vendredi 28 décembre 2018

Souhaits du Nouvel An.

*Toutes les fois qu’une nouvelle année commence, bien malin les personnes qui pourraient dire vers quelles rives nous nous dirigeons. Certains petits malins pourraient bien rire en voyant cette photo et dire que je n’irai pas bien loin avec ma petite chaloupe. Mais je leur répondrai que mon voyage est bien plus en mer intérieure qu’en baie extérieure et que c’est ainsi que je les invite à ramer avec moi, avec nous tous, vers une humanité digne de porter ce qualificatif, c'est-à-dire une humanité bien plus « humaine ».

Prologue avant les souhaits

Il y a déjà 19 ans que nous avons traversé le vingtième siècle. Nous sommes dans le vingt-et-unième à ce qu’on dit. Difficile de ne pas se souvenir de tous ceux qui nous ont quittés depuis si peu de temps quand même. Pour ma part, je garde souvenir d’abord de mon père, puis ma mère et ensuite, mon frère unique, plus jeune que moi. Seul survivant d’une petite famille de quatre, j’avoue qu’il m’arrive de me demander s’il est une raison « logique » à ma survie.  
Pourquoi à la naissance d’une nouvelle année ais-je le besoin de ramener en nos souvenirs les disparus que nous avons aimés me direz-vous ? — Pour une raison bien simple. Nous avançons tous vers un avenir incertain, un avenir peut être heureux, peut-être malheureux, peut-être les deux. Il faut à l’homme et ici quand je dis, homme, je sous-entends les deux êtres du genre humain, une bonne dose de courage, de foi en l’avenir, de confiance en nos incroyables capacités d’adaptation afin d’envisager un monde actuel qui pourrait aller en s’améliorant, en devenant une victoire sur l’injustice, celle qui englobe tout, celle qui parle de guerre, de faim, de maladie, d’exploitation des plus démunis et autres calamités du genre. 
Au cours des dix-neuf dernières années, j’avoue ne pas les avoir trouvées faciles et j’ai une énorme difficulté à comprendre ceux qui se réjouissent en dansant sur les places publiques, aux noms des Dieux de la bière, du vin et de la dope, chaque fois que le compteur d’une année passe d’un chiffre à l’autre. Au cours des dix-neuf dernières années, j’ai perdu la foi, puis je l’ai regagnée, puis aujourd’hui, je la questionne. Tant dans un rôle d’observateur que celui d’acteur, j’ai vu et connu la souffrance physique et la souffrance morale. Je ne prétends surtout pas être le champion en ce domaine, loin de là. J’en ai surtout plus vu que j’en ai eu et Dieu merci. À ce Dieu, je lui dis merci pour moi, mais je ne peux m’empêcher de questionner sa cruauté envers ses sujets. D’abord en étant supposément coupables à notre naissance d’un, « je ne sais quoi de désobéissance, »d’être aussi les victimes d’un ange noir qui prend plaisir à torturer son humanité et doublement victimes de nos propres faiblesses, défauts, arrogances, envies et autres péchés dont nous semblons tous être affublés de façon génétique. Alors, je me demande comment un Dieu qui se dit si bon peut tolérer tout ça sans se servir de son pouvoir, soit pour nous anéantir tous ou nous guérir tous. J’admire ces gens qui ont une foi aveugle, sans question et sans borne. Personnellement, je n’ai pas reçu ce cadeau en héritage. Je souffre trop de voir la souffrance des autres et l’injustice généralisée de ce monde pour taire ce questionnement devant la misère humaine, devant la mort qui arrive ou arrivera un jour. 

Alors, voici ce que je nous souhaite à tous pour l’année 2019

Je nous souhaite un sauveur, un vrai. Un Jésus qui nous débarrassera de tous ces magouilleurs qui volent nos sociétés à coups de tractations qui se calculent en milliards de dollars. Je nous souhaite un sauveur qui amènera un peu plus de justice en ce monde. Un sauveur qui comprendra que 120 heures de condamnation en travaux communautaires pour un jeune leader étudiant pris en faute, indépendamment de sa culpabilité, demeure bien injuste quand un voleur de plusieurs milliards de dollars peut partir avec une récompense de centaines de milliers de billets de banque sous forme de pension en récompense pour… services rendus à sa société. 

« Il y a des pays où l’état paie l’étudiant et lui dit merci »… Félix Leclerc. 

Je nous souhaite un sauveur qui comme celui d’autrefois, aurait le courage de rentrer dans le temple sacré et de foutre à la porte à coups de fouet, tous ces voleurs qui s’habillent de la robe d’honnêtes citoyens alors qu’ils ne sont là que pour s’emplir les goussets. Je nous souhaite un sauveur qui arrivera à faire comprendre à nos gouvernants que tous les êtres humains ont des besoins de base minimes, essentiels, des besoins tout à fait légitimes, comme des vêtements décents, un logis décent et une nourriture décente et que ce qu’on donne aujourd’hui à notre humanité, toujours sous conditions quelconques, n’équivaut jamais aux sommes colossales volées par des tractations douteuses, cachées en des paradis fiscaux tout à fait légaux et grande cause de la pauvreté d’un plus grand nombre. Je nous souhaite un sauveur capable de nous faire comprendre à tous qu’une banque alimentaire n’est qu’un cataplasme sur une jambe de bois, qu’il s’agit d’une grande injustice sociale quand plus de 10 % de ceux qui en utilisent les services sont des salariés qui n’arrivent quand même pas à manger correctement. Je nous souhaite un sauveur qui nous fera comprendre que chaque enfant de la terre qui meurt de faim est un enfant qu’on assassine. Je nous souhaite un sauveur qui nous fera comprendre que cela prend un grand nombre de pauvres pour faire un riche. Je nous souhaite un sauveur qui nous fera comprendre à tous et à toutes que les guerres ne sont jamais des solutions, mais une partie des problèmes, que tous les peuples ont droit à la liberté, à l’autodétermination et qu’à chaque fois qu’un enfant meurt sous les balles, cela devient une tache de sang tatouée sur le tableau de l’existence des hommes. 

« Après ce qu’on lui a fait, comprenez qu’elle hésite à venir – la Paix »… Félix Leclerc. 

Je nous souhaite un sauveur qui fera tout pour qu’avec nos moyens de communication modernes, que la vérité éclate partout, dans nos maisons, dans nos villes, dans nos pays, sur toute la terre. Et que tous les êtres de bonne volonté trouvent les moyens de travailler à redonner à tous et à toutes, la dignité, l’espoir et le courage de vouloir changer les choses pour le bien de toute l’humanité et non pour les petits bonheurs de quelques grands privilégiés. Je nous souhaite un sauveur qui pourra nous ouvrir les yeux à tous pour que nous apprenions à déceler qui ment et qui dit la vérité, qui nous manipule, nous endort et nous amuse pour que nous ne percevions rien de toute la trame esclavagiste que l’on dresse autour de tous les peuples. 

« La dictature parfaite aurait toutes les apparences de la démocratie, une prison sans mur d’où les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude »… Aldous Huxley, auteur du roman international « Le Meilleur des mondes ». 

Voilà ce que je nous souhaite à tous en 2019. Un sauveur qui nous aiderait à voir clair dans tout cet aveuglement, dans toute cette folie où l’on nous présente le camping derrière les portes d’un magasin avant son ouverture comme une expérience formidable, un monde où les produits de la peur sont monnaie courante et surtout très payants pour les vendeurs de pilules, que ce soit la peur de la grippe, la peur des microbes, la peur des hépatites, la peur du soleil, la peur de l’autre, la peur du voisin, la peur du pissenlit, la peur de la peur. Il y a de quoi avoir la diarrhée et de grâce, inutile de vous promener sur un terrain de golf avec une « bécosse » attachée à la ceinture. Aussi, pour appuyer avec force la sincérité de mes souhaits ou de ma prière si vous préférez, je vous refile encore une fois la citation d’un homme, d’un poète qui voyait clair, qui voyait la folie humaine et qui savait par sa poésie, pousser les humains que nous sommes à quelques réflexions profondes. 

« Un juste est un homme qui dérange, un homme qu’on finit par crucifier »… Félix Leclerc

BONNE ET HEUREUSE ANNÉE À TOUTES ET À TOUS… Et que la santé, la beauté, la justice et enfin, le bonheur, soient à votre porte tout au long de cette année qui commence. Bien sûr, je rêve « en couleurs »,mais depuis quand c’est interdit ?
GG.

Petit cadeau que je me suis fait de moi à moi pour Noël.
PS : La semaine prochaine, croisière numéro huit.

vendredi 21 décembre 2018

Rien à voir avec le texte qui suit, mais le souvenir d'un Noël 1952 à Pictou en Nouvelle-Écosse. Bonheur simple de Georges et son frère Donald.

*Texte inventé et déjà publié en 2012, mais vous ne l’avez probablement jamais lu… et toujours d’actualité aujourd’hui. GG

Conte de Noël
Le secret dans le manuscrit

1988

Une neige humide tombait lentement sur les rues de Montréal. Dans une petite beignerie non loin du pont Jacques Cartier, Thomas sirotait un café tout en dégustant quelques beignets lui rappelant les bonnes recettes de sa mère. Noël n’était pas loin et dans quelques heures, il allait prendre l’avion pour les Îles de la Madeleine. Jusque-là, la vie avait été bonne pour Thomas. Une session de plus et son diplôme des HEC en main, il lui était déjà assuré un emploi chez « Brad & Jones Counsellors, » une compagnie de services-conseils en entreprises.

Levant les yeux de son café, il vit un homme qui le fixait à travers les vitres du commerce. Plus précisément, cet homme fixait la boîte de beignes sur la table. Thomas était seul dans le resto, mis à part le serveur. L’homme dans la fenêtre était certainement un sans-abri. Les vêtements qu’il portait ne laissaient aucun doute et plus Thomas bouffait dans ses beignes, plus l’inconnu fixait la boîte de desserts sur la table. Gêné, Thomas lui fit signe de la main afin qu’il le rejoigne, ce que l’étranger fit presto. Cependant, à peine avait-il franchi le portique que le serveur bondit devant lui en lui disant : « Dehors, on ne veut pas de ça ici. » Je regrette dit Thomas, mais il est mon invité. Abasourdi, le serveur regagna la cuisine alors que l’étranger s’assit devant son hôte. La tête basse, les mains dans son veston, il demeura là sans bouger pendant de longues secondes puis toujours en fixant le plancher, sortit de ses poches des mains recouvertes de gerçures et passant à travers les trous d’une paire de gants sans âge.

-Tu veux quelque chose ? 

L’étranger ne répondit pas. Pris d’un peu de compassion, Thomas lui commanda un café, deux beignes et avant ça, un cheeseburger tout garni. L’homme ne dit rien, pas un mot ne sortait de sa bouche. Quand la nourriture arriva, il avala presque tout en quelques minutes. Indubitablement, il était affamé et ses vêtements sentaient la moisissure. Si au moins, ils avaient été chauds. Toujours sans rien dire et ne regardant pas Thomas dans les yeux, il mit deux beignes dans ses poches, se leva et partit avec ce qui restait de son café. 

– Aie, attends une minute, lui cria Thomas. 

Attendri et réalisant qu’il en avait les moyens, il courut jusqu’à la porte et glissa dans la main de son étrange visiteur un billet de vingt dollars, ce que l’inconnu prit sans aucune parole ni remarque. Toujours tête basse, il quitta Thomas et disparut au premier tournant de la rue. Était-il un véritable sans-abri, un clochard habile qui roulait toutes ses victimes ainsi ou simplement un homme sans paroles et au plus profond de sa détresse ? Thomas n’en savait rien, mais son geste le réconfortait quand même. Après tout, dans approximativement six mois, il allait récolter de bons revenus, ses dettes d’étudiant étaient minimes d’autant plus que ses résultats lui avaient fait bénéficier de plusieurs bourses. Qui plus est, quand il allait raconter son geste à sa mère à Noël, elle allait être tellement fière de lui qu’il en retirera bien plus de bénéfices que ce malheureux vingt dollars. Non pas qu’il avait planifié ce geste, mais il savait déjà que le nombre de pâtés à la viande et de tartes aux pommes allait légèrement augmenter dans ses bagages lors de son retour à l’université. Noël allait être tout blanc, Thomas se sentait heureux comme il ne l’avait jamais été auparavant.

30 ans plus tard

C’est la veille de Noël. Sur le traversier entre Manhattan et Long Island, un homme fixe la mer d’un regard étrange. C’est Thomas, le Madelinot exilé aux É.-U.. Il porte bien mal ses 54 ans malgré un effort certain de son tailleur pour dissimuler les traits d’une vie passée dans les bureaux. D’ailleurs, c’est à peu près tout ce qu’il lui reste, un habit griffé, car dans ce milieu-là, l’apparence compte autant que le contenu. Autrefois habile négociant en placements pour diverses compagnies puis cambiste sur le plancher de la bourse de New York, l’argent, les voitures luxueuses, les jolies femmes et tout l’apparat qui vient avec le luxe de ce milieu ne lui avaient pas fait défaut, loin de là. Plus tard, une fois assagi, il s’était marié à une Américaine et fondé une famille. Hélas, comme beaucoup de ses compagnons de travail, les marchés boursiers s’étaient écroulés et sa propre cupidité aidant, il avait tout perdu en quelques semaines. Même s’il n’était pas seul dans ce cas, cela ne l’avait aidé en rien pour se redresser financièrement. Sur le parquet de la bourse mondiale, on n’aime pas les « loosers » qu’on disait et il ne s’agissait pas que d’un slogan. Alors s’en suivit un divorce, la perte de la garde de ses deux enfants et pour finir, le grand plongeon dans l’alcool. Depuis maintenant trois années, il vivotait de petits contrats en petits contrats, se donnait des airs de réussite pour les besoins de la cause et une fois le travail fini, rentrait dans un petit appartement miteux dont les armoires de cuisine ne comptaient comme épicerie que quelques bouteilles de scotch, soit vides ou à demi pleines.
Sur le bateau, une idée lui traversa la tête. « Et si je plongeais. Fini la souffrance. J’irais retrouver ma mère décédée et je suis certain qu’elle me comprendrait ». Derrière son épaule, une voix se fit entendre. 

– You’re not going to jump ? (Vous n’allez pas sauter ?).

— aie toi, je ne sais pas qui tu es, mais ce n’est pas tes oignons, OK ! Que lui répondit Thomas en un parfait français, cela dit en voulant désarçonner son interlocuteur. 

– peut-être que si répondit aussitôt en français l’individu juste derrière lui. 

– ah oui, et qui va m’empêcher de sauter si je le veux… en supposant que je le veuille vraiment ? 

– Personne ! Je n’ai certainement pas envie de me tremper dans la rivière Hudson par un froid pareil rétorqua l’inconnu. 

— alors, qui que vous soyez, où que vous alliez, foutez-moi la paix et tirez-vous du côté bâbord, moi je demeure ici, à tribord, puis je sauterai à l’eau si je le veux et quand je le voudrai, bye ! 

L’inconnu ne se laissa pas désarmer pour autant. 

_ OK d’abord, mais je reste ici, le côté tribord du bateau ne vous appartient pas à ce que je sache. Vous voulez une cigarette ? 

— Non mauvais pour la santé. 

— Au point où vous en êtes, allez, fumez-en une dernière. 

Thomas prit la cigarette et regarda l’inconnu droit dans les yeux.

-Mais qui êtes-vous, je ne vous connais pas ? 

— moi non plus, et si, peut-être. Vous êtes un désespéré qui se demande s’il devrait se suicider, alors je crois que je suis au bon endroit. 

— pour m’aider à passer à l’action, pas besoin de vous ? 

– non, pour assister à quelque chose qui aurait pu m’arriver, mais qui n’est jamais survenu. 

– ah oui, vous êtes en quelque sorte un ange envoyé par ma mère je suppose ? 

– si j’étais un ange, il y a longtemps que je vous aurais ramené au sec en un vol aller simple. Non, heureusement, Dieu nous a toujours donné un choix et là, je vous regarde et j’apprécie le spectacle. 

Désarçonné, Thomas se tut un instant. L’inconnu reprit : 

- Question de choix, je vous en propose un. 

— Quoi, celui de sauter dans l’eau glacée ? 

– Non, venez passer Noël chez moi, en compagnie de ma femme et mes enfants. Vous pourrez toujours revenir demain afin de plonger de la plus haute rambarde. C’est spécial de mourir le jour de la naissance, vous ne trouvez pas ?

Complètement déstabilisé, Thomas accepta de suivre son illustre inconnu. Il était 22 heures quand il entra dans le domicile de son hôte. 

- Quel est votre nom ? 

— Thomas, et vous ? 

— Moi c’est David et voici mon épouse, Martha et mes deux espiègles, Jacky et Sarah. 

Tous se saluèrent et David annonça que tous allaient à la messe de minuit. 

– Je n’y vais pas dit Thomas. Ça fait longtemps que votre Dieu, il m’a abandonné. Disons que nous ne sommes plus « amis amis » depuis quelque temps. 

David et Martha ne répondirent pas et se consultèrent du regard. 

- OK, monsieur… Thomas. Alors, comme nous n’avons pas de grands biens dans cette maison et que vous ne pouvez certainement pas partir avec, nous irons tous à la messe de minuit sauf vous et puis vous nous attendrez pour le réveillon j’espère !

Surpris d’une telle confiance et épuisé, Thomas acquiesça sans broncher. Il était temps de partir pour la famille et avant de quitter la maison, David invita Thomas à s’étendre sur le divan dans son bureau. Bien qu’il n’ait pas dit de quoi il vivait, il devint évident pour Thomas que David était écrivain. La bibliothèque dans son bureau ne mentait pas. D’ailleurs, sur le coin d’un meuble, une liasse de feuilles brochées faussait l’apparence du reste. Sur la première page était écrit MANUSCRIT. Curieux, Thomas lut le prologue : sur la page de présentation, il lut: 

« Ce livre est en hommage à cet inconnu qui, trente ans passés, fit que plutôt de tourner à droite et me diriger vers le pont Jacques Cartier afin de mettre fin à mes jours, j’ai tourné à gauche. Je venais de réaliser que les anges existaient vraiment en ce bas monde ».

À peine les cloches de l’église St-Patrick de New York se mirent à sonner à toute volée que David vit Thomas se joindre à toute sa famille. Les larmes aux yeux, Thomas venait de découvrir, lui aussi, que les anges existaient vraiment, et probablement en plus grand nombre à l’approche de Noël.   

Joyeux Noël à toutes et à tous. Que ce temps des Fêtes soit une période propice à une réflexion profonde sur les vraies valeurs qui devraient s’inscrire dans l’équilibre de notre société. Bonne santé à chacun et chacune. GG

* Le récit d’une huitième croisière vous sera raconté le 4 janvier 2019. Entre temps, je me consacre à une histoire du jour de l’an. Publication prévue pour le 28 décembre 2018.  


vendredi 14 décembre 2018

Septième croisière



Rencontres, pluie, soleil et amitié.

Il me dit : « Quelle est la monnaie que les poissons utilisent ? »Et devant ma perplexité face à une telle question, il me répond avec un grand sourire de vainqueur : « Des sous-marins! »J’éclate de rire et lui avoue que je me suis fait avoir. Ses yeux pétillent derrière de grosses lunettes à plusieurs champs de vision. J’essaie de deviner son âge. Pas très grand, casquette de pêcheur sur la tête, chandail aux motifs bigarrés bourgognes et gris, il se promène allègrement sur tous les ponts du navire, toujours en quête d’une victime de ses petites devinettes qu’il sème au gré du vent tout en enfilant le bastingage. Le personnage m’intéresse, beaucoup plus par curiosité que par la qualité de ses petites attrapes verbales et j’ose lui poser la question suivante sous forme de réflexion à voix haute : « Vous semblez prendre un grand plaisir à faire rire les gens. » Et c’est là qu’il se mit à parler de lui.

Je suis un chevalier qu’il me dit. J’en déduis qu’il veut dire « Chevalier de Colomb »,cette confrérie catholique de bienfaisance d’origine américaine, créée en 1882 pour, dit-on, faire opposition à la grande majorité d’origine protestante de l’époque, tout en rappelant à cette dernière que Christophe Colomb,«découvreur» de l’Amérique, était bien un catholiqueNe voulant pas glisser sur ce piège, je demeure muet et il continue. « Je me suis donné pour mission de faire rire les gens. J’essaie de déclencher en chacune des personnes que je rencontre, un rire, un sourire, afin que ma rencontre, si fortuite qu’elle puisse être, fasse de cet individu, un être plus heureux ou meilleur si c’est possible. En d’autres mots, j’essaie de semer un peu de bonheur dans le cœur des gens sur le chemin de ma vie. »Noble mission que je lui dis, mais ne voulant pas en savoir plus, je me contente de le remercier pour sa petite blague tout en me demandant ce que pouvait cacher cette obsession de semer du bonheur à tous vents. Autrefois journaliste, j’aurais approfondi bien plus son histoire, mais ils sont comme ça, les touristes sur notre navire. C’est une drôle de race. Ici le semeur de bonheur, là une dame qui pleure silencieusement, enfouie dans un fauteuil moelleux. Ailleurs  une autre dame rit aux éclats comme vaisselle qui casse alors qu’une autre crée un véritable branle-bas parce qu’elle a failli s’étouffer avec sa nourriture. Quelques fumeurs et fumeuses se traînent péniblement vers le balcon des fumeurs, d’autres lisent des bouquins et pendant ce temps, quelques baleines font le dos rond non loin de mon hublot. Donald et Audette terminent leur prestation de danse professionnelle et Brigitte se donne pour mission de « brasser la cabane »avec ses chansons endiablées. 

Le soleil m’a fait un véritable cadeau ce matin. Il a peint sur la vitre en face de ma table dans le « lounge »,une toile de gouttelettes comme seule la nature sait en créer la beauté. 

Le Rocher-aux-Oiseaux et l’Île Brion se sont révélés dans toute leur splendeur, du coup faisant oublier leurs tristes histoires de naufrageurs et d’îles parfois maudites. Il va faire beau que me dit un passager, comme si cela ne tenait pas de l’évidence. Une partie de moi nage en plein bonheur et l’autre s’ennuie de sa belle. Comme il est difficile de vivre tant de belles choses et de ne pouvoir les partager avec ceux et celles qu’on aime.

Une fois à quai, mon scooter « Snoopy »me guidera sur 198 kilomètre d’îles en îles le lendemain. 
Et le jour suivant, je hisserai la grande voile et le foc, montrant ainsi à mon ami Rémy comment le vent se fait complice de nos rêves quand on sait le respecter. Les vagues de la baie intérieure glisseront le long de la frêle coque de ce petit voilier aux formes bourrues et à l’agilité hésitante, mais juste assez pour déclencher des lumières d’émerveillement dans les yeux de mon ami. 

De retour en Gaspésie le 15 août, la ville de Gaspé s’est fait tonnerre, éclairs et pluie torrentielle. Étais-ce une façon de souligner la fête nationale des Acadiens que je n’en serais pas surpris. L’ondée a trempé en quelques minutes toutes les rues de même que nos vêtements. Heureusement, la chaleur intense nous aura probablement préservés d’un bon « coup-de-froid » bien mal venu. Et puis comme pour se faire pardonner, dame nature accompagne maintenant notre navire sur une mer calme, légèrement ondulée et parcourue de frissons alors que le soleil darde encore une fois de ses rayons toutes les fenêtres de la cafétéria. Je regarde les flots et je rêve. Un ciel gris sombre touche la mer au nord-est alors que le nord-ouest semble préparer le lit du soleil pour la nuit. Les vibrations du navire caressent mon cœur. Je suis loin de la civilisation, loin de ma sirène dont j’ai hâte d’entendre le chant. Les ouvrières du bateau ramassent les tasses et assiettes, quelques sourires me sont adressés à travers ma solitude. Elles respectent avec délicatesse mon isoloir au fond de cette cafétéria habituellement si remplie de bruit et de vaisselle cassée.
Seules, quelques personnes à l’opposé de la salle jouent aux cartes. Des cris sporadiques et paroles fortes fusent occasionnellement de leur table de jeu, mais sans plus. 

…Et moi, je préfère regarder la mer par mon hublot. Le hublot de mon cœur, celui qui après-demain, me mènera à celle qui m’attendra sur le quai du bonheur.

GG      


vendredi 7 décembre 2018

Sixième croisière



Retour sur le pont

Un vent par le travers projette des vagues imposantes sur la coque du navire, le faisant trembler de toutes parts. Elles l’attaquent comme requin blanc en ses flancs, toute gueule ouverte. « Ça brasse à bord »comme diraient certains matelots, trop heureux de démontrer leur pied marin aux passagers craintifs ou sous l’emprise du mal de mer. Le roulis est bien évident, mais pas au-delà de la normalité en temps pareil. En peu de temps, la Baie de Gaspé nous offre son abri et les esprits se calment alors que les langues se délient avec de grands sourires teintés d’histoires grivoises. Bientôt, la ville de Gaspé nous accueille avec chaleur et grand soleil. J’aime cette petite ville, sise au fond d’une baie aux couleurs de terres vierges, de côtes remplies d’histoires, de forêts et montagnes qui ne demandent qu’à être explorées. 

