds appelé « Coup de Coeur » qui est presque ma consolation de ne pouvoir voler. Une voile n’est-elle pas une aile verticale qui se meut selon les mêmes lois aérodynamiques qu’une aile d’avion?

La structure du  centre d’ailes est bien terminée

Voilà qui me rassure à propos de l’évolution de mon projet.

A 1Norbert termine avec moi cette fameuse structure. Je ne peux dire principale pas plus que capitale puisque chaque pièce entrant dans la construction d’un avion a son utilité et demeure de la plus haute importance. Ici, nous terminons le collage des pièces de torsion et contre torsion de la partie centrale. Norbert sera absent pour l’été, car il reçoit de la visite et opère un petit B & B. De plus, son diabète le fait souffrir et une condition cardiaque l’empêche de travailler aussi ardemment qu’il le souhaiterait.

A 2A 4Sur deux chevalets, je sors les structures d’ailes et les assemble sur toute leur longueur. Cela fait 30 pieds (9,14 m) d’envergure et tout cela doit tenir un passager, un fuselage d’avion au complet, un moteur, un réservoir d’essence, un train d’atterrissage, des instruments, un parachute éjectable et le tout recouvert d’une toile noyée dans 3 à 5 couches de peinture. Je suis plus que satisfait de l’angle de mes ailes (on appelle ça le « dièdre ») dans le monde de l’aviation. Si à la source vous vous trompez d’un demi-degré, le bout de l’aile comparé à l’autre bout peut représenter une erreur qui rend l’avion presque impossible à voler. Autrement dit, sur une surface plane, les bouts des ailes doivent être à égale distance du sol sans aucune marge d’erreur.

A 3Alors, je me place au centre et me suspends sur toute cette structure supportée par deux chevalets. Mon père me voit de la fenêtre de sa cuisine et se demande ce que je fous, suspendu entre deux chevalets sous les squelettes des ailes de mon avion. Il sort de chez-lui et vient voir ce que je fiche là, suspendu sous mes ailes, exactement là ou devra être le fuselage. Je rigole en voyant l’air qu’il affiche sur son visage alors qu’il arrive sur les lieux et puis je lui explique, ce qui semble le rassurer un peu. Je me souviens de sa réflexion : « Sais-tu que ça n’a pas l’air solide, mais c’est solide… quand même ».

Ensuite je démonte le tout et range toutes les pièces dans l’atelier pour tout l’été. Mon travail professionnel monopolisera certainement la plus grande partie de la belle saison. Heureusement, je bénéficierai quand même de 15 jours de vacances.

Moi Coup d'coeurIl ne me restera alors que quelques heures par semaine afin d’apprécier les plaisirs de la voile, un plaisir qui dans mon échelle de bonheur en biens terrestres, arrive au second rang de tout, pas très loin du plaisir de voler bien sûr. Je passerai donc l’été 1992 entre le bureau, les appels d’urgence et quelques promenades à la voile entre Cap-aux-Meules, Havre-Aubert et l’île d’Entrée.

La semaine prochaine : « Retour à la case… on continue, mais “il n’y en aura pas de facile” comme a dit un certain entraîneur des Canadiens de Montréal.

JOYEUX NOËL À TOUS ET À TOUTES….en 2013.

 

dimanche 15 décembre 2013

Histoire d’une passion, Partie 1 (suite 4)

Construction et belle amitié
Je ne peux exposer les prochaines photos sans expliquer le rôle primordial qu’a eu mon ami Norbert Dufourneau que je surnommais à la blague « micro-ondes ». Norbert était un « Pied noir » expatrié en France après la guerre d’Algérie et puis comme il le disait : « échoué aux Îles ». Ingénieur de formation, passionné d’aviation et d’une santé précaire, il s’était mis en tête que si je réussissais mon projet, c’était comme si je complétais ce qu’il n’avait pu réaliser alors qu’il était plus jeune. Au hasard d’une rencontre dans un café, il était entré dans ma vie. Je devrais dire dans « notre vie », celle de Jeannine et moi. Mon projet et mon atelier constituaient presque la totalité de ses intérêts quotidiens alors que les « muffins » aux carottes que Jeannine lui concoctait et qu’il appelait des « mu-fins » étaient devenus une source d’affection et d’admiration sans bornes pour cette dernière. Norbert avait un coeur d’or et physiquement, un coeur mal en point. Âgé d’à peine le début de la soixantaine, il n’avait qu’une obsession; toujours être vivant en l’an 2000 pour voir ce qui allait se passer dans l’univers.
 P 9

