Manifestation des Madelinots en protestation contre les modifications à la loi de l’Assurance-emploi. Symbolisme frappant de cette peur d’être obligés de quitter les Îles pour trouver du travail ailleurs, environ 4000 personnes se sont réunies sur le quai de départ du traversier.
Revenu aux Îles après un séjour dans la région de Montréal, voici une chronique vous faisant part de quelques réflexions en ce début d’année 2013.
*Chronique parue dans le journal Le Radar d’aujourd’hui, le 17 janvier 2013.
Le monde change ici, mais pas là.
Que sera l’année 2013 ?
Passer d’une unité de mesure à une autre ne signifie pas grand-chose dans l’échelle du temps étalée sur un siècle, mais dans la vie de tous les jours, pour nous le commun des mortels, cela peut faire une grande différence. Ainsi va la vie, mais elle va beaucoup plus vite aujourd’hui qu’elle n’allait il y a de cela à peine quelques années. Je suis actuellement à plus de 1200 km des Îles, et je n’ai aucune crainte que mon texte sera publié le jour prévu de sa parution. Pourtant, il y a à peine plus de dix ans, j’aurais craint que cela ne puisse être possible. Qui plus est, nous n’en sommes qu’à nos balbutiements s’íl faut en croire certains spécialistes. À l’autre bout du spectre, les deux tiers de l’humanité ont faim et alors que le cellulaire peut fonctionner en pleine jungle, des femmes marchent encore plus de cinq heures par jour pour aller chercher du bois ou de l’eau pour la journée. Alors se pose la question : Le monde change-t-il pour le mieux? – la réponse n’est pas simple.
Pendant les quinze derniers jours, j’ai demeuré dans un immense quartier de condos. Ils étaient tous semblables. Mêmes corniches, mêmes couleurs, mêmes espaces, mêmes fenêtres, mêmes portiques. La seule différence était la couleur des voitures sur les stationnements et encore là, malgré la multitude des marques, elles avaient à peu près toutes la même forme, le même profil. Dans les restaurants des environs, des dizaines de personnes semblaient heureuses de se retrouver et pourtant, plus de la moitié d’entre elles ne se regardaient même pas, car plongées individuellement dans le minuscule écran de leur téléphone ou dans les pages lumineuses de leur tablette numérique. Plus d’une fois, j’ai observé ce monde avec fascination, parfois admiration et quelques fois avec une certaine détresse, me demandant si je souhaitais vraiment vivre dans un monde pareil. Tout me semblait tellement identique que le seul souvenir qui me venait en mémoire était cette enfilade de maisons toutes semblables qui étaient bâties par les compagnies minières afin de loger des centaines, voire des milliers de travailleurs dans l’unique but d’augmenter la production de la mine. Ce qui, évidemment, m’amène à vous parler de mes craintes.
Des jours sombres à venir?
Bien que la mode soit au positivisme aveugle ou au négativisme sans frontières, le réalisme manquant de nos dirigeants me fait craindre le pire pour les jours, à venir. Pour qui suit un tant soit peu l’actualité mondiale, il est évident que non seulement le monde change sur le plan climatique, mais il est aussi en train de changer sur le plan politique, sur le plan financier et par conséquent sur le plan humain. L’abolition des frontières monétaires mondiales, arrimées à la fermeture des frontières géographiques et humaines, le tout exacerbé par la montée en nombre des habitants de la terre, risque de préparer un choc humain sans précédent. De plus, si l’on ajoute à cela la maîtrise du pouvoir monétaire aux mains de quelques individus ou institutions sans noms, vous avez alors une bombe à retardement qui risque d’exploser sans avertissement et au pire moment pour les plus démunis. La très grande popularité des médias sociaux qui pullulent autour de la planète et l’information débridée et non censurée qui en découle, même si elle montre parfois le pire de l’homme, montre aussi ce qu’il cachait auparavant, c'est-à-dire son extrême habileté à camoufler ses entreprises de domination sur ses semblables, d’où les mouvements de plus en plus populaires comme les indignés, les « iddle no more » autochtones, les printemps arabe et… érable, sans oublier les nombreux champs de contestation qui risque de surgir avec le resserrement des règles de l’assurance-emploi et autre manœuvre d’appauvrissement des masses afin de rendre les travailleurs dociles à l’esclavage par la pauvreté et la faim. Il n’est point besoin d’être un spécialiste en matière financière pour percevoir ce qui risque d’arriver. En me promenant le long de toutes ces maisons identiques alignées comme un dortoir de campus universitaire, même si elles semblaient bien belles à l’intérieur, j’imaginais facilement les mêmes constructions dans le Grand Nord ou dans les champs des sables bitumineux de l’Alberta, habitées par tous ces travailleurs et travailleuses exilées de leurs lieux préférés ou de leurs lieux de naissance, là où auparavant, même sans grande richesse, ils vivaient heureux. Hitler a bien tenté de soumettre l’humanité sous sa botte et il n’a pas réussi. Peut-être cette fois, le FMI, la FED et leurs acolytes comme la Banque du Canada, riches de leur argent virtuel prêté à grands intérêts aux masses aveugles, réussiront-ils là où la guerre a échoué. La Grèce, le Portugal, l’Italie, la France, les États-Unis seraient-ils les premières victimes de cette attaque sournoise à l’échelle planétaire? Il est permis de le penser. Uniquement à Montréal, le marché de l’immobilier manque d’acheteurs ou de locataires dans une proportion de 20 % alors que le prix moyen des maisons unifamiliales dépasse les 300 000. $ et afin de parfaire le tableau, plus de 70 % des Québécois vivent avec un taux d’endettement dépassant les 160 % de leur actif. Je ne suis ni économiste ni même rien du tout en matière de finances, mais j’ai au moins appris une chose à l’école. Deux plus deux, cela égale quatre.
Et pour les Îles ?
Désolé, mais je crains pour le futur des Madelinots, surtout ceux qui ont pris racines profondes en ce petit pays unique au monde, ceux qui sont nés ici et ceux qui sont arrivés d’ailleurs. D’abord un choc à court terme avec les modifications de l’assurance-emploi. Et puis un plus grand choc à long terme puisque les effets pervers ne se feront vraiment sentir qu’à l’approche de l’hiver prochain, car l’été est abondant chez nous. Le printemps sera dur, mais si rien n’est fait d’ici l’automne 2013, la prochaine année risque d’être l’année de l’exode madelinot pour plusieurs. Il ne faudrait pas oublier que chaque fois qu’un Madelinot quitte ses Îles par impossibilité d’y travailler, ce n’est pas lui le plus grand perdant, mais les Îles elles-mêmes. Les coûts faramineux de l’immobilier et de la nourriture, les restrictions budgétaires au niveau des soins hospitaliers, la destruction du littoral par les nouvelles données du phénomène de l’érosion, la perte de sensibilité de certains de nos dirigeants politiques et économiques, l’individualité à outrance et le chacun-pour-soi risquent de faire le reste. Je souhaite me tromper, mais j’ai peur de voir d’ici 9 mois à une année, un exode massif de Madelinots vers là où… « y a d’ la job » et ce ne serait pas la première fois. Qu’il ne suffise de rappeler les grands départs vers l’Abitibi, la Côte-Nord, le Lac-au-Saumon, le Lac Saint-Jean et Montréal au cours du siècle dernier pour se convaincre que nous sommes loin d’être à l’abri de telles pertes. Et si ces Îles devenaient le paradis des compagnies de pétrole ou à défaut de cela, un paradis pour retraités estivaux, il n’est pas certain que ces éventualités profiteraient à l’ensemble d’un petit peuple qui se bat pour sa survie depuis l’arrivée de l’abbé Alain avec ses 250 réfugiés Acadiens, en 1792 sur les rives de l’archipel. Même avec des titres sur des terres, que valent-elles quand on ne peut plus y vivre? L’on a qu’à rencontrer tous ces descendants Madelinots vivant ailleurs dans le monde et partager avec eux leur passion toujours dévorante pour les Îles afin de se rendre compte que des traces cicatricielles de ces exodes existent encore.
Quoi faire?
Reprendre possession de nos Îles, qui que nous soyons, nouveaux arrivants comme vieux enracinés et par là, je veux dire assumer notre gouvernance et ne pas nous laisser imposer toutes les règles émanant d’ailleurs et hors contexte avec notre réalité d’insulaires. La mer n’est pas le bien de quelques privilégiés et même s’il est impératif, même obligatoire d’en protéger toutes les ressources, il faudra peut-être penser à l’avenir en permettant à tous d’y puiser l’essentiel d’un repas sans être en infraction. Bien sûr, cela n’implique aucunement le pillage et la vente de produits pêchés pour consommation normale, mais devant l’absence de revenus, il faudra peut-être un jour songer à distribuer un peu mieux les trésors de la mer tout en les protégeant encore plus. Il faudra peut-être aussi réapprendre à cultiver un jardin et y semer des graines sans traitements chimiques à la Mosanto ou traire une vache ou nourrir ses quelques poules. Si pour certains, cela pourrait sembler un recul, pour d’autres, cela pourrait sembler un juste retour vers un équilibre souhaitable, aidé cette fois-ci de tous les moyens modernes d’information. Aussi, il nous faudra peut-être réaliser que nous connaissons mieux notre milieu que quiconque et ne pas accepter comme vérité immuable, toutes les suggestions, plans et lois qui nous sont trop souvent imposées de l’extérieur.
Et moi qui au début de cet écrit me voulait optimiste, c’est plutôt raté. Et si je m’étais trompé? L’avenir le dira, pas moi.
Bonne semaine à toutes et à tous.
GG
…Et il vente aux Îles
Pour ceux qui en douterais, voici mon petit voilier de 12 pieds tel qu’il était posé sur des cales de bois lors de mon absence et voici comment je l’ai retrouvé lors de mon retour. Une chance que l’atelier était là. Heureusement pas de dommages, mais ce petit bateau pèse quand même quelques 150 livres.
…mais heureusement, il y a aussi de ces formidables couleurs comme au matin du 14 janvier, vue de notre balcon.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire