Suis-je
le seul à penser ainsi ?
*Toute personne atteinte d’un cancer devient
courageuse. Elle n’en a pas le choix. Quant à la façon d’exprimer ce courage,
il y va de chaque personne.
J’avoue avoir de plus en plus de mal à écrire
depuis quelque temps, tellement les émotions se succèdent au rythme effréné des
images et des nouvelles que nous envoient les médias de par le monde. Entre
l’ignorance volontaire de la laideur qui nous entoure et le choix tout aussi
volontaire du regard porté uniquement vers les beautés qui nous interpellent,
j’ai toujours cru qu’un certain niveau de conscience, d’équilibre et de
décantation s’imposait afin de survivre dans cet univers pour le moins en
totale ébullition. Voici donc un long préambule pour justifier le sujet choisi
aujourd’hui. Un sujet qui m’interpelle et même, me bouscule à en faire mal. Et
ce sujet, il concerne la façon dont les médias actuels et l’ombre publicitaire
de certains organismes publics et/ou populaires, utilisent la misère humaine
pour mousser en sourdine et parfois subliminale, leurs propres intérêts.
« Survivants du
cancer » et un
titre comme : « Le cancer a
amélioré sa vie ». Dois-je écrire qu’un tel titre m’a fait bondir dans
les rideaux? Depuis une semaine, un
médium provincial à grand tirage propose un dossier sur les différentes
victoires réalisées par certaines victimes de cette terrible maladie. Je le confesse, j’ai abandonné de lire
ces écrits tout simplement parce qu’envahi de rage et de douleur. Bon, a priori
je comprends que des âmes bien intentionnées souhaitent ainsi donner espoir à
toutes les victimes de ce fléau mondial et cette attitude est noble. Cependant,
là où je ne marche pas, c’est quand on fait de ces victimes « victorieuses »
des héros extraordinaires. Je ne peux m’empêcher alors de penser qu’a contrario,
on blesse profondément les familles et les victimes de ceux et celles qui ne s’en
sont pas sortis. Pire, j’ai l’impression qu’on les culpabilise. Quand je lis de
tels textes où l’espoir est habilement saupoudré de morale en comportements
humains et de recettes de survie pas nécessairement adaptées pour tout le
monde, un profond malaise s’installe en moi et je ne peux m’empêcher de penser.
Je pense à deux gars qui font du ski en milieu
montagneux. Soudain, une avalanche (le cancer) leur arrive sans avertissement.
Tous les deux glissent, roulent et tentent tant bien que mal de flotter sur ce
monstre qui peut les tuer. L’avalanche meurt dans la plaine. Un des deux types
s’en sort, l’autre pas. À mon avis, les deux ont été courageux, mais il y en a
un qui a tout simplement été plus chanceux que l’autre, c’est tout. Je pense à
ce vieux vétéran du débarquement de Normandie que j’ai interviewé un jour en le
gratifiant de héros et qui m’a dit : « Il
pleuvait des balles sur ma plaque blindée. J’ai été tout simplement chanceux
parce que je ne mesurais que 5 pieds et 2 pouces. Je n’étais pas dans le chemin
des balles. Les vrais héros, ils n’avaient pas encore 20 ans et des coquelicots
poussent autour de leur tombe dans un cimetière, quelque part en France ».
Je pense à une amie (France) qui m’a invité au resto un jour pour me dire
qu’elle tenait à jaser de tout et de rien avec les gens qu’elle estimait le
plus dans sa vie… avant de livrer la plus grande bataille de sa jeune existence
et la perdre trois années plus tard. Je pense à mon père qui m’a dit : « Je ne pensais pas que ça arrivait
si vite ». Je pense à mon frère qui revenant d’une demande de support
psychologique auprès d’un organisme bien connu m’a dit : « J’ai vu de beaux bureaux, mais j’ai
l’impression qu’on m’a menti sur toute la ligne ». Je pense à ma tante
Lucie qui voguant allègrement vers ses 90 années de vie, a combattu près d’une
dizaine de cancers. Bien sûr, son entourage la prend pour une héroïne, mais ma
tante Lucie à un vrai héros. Il s’appelle Roger et c’est son fils, mort dans la
fleur de l’âge, toujours à cause de ce foutu cancer. Ce cousin qui m’a dit un
jour de tristesse, alors qu’il savait le combat arriver à sa fin : « Dire que je paye encore sur mon
premier emprunt de ski-doo ». Oui, ma tête est pleine de souvenirs de
gens courageux, de gens qui ont gagné et surtout de gens qui ont perdu une
bataille contre un ennemi invisible, imprévisible et toujours sournois. Ma tête
est pleine de gens chanceux, mais surtout de gens qui ont cette humilité de le
reconnaître. Alors quand je vois des titres comme : « Le cancer a amélioré sa vie », j’avoue trouver le
message un peu bizarre pour ne pas dire… choquant. Dois-je préciser ici que je
ne reproche rien à la personne pour qui cet évènement fut bénéfique et c’est
tant mieux pour elle, mais je n’ai aucune félicitation à faire au journal qui a
trouvé un tel titre. Décidément, certains « professionnels »
de l’information ne savent pas faire la différence entre information,
témoignage et sensationnalisme. Désolé, mais s’il me faut passer par un cancer
pour « améliorer » ma vie, je passe mon tour. Et si par malheur, j’en
suis victime et que je m’en sors, j’aurai été chanceux… tout simplement, mais
je suis peut-être le seul à penser ainsi !
Les beautés qui nous
interpellent.
C’est une idée qui me fut proposée par une
lecture pour le moins inappropriée à ce genre de discussion et elle se lit
comme suit : « Le plaisir
d’être en mer, le remède le plus sûr contre la civilisation »… Tom
Clancy dans (Tempête rouge).
Georges Gaudet
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