Norbert Dufourneau

Extraits de mon registre de construction
27 avril 1992 (après 337 heures de travail) Depuis le 11 mars que Norbert Dufourneau vient m’aider chaque soir, fidèle au poste comme s’il était mon employé. Ce n’est pas toujours facile de travailler avec lui, mais quelle aide il m’a apportée. Sa passion pour l’aviation, son expérience de vie, sa frustration de n’avoir pu réaliser ce que je suis en train de construire le pousse souvent à vouloir prendre le leadership du projet. Au début, il a fait son nid en s’imposant presque. Aujourd’hui, je me sens égaré sans lui. Son aide m’est devenue très précieuse. Il est ma troisième main, mon cahier de révisions, mon correcteur et souvent mon directeur de conscience quand je veux aller trop vite. Son effet catalyseur m’a fait oublier le temps, prendre confiance en mes moyens et réaliser que je ne suis plus tout seul avec mes idées « un peu bizarres ».
L’homme est ainsi fait. Il a besoin de ne pas se sentir seul, même dans ses rêves les plus fous. C’est justement là qu’il a besoin de se sentir épaulé. Avec l’appui inconditionnel de Jeannine, puis l’aide précieuse de Norbert, je peux affirmer aujourd’hui que je commence vraiment à croire que mon « Sky-Pup » maintenant  officiellement identifié C-INNÉ et qui sera baptisé plus tard «Idéfix» volera avec moi à son bord dans le beau ciel bleu des Îles de la Madeleine.

La vraie construction des ailes commence
Avant toute chose, quelques mots de vocabulaire s’imposent.
Bord d’attaque : L’avant de l’aile. Partie qui fait face au vent.
Bord de fuite : L’arrière de l’aile.
Longeron de structure : La structure principale interne.
Intrados : Le dessous de l’aile.
Extrados : Le dessus de l’aile.
Une aile
Enfin, mes attaches d’ailes sont terminées. Il faut maintenant construire tout autour du longeron pour que les ailes prennent leur forme. Paul Pontois m’a appelé en soirée pour me dire qu’à cette étape, la partie principale et la plus importante de mon avion était réalisée. Pourtant, rien de tout ça ne ressemble à un avion. « T’en fais pas. Quand ça va commercer à ressembler à un avion, c’est qu’il sera presque terminé » qu’il me dit.
P 1
Norbert s’y met sur le sablage. Il faut que tout soit extrêmement droit et doux pour y poser le contreplaqué par-dessus le moule permanent en styromousse. Il faut tailler 20 formes du bord d’attaque pour chaque aile mesurant 12 pieds (3,65 m) de longueur et le tout doit être parfaitement aligné.
P 2
Voilà, le bord d’attaque est recouvert de contreplaqué d’une épaisseur marginale de 1/32e de pouce d’épaisseur (grade aviation)… et très coûteux. /50.$ pour 16 pi,ca (1,5 m² ).
P 3P 4
Là c’est du sérieux. Il neige dehors, il fait chaud dans l’atelier. C’est le temps de placer les moules permanents de l’aile à l’arrière du longeron, le tout collé dans l’époxy.
P 5 
Jeannine joue la photographe avant d’aller cuisiner les « obligatoires (mu-fins) ».
P 6P 7
Remarquez la ligne de référence posée sur le plafond de l’atelier. Tout doit être immobile et surtout parfaitement aligné. Le moindre désalignement donnerait une aile au profil tordu. Une aile ainsi, même dans l’erreur la plus minime, aurait pour conséquence de forcer le pilote à constamment corriger sur les commandes, que ce soit en montée, en descente ou en virage, ceci sans compter un danger de décrochage accentué (perte de portance).
P 8
 Voilà, les deux structures d’ailes sont maintenant terminées. Le bord d’attaque est scellé, mais avec quelques trous d’aération (1/4 de pouce…0,6 cm), les attaches d’ailes sont parfaitement encastrées dans toute la structure, les nervures (les côtes en styromousse) qui donnent la forme définitive aux ailes sont toutes alignées et bien collées en plus de la boiserie parfaitement droite qui en ferme le bord de fuite. Reste maintenant à remiser le tout hors d’atteinte afin de passer à la réalisation du centre structurel sur lequel viendront s’attacher dans un angle de 6 degrés les fameuses attaches dont je suis plus que rassuré et satisfait. À ce stade, Paul Pontois m’annonce que 50 % de mon avion est construit. Pourtant, les ingénieurs qui ont dessiné les plans affichent un temps de construction de 300 heures. J’en suis rendu à 356 heures et j’ai de la difficulté à concevoir que 50 % des travaux sont effectués. Enfin, nous verrons. En attendant, il est temps d’aller goûter les « mu fins » de Jeannine.
À la semaine prochaine pour la construction du centre de ces ailes si précieuses.
GG












dimanche 8 décembre 2013

Histoire d’une passion, Partie 1 (suite 3)

 

Attaches d’ailes et états d’âme

*Le 1er février 1992, j’ai comptabilisé plus de 137 heures de travail sur mon projet et j’ai l’impression de ne pas avoir avancé d’un pouce. Après avoir écouté tous les prophètes de malheur qui sont venus me visiter, je doute de tout, ce que je n’aurais jamais dû faire. Hélas! le mal était déjà fait. Alors, je me fabrique avec du vieux bois un longeron aussi mince que possible d’une longueur de 8 pieds. Je colle le tout « en sandwich » sur un bloc de styromousse de même volume que celui qui sera sur mon avion. Puis je le suspends entre deux chevalets et saute dessus à pieds joints d’une hauteur de 3 pieds. Il ne craque même pas. Résultat, je me foule la cheville et je dois dire que je n’ai jamais été si heureux d’avoir la cheville foulée.

Mais pour voler, ça prend des ailes.

… et je n’ai même pas encore réussi à faire fabriquer les attaches de ce qui n’existe pas encore. Heureusement, la membrure de queue de l’appareil est terminée et quand je suis au bord de tout lâcher, je regarde le travail et décide de continuer.

scan0057 

Question de garder la forme, où plutôt la passion du vol, je profite de toutes les occasions pour voler. Ici, à bord d’un hélicoptère en direction des loups-marins.

Hélico aa Hélico bb

Le pilote m’offre le plaisir de voler juste au dessus de ma maison et de mon atelier à Havre-aux-Maisons. Je me jure qu’un jour je ferai la même chose, mais à partir de mon propre avion. En attendant, je m’imprègne littéralement de ce merveilleux paysage.

… extraits de mon registre de construction.

Lundi, je me suis dit que je m’imposais trop de pression. Il est vrai que je me sens pressé par le temps. La future règlementation ministérielle de janvier 1993 risque de m’empêcher de voler si je ne réalise pas la totalité de mon projet avant la fin de cette année là. L’été sera vite venu et court, puis on ne fait pas la mise au point d’un tel projet en automne avec les grands vents des Îles. Toutefois, je réalise que je n’arriverai à rien si je m’épuise. Je relis donc mon cahier de construction. Premier conseil sur la première page : « Prenez autant de plaisir à construire votre avion que vous en aurez à le voler. » Il faut donc que je travaille autant sur moi-même que sur mes plans. Je sais avoir l’âme d’un créateur, mais je n’ai certainement pas la patience du bricoleur. Heureusement, je suis perfectionniste et les demi-mesures me répugnent. Le travail que je fais est bien fait, mais hélas, celui que je dois faire exécuter par ceux qui ont des outils spécialisés demeure pour le moins, médiocre. De plus, je ne peux pas me permettre l’achat de plus de 3000. $ d’outils pour un avion d’environ 8000.$ en tout. Souvent, je songe à tout abandonner et me financer à grands frais un avion tout neuf, mais je ne suis pas certain que la Caisse populaire accepterait, compte tenu de l’originalité d’un tel achat et surtout… de mes revenus et mon avoir en caisse. … fin de l’extrait du registre.

Les amis

Heureusement, ils sont là aussi et jamais je n’oublierai ces types. De loin, ils ont fait contrepoids aux autres visiteurs qui, sans mauvaises intentions, sont venus m’annoncer tous les malheurs de la terre. J’en étais arrivé à croire que notre nature « Bretonne » était véridique et que la seule peur que connaissaient les Madelinots, tout comme les Bretons dans « Astérix », était que le ciel leur tombe sur la tête. André St-Pierre, Paul Pontois, Newton Borden, Jacques Gagné, Raymond Landry et mon grand ami, Norbert Dufourneau furent de ceux qui ont été les piliers de mon courage. Sans eux, je n’y serais certes jamais arrivé.

St-P 1 a  

André Saint-Pierre et son Sky Pup propulsé par un petit moteur allemand de 23 hp, un Koenig. Il a peint son appareil les couleurs du drapeau du Québec et lors d’une démonstration aérienne à Trois-Rivières, il est allé se placer juste en avant d’un Tudor des Forces Aériennes Canadiennes.

De nombreux constructeurs de d’autres modèles tentent de m’encourager aussi. Ils m’envoient des photos de leur projet avec des petits mots d’encouragement. La communauté des constructeurs d’avion est bien petite et forme une belle fraternité.

F 2 

J’ai oublié le nom du constructeur, mais quel bel avion. Un Fisher 303. Si c’était à recommencer, c’est exactement l’appareil que je me construirais.

Newton 2 

Newton Borden, un Américain du Maine construit un appareil semblable au mien. Ici, il me fait parvenir des photos de l’évolution de la construction de son fuselage.

PP 2

Paul Pontois, mon mentor le plus assidu en est à sa deuxième construction. Il a vendu son Sky-Pup et ici, il construit un Hi-Max à partir de plans seulement. La quantité de bois nécessaire à la réalisation de ce projet est tout simplement phénoménale.

… encore des extraits du registre de construction.

Raymond Landry me rend visite. Il m’encourage à continuer. Merci Raymond, j’avais vraiment besoin de cela. Quand il quitte mon atelier, je suis redevenu convaincu que je peux construire cet avion, mais à condition que toutes les pièces qui demandent une très haute précision soient parfaitement exécutées par ceux qui ont les outils « essentiels » pour les réaliser. Bien sûr, il s’agit toujours de mes attaches d’ailes (métal et bois). Jusque maintenant, je commence vraiment à croire que nous ne parlons pas le même langage et que pour ces travailleurs qui se disent spécialistes, le mot « parfait » est synonyme de « à peu près ».

En après-midi, je rencontre Norbert Dufourneau. Lui aussi m’encourage à continuer. Avec lui, je ramasse toutes mes pièces médiocrement réalisées et nous nous rendons chez un de ses amis, un machiniste « Madelinot » supposément d’excellente renommée de la part des pêcheurs. Il s’appelle Jean Leblanc, il a mauvais caractère, il n’aime pas se faire bousculer, mais il m’assure qu’il pourra faire aisément le travail. Le jeudi soir, Norbert revient à mon atelier et ensemble, avec des limes en « queues de rats », nous retravaillons les parties boisées des fameuses attaches d’ailes. Lundi, j’apporte le tout au machiniste Jean Leblanc afin qu’il comprenne le pourquoi des mesures exigées et il s’en réjouit. Tout devrait être réalisé dans les 15 jours qui vont suivre. En admettant que ce soit exact, tout le reste ne dépend que de moi et… CTMA. Je croise les doigts et j’espère que cette fois-ci, j’ai trouvé le Madelinot qui sait exactement ce que veut dire « travail parfait ».

Extraits d’états d’âme (février 1992)

Pendant ces longues heures de collage, sablage et vernissage de petites pièces qui éventuellement seront essentielles dans l’assemblage final de tout ce casse-tête volant, mon imagination vagabonde au gré des nouvelles de l’heure et aussi de mon humeur. Il m’arrive alors de réfléchir profondément aux choses de la vie, à la mort, la condition masculine, l’amour, les femmes, la politique, l’amitié… etc. et bien sûr je n’ai rien résolu. Cependant, comme le confirmeraient certainement les humoristes « Ding et Dong », l’exercice était « songé ».

Conclusions de cette époque :

Les politiciens sont tous des manipulateurs, notre condition de « mâlitude » en a mangé une claque depuis les 20 dernières années, surtout depuis le crime odieux d’un certain Lépine. Certaines autorités féminines de la province en sont presque venues à dire que tous les hommes étaient des assassins en puissance, un concept que je n’arrive absolument pas à coller à ma nature. Je pense aussi que vivre dans la différence des autres, c’est automatiquement se condamner à la solitude (un dur prix à payer)… et si la mort était ce qui arrive de mieux à l’être humain??? Les femmes nous ont demandé de changer (nous les hommes), mais pour devenir qui ou quoi?. Dans mon atelier, chaque fois que ce sujet surgit « entre hommes », je perçois de la bonne volonté, mais une incompréhension totale quand ce n’est tout simplement pas un désarroi total. Alors comme font probablement tous les hommes de la Terre… on change de sujet.

… heureusement, Jeannine est là… différente des autres… Et puis « maudit » que j’ai hâte de voler.

À la semaine prochaine, car… l’aventure continue.

GG

dimanche 1 décembre 2013

Histoire d’une passion, Partie 1 (Suite 2)

Les attaches d’ailes me font «freaker».

skp35 Plutôt réussi cet appareil. Malheureusement ce n’est pas le mien, mais j’ai quand même l’intention d’en faire autant. Celui-ci à remporté un premier prix lors d’un meeting aérien à Oshkosh au Wisconsin.

attaches d'ailes  *Le bleu est de la styromousse, le jaune est du bois et le blanc entre les deux, en haut et en bas, ce sont les attaches d’ailes.

Difficile de montrer les photos intéressantes d’un produit fini quand on commence avec des plans, mais ne vous découragez pas chers lecteurs et lectrices (j’espère qu’il y en a quelques unes), je vais y arriver un jour.

Pour le moment, je doute de mes attaches d’ailes et je doute de la lecture de plans que j’en fais. Alors, je téléphone à mon ami Paul Pontois et encore une fois il me rassure. Ça n’a pas l’air solide, mais c’est comme du roc. Selon lui, ma lecture était bonne et comme son appareil à cinq ans, je me dis que cela doit être bon. Par contre, comment en arriver à faire fabriquer aux Îles de la Madeleine 16 plaques de métal d’une similitude parfaite, d’y perforer 64 trous d’une exactitude et d’un alignement parfait en plus de 8 trous un peu plus grands, mais avec la même exactitude. De plus, entre ces plaques de métal, je devrai insérer en 8 endroits, des blocs de bois de 4 pouces de large perforés sur toute cette largeur et toujours en plein alignement avec les plaques métalliques. Le tout devra être calé dans le corps de styromousse et encapsulé entre 8 petites plaques de contreplaqué d’à peine 1/16e de pouce d’épaisseur. « Ne te presse pas pour faire fabriquer ces pièces me dit Paul. Tu auras l’impression de ne pas avancer d’un pouce dans ton projet, mais ce sont les pièces les plus importantes et il faut que le travail soit parfait. » Donc, entre-temps, je m’invente un système de fil chauffant pour couper dans la styromousse et puis je pars à la recherche du bon machiniste en plus de commencer à tailler dans la première pièce de bois qui doit constituer le dessus et le dessous du longeron principal de mon aile, soit quatre planches de bois extrêmement minces de 4 pouces de large à une extrémité et un pouce de large à l’autre bout. Comme débuts d’une construction, cela aurait pu se passer autrement.