Cela me change du départ de Montréal quelques jours auparavant. Il a bien fallu me séparer de ma douce et entreprendre ce sixième voyage seul.
Petit à petit, j’ai retrouvé ma couchette vide, toujours imprégnée de son parfum. Je me suis glissé sous les couvertures et j’ai tenté de dormir au rythme des vagues et des bruits bizarres créés par les vibrations des moteurs et les tourbillons des immenses hélices sous la coque. Peine perdue, mon cœur est demeuré triste pendant toute la nuit et puis enfin, les Îles de la Madeleine étaient là pour me consoler. Quelques histoires racontées aux passagers et puis l’espoir d’un retour prochain au pays de ma belle auront servi d’antidote à cette tristesse sourde qui a tenté de m’envahir.

Non-content de naviguer sur un grand navire, j’ai mis à l’eau mon petit canot et exploré les rivages de mon enfance. Ici le havre des pêcheurs, là, l’étang au bas de la côte, chez mes grands-parents. Ici la sortie du chenal, là l’anse où mon frère et moi allions plonger du haut des roches. Ici les Demoiselles, ces collines aux rondeurs sensuelles, là les restes du vieux quai, témoin de bien des ébats amoureux en une époque bien lointaine. J’ai stoppé mon petit moteur et utilisé la pagaie afin de mieux écouter ce silence et plonger en plein océan de souvenirs. Un paradis ! Oui, c’était un paradis et nous ne le savions pas. Maintenant, je sais et je voudrais l’emmener avec moi. Heureusement, il demeure en ma tête comme trésor enfoui et inaccessible à d’autres. Je le garde jalousement et souhaite y retourner jusqu’à la fin de mes jours. Le clapot sur l’étrave du canot devient musique, les tourbillons autour de ma pagaie deviennent accords musicaux et les rayons ardents du soleil sur les vaguelettes sont autant de marteaux sur un xylophone.

Le lendemain, mon scooter surnommé « Snoopy » me portera avec souplesse et grand bonheur le long des routes des Îles. Laissant les guidons me porter au gré de mes rêves, je rends visite à une vieille tante et des cousines. L’accueil est plus que chaleureux, il devient même hilarant. L’amitié a cette qualité unique de ne pas compter le temps passé sans la présence de ceux qu’on aime et c’est merveilleux. Je les quitte le cœur plein de bonheur comme ventre rempli de dessert. Le rêve m’habitera tout au long de la journée en parcourant toutes les routes longeant le littoral de mon enfance.
Je réalise que mon univers est fait de passé, mais je ne m’en inquiète pas. Une fois le retour en ma cabine, il se tourne vers le futur, fatigué de la journée, mais plein de projets à venir. J’appelle ma douce sirène. Ses paroles sont comme fleurs de nénuphar et je me sens comme ce crapaud souhaitant devenir prince pour elle.

Ce matin, j’ai partagé plus d’une heure d’histoire et d’émotions avec quelques centaines de passagers. Je les ai transportés des Grands-Lacs aux Îles en passant par le fleuve, son estuaire, son golfe et cet océan qui le combat et le nourrit tout en même temps. La guerre entre l’eau salée et l’eau douce, la beauté des berges chargées de plages et ces riverains au passé si riche que même les cales des plus grands navires ne pourraient contenir à elles seules, toutes les histoires.
Nous passons au large de l’Anse-au-Griffon à la vitesse des baleines noires. La mer est calme. À peine quelques frissons sur l’onde, comme si elle voulait se faire pardonner sa fureur du matin. Un soleil rouge se couche derrière les montagnes et le fleuve prend une teinte violacée alors que la ligne d’horizon se pare d’argent et de poussière d’or. Plus loin au nord, une petite lumière touche le brouillard naissant à la fraîcheur de la nuit. Comme sentinelle dans le noir, elle est sans doute la signature d’un petit navire qui rappelle qu’il n’y a pas que nous sur cette mer tranquille, mais que d’autres, des hommes et des femmes y naviguent ici, tout comme nous. J’aime à penser qu’ils sont aussi heureux que je le suis en ce moment béni des Dieux. 

Et puis dans deux jours, ma belle m’attendra sur le quai.

GG