dimanche 2 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 1 (suite 15)

Le jour de vérité

Le lecteur comprendra qu’il s’agit ici d’un montage, car le jour de vol inaugural, il n’était pas question d’avoir le temps de prendre des photos. Mon cerveau était bien trop occupé à autre chose.

premier vol B 
Pendant tout l’été, je me suis familiarisé avec mon avion. C-INNE était devenu l’objet de mes rêves, de mes cauchemars, de mes joies et de mes insomnies. Chaque fois que l’occasion se présentait, je le sortais du garage, vérifiait tout plus d’une fois et puis avec la permission de la tour de contrôle (une station FSS), je roulais sur la piste jusqu’à épuisement, tentant chaque fois de provoquer une glissade, un dérapage et puis une reprise de contrôle. Très vite, je maîtrisai ce poulain au point où je roulais toute la longueur de la piste sans que la queue de l’appareil touche le sol. Je roulais sur deux roues et maîtrisais la direction uniquement avec le gouvernail de queue. J’étais plutôt fier de moi, réalisant que par la force des choses, je jouais pour de vrai au pilote d’essai. Ensuite, j’ai risqué un peu plus de puissance et je me suis retrouvé à une dizaine de pieds dans les airs, toujours dans l’axe de la piste. Un premier petit vol n’a duré que quelques secondes et puis j’en ai refait un autre, puis un autre. Vers le début du mois d’août 1994, j’arrivais à faire quatre petits vols à moins d’une dizaine de pieds d’altitude avec jolis atterrissages, toujours dans l’axe de la piste. En somme, il s’agissait de petits sauts de moutons qui me permettaient de m’adapter à mon environnement de pilote. Pour certains, cela aurait été une réussite, mais je savais qu’il ne s’agissait là que de préliminaires au vrai vol inaugural, celui qu’on n’oublie jamais, et qui allait bien se réaliser un jour.
Le 19 août 1994
Jeannine m’accompagne. D’ailleurs, elle m’accompagne toujours quand je pratique, car elle ne sait jamais si ce sera le grand jour ou pas. Aussi, elle a peur de l’accident fatal et préfère être sur les lieux plutôt que d’attendre mon retour. En silence, elle m’aide à ouvrir les lourdes et grinçantes portes du garage à Craig Quinn. Nous glissons C-INNE sous les ailes du gros Islander bimoteur et puis nous assemblons les ailes de mon appareil sur le seuil des portes du hangar. Je brasse le tout presque violemment tout en me disant que si c’est pour casser, mieux vaut que ce soit au sol. Il règne un drôle de silence, le vent est presque totalement tombé, les maringouins nous assaillent comme des bombardiers de la Deuxième Guerre mondiale. La manche à vent de l’aéroport se soulève à peine et quelque chose me dit que l'heure de vérité est venue. Mon coeur bat fort dans ma poitrine, je l’entends même dans mon casque protecteur. Bon, je démarre le moteur, il ronronne comme une chanson, enfin, comme une casserole, mais d’un bruit normal et satisfaisant. Je m’avance vers la piste et me positionne tout au bout. Je donne un peu d’accélérateur et fais encore quelques sauts de moutons jusqu’en bout de cette piste, puis je reviens vent arrière en roulant jusqu’à mon point de départ. Je me détends un peu et écoute tout bruit qui peut m’avertir d’un problème. Une fois revenu à mon point de départ initial, je vérifie une dernière fois ma radio et j’entends un crépitement. Un hélicoptère militaire appelle la tour de contrôle et s’identifie à la verticale de