longerons 

Extraits de mon registre de construction

Je commence à couper dans mon bois de longeron. La compagnie « Wicks » l’a tranché à 1/4 de pouce d’épaisseur. Je n’aime pas la qualité du bois, car le longeron de dessous et celui du dessus ne sont pas de la même couleur. Je coupe et puis je commence par une grosse erreur. Trop tard, mon longeron est perdu. Je vais donc chez Martin Lafrance, un charpentier. Je lui demande du sapin. Il n’en a pas. De l’épinette non plus. Du pin, oui il en a. Je vide presque son atelier de madriers pour trouver des lisières de bois sans noeud que je devrai laminer pour mon longeron supérieur. Martin travaille trop vite. J’ai beau lui dire qu’il faut être méticuleux, les épaisseurs varient avec son humeur. Finalement, j’amène le tout chez moi puis j’abandonne et me résigne à commander une nouvelle pièce de chez « Spruce and Spéciality » de Californie. Le plus « amusant » est que ce bois vient de la Colombie Britanique et en passant par les É.-U., il me faut bien sûr payer des droits de douane exorbitants. Je commande une épaisseur de 5/16e de pouce. Cette petite erreur de ma part me coûtera plus de 500.$ une fois tout payé. Cela va retarder mon projet, mais en attendant, je ferai tous les « nic nac » qui sont possibles à réaliser. Les membrures de la queue verticale et horizontale sont faites puis bien remisées.

attaches d'ailes 1 Quant aux attaches d’ailes, impossible de trouver sur toutes les Îles une « pressdrill » capable de perforer un trou droit de 4 pouces de long par 3/8 de pouces de diamètre. Après deux ou trois trous, l’alignement fout le camp. Encore du bon bois pour la « scrap ». Enfin, je trouve un artisan du bois pas pressé qui me dit qu’il va faire de son mieux. Quant aux plaques métalliques, un machiniste me dit qu’il prend cela pour un défi personnel, mais qu’il faut lui donner du temps, soit deux semaines au moins.

 Longeron centralEntre temps j’ai coupé dans la styromousse et collé tous les longerons de 12 pieds de long, 4 pouces d’épaisseur et 9 pouces de hauteur, le tout collé à l’époxy « West Époxy System » à 150. $ le gallon. Ensuite, j’ai assemblé la partie centrale en styromousse d’abord avant de passer au recouvrement en bois. C’est sous cette partie que tout le fuselage doit être collé et attaché.

Profil d'aile Enfin, avant de terminer ces travaux, j’ai dessiné sur du bois pressé la forme transversale de mon aile et j’en suis assez fier.

Anecdotes

Mon confrère de travail Adé Deveau m’a dit que mon projet était un « faiseur de veuves ». François Arseneau est venu me rendre visite dans mon atelier. François est un bon ami, mais il m’a quand même dit en riant : « On va se dire entre nous autres : – c’était un bon gars. » Papa est venu me dire que j’allais « me casser la gueule avec ça… si ça a de l’allure, un avion en styromousse ». Pauvre papa. Son amour pour ses garçons et sa terreur de tout ce qui vole l’ont toujours empêché d’accepter que ses deux fils soient des aviateurs. Il n’a pas compris en 42 ans qu’il est plus dangereux de mourir du coeur ou d’un cancer créé par le stress et l’anxiété que de tomber du ciel. Bien sûr que « je peux me tuer avec ça », mais je n’en ai nullement l’intention. C’est plutôt pour vivre heureux et bien dans ma peau que je souhaite cette expérience. J’avoue cependant que dans un tel contexte social et familial, il est bien plus difficile de ramer à contrecourant de ces opinions que de construire un avion, si compliqué soit-il.

« Mais je tiens à l’affirmer solennellement ici dans ce cahier de construction. Je construirai et volerai mon Sky-Pup au-dessus des Îles envers et contre tous. Qu’on se le dise… et que Dieu me vienne en aide.»

… fin de l’extrait rédigé le 13 janvier 1992.

À la semaine prochaine.

dimanche 24 novembre 2013

Histoire d’une passion, Partie 1 (suite: 1)

 

Extraits de mon registre personnel de construction

Plans 2

Le 23 décembre 1991, je recevais mon bois commandé chez « Wicks Aircraft ». Une longue boîte de 14 pieds (4,2 m) et deux petits contenants en carton. Coûts approximatifs : 1500. $. Il faut dire que 15 jours plus tôt, je m’étais enfin décidé à construire mon avion, cela dit en désespoir de cause. Les ULM’s sur le marché usagé me semblaient pourris ou du moins leurs vendeurs alors que les modèles neufs étaient hors de prix.

Le 26 décembre au matin, je déballe le tout. Des planches de bois, des écrous, des vis, des câbles… etc. C’est peu pour si cher. Rien de précoupé. Juste du bois en tranches minces de 3/16 et 5/16 de pouces d’épaisseur. Il faut dire que ce bois devait être spécial pour entrer dans la construction de cet avion. Du « spruce », autrement dit de la pruche ou du sapin si on se fie à la traduction. Il doit être totalement exempt de noeuds et avec des lignes longitudinales qui ne se séparent pas de la pièce maîtresse sur une longueur minimale de 15 pouces (38 cm). Bon va pour la technique, mais c’est dispendieux quand même. Quant aux pièces de métal, aux poulies, roues, instruments, toile de recouvrement, réservoir d’essence, siège, styromousse, époxy, colle structurale et… moteur, il faudra ajouter le tout au prix initial de cette boîte arrivée des É.-U.. Je suis toutefois comme un enfant après le passage du père Noël. Rentrant de l’atelier, tard en soirée, je dis à Jeannine : « C’est le plus beau cadeau de Noël que j’ai jamais eu ».

Plans 1

Pendant la période des Fêtes, je consacre tout mon temps à lire les plans puis à préparer mon atelier.

ma maison HAM 

L’atelier est à gauche et j’ai dû faire une rallonge, ce qui donne une surface de travail intérieure de 16 x 20 pieds ( 4,8 m x 6 m) et beaucoup de matériel isolant car le chauffage est essentiel. L’époxy ne colle vraiment bien qu’à partir de 15 degrés C.

Il faudra construire pendant l’hiver et un avion de 20 pieds de long (6 m) avec 32 pieds (9,7 m) d’envergure d’ailes, ça prend de la place, même si je dois construire par parties et assembler le tout dehors par beau temps. Je trouve les plans extrêmement compliqués et je me tape un cours de lecture de plans « 101 » pendant toute cette période des Fêtes.

PB1800021

L’appareil de Paul Pontois à gauche et celui de Jean-Claude Hivon à droite. L’un est de Louisville et l’autre de St-Lambert non loin de Lévis Qc. Celui de Paul est doté d’un moteur 277 cc Rotax de Bombardier avec transmission adaptée par Rotax pour l’aviation légère alors que celui de JC Hivon est doté d’un 440 cc de Kawasaki et d’un réducteur à courroies pour l’hélice. Celui de Paul Pontois possède aussi un parachute juste au dessus du centre de l’aile.

Aussi, je reçois des lettres d’encouragement de gars qui se sont construit le même appareil, tant au Québec qu’aux É.-U.. Paul Pontois de Louiseville m’envoie des photos. Il a construit son appareil dans son grenier avec les éléments de queue dans sa salle de bain. Il a même dû enlever une fenêtre pour sortir le tout dehors deux ans plus tard. Sa femme était découragée d’enjamber une queue d’avion chaque fois qu’elle voulait aller aux toilettes. André St-Pierre, un gars d’Hydro-Québec en fait tout autant et bien d’autres dont je vous parlerai plus tard.

La question qui me hante : Par où commencer?

Plans 3Plans 4

Paul Pontois me suggère la queue. C’est la partie la plus facile, la moins coûteuse et celle qui prend le moins de place. Tout en construisant l’empennage de queue, il ajoute en riant : « Et n’oublie pas de réaliser à la perfection tes attaches d’ailes. Ce n’est pas commode de partir après l’une d’elles en plein vol ». Voilà qui me rassurait peu, mais le 4 janvier 1992, je m’attaquais à la construction de la partie horizontale de la queue, une opération délicate qui allait durer 31 heures solides en atelier, et ceci, sans pause syndicale. Passionné ou fou? - je n’en sais rien, mais je crois qu’il y avait des deux dans ce questionnement.

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Une attention de tous les instants est essentielle. Après tout, c’est ma vie qui en dépend. Ici, le début de la construction de la partie horizontale de la queue. Recette: Bois, styromousse et colle époxy.

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…et on dirait que «Mimine» n’est vraiment pas d’accord !

H s G - B Quelques mois plus tard, l’été 92 finit par arriver. Voici donc en finale de cette partie, un homme heureux et son atelier. Disons que les cheveux étaient un peu plus «épais» et … pas encore gris.

…à la semaine prochaine.

GG

lundi 18 novembre 2013

HISTOIRE D’UNE PASSION partie 1

 

LA CONSTRUCTION DE MON AVION

Ce blogue a pour titre « Des mots, des bateaux et des pinceaux ». Alors, pour les prochaines semaines, je vais me permettre de vous amener avec moi dans un univers qui fut mon inspiration depuis presque ma naissance. Tout a commencé par des mots. Des mots dans des livres qui parlaient d’hommes qui volaient dans des avions. Ils s’appelaient « Biggle » « Buck Dany » « Tanguy et Laverdure » « Antoine de St-Exupéry ». Puis un jour, atterrirent 19 avions qui s’alignèrent sur la glace du Havre-Aubert en cet hiver 1962. Des Piper Cubs, des Aéroncas, des Cessnas, tous à moins de 150 mètres de la maison de mes parents. Ils étaient venus pour la chasse aux loups-marins. Moi, j’en avais que faire de cette chasse. C’était les avions qui m’intéressaient.

C’est à ce moment-là que ma décision fut définitive. J’allais piloter un jour, coûte que coûte.

C’est donc à ce partage que je vous convie, un peu comme dans un livre, un roman raconté « à la p’tite bichtée » comme dirait ma mère. Je ne commencerai pas par le début, ce serait trop vous faire attendre. Je vais plutôt commencer par le milieu, un peu comme Lucas dans « La guerre des étoiles » et puis je finirai peut-être par le commencement, qui sait!

Les débuts.

Sky pup design 1

Tout commence le 23 décembre 1991. Depuis quelques mois, j’ai décidé de construire moi-même mon avion. Un ultra léger tiré de plans élaborés par deux ingénieurs de la NASA qui ont fait ça pour s’amuser. Ces types ont dessiné un appareil monoplace en bois, en styromousse, en époxy et en doublure de manteau tendue à la chaleur d’un fer à repasser. Ils en ont bâti un et ils le volent régulièrement. Ils l’ont appelé « Sky-Pup » soit « Petit chiot du ciel ». Il n’a pas de vitre avant et le moteur n’est que de 15 HP. Le réservoir d’essence est fait d’un bidon de 2 1/2 litres vide de mélasse et une bonne paire de gants de cuir dans les mains servent de freins sur les roues juste à portée des poignets. Au moment où je décide de commander les plans, car ils ne vendent que ça, il en existe plus de 300 partout dans le monde et quelques un au Québec. Merveille de solidité et de simplicité, aucun accident fatal n’est survenu à ces 300 et quelques appareils déjà construits partout sur le globe. D’ailleurs, bien des constructeurs ont amélioré le design et je me renseigne auprès des constructeurs Québécois et Américains. Je ne savais pas à ce moment-là que j’allais voler avec un appareil construit de mes propres mains, le 19 août 1994 à partir de l’aéroport de Havre-aux-Maisons à exactement 19 h et pour un vol initial de 15 minutes à une altitude de 1100 pieds (335 m).

Pendant toutes ces années, j’ai pris des photos de tout le processus de construction et j’ai tenu un registre des diverses étapes tout en y notant le nombre d’heures de travail et mes impressions personnelles.

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Modèle basique quelque part aux USA. Le mien y ressemblera beaucoup quoique avec quelques petites modifications. Remarquez la minceur de la toile recouvrant l’aile et le gouvernail de queue.

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C’est pourtant à ce récit que je vous convie une fois la semaine.

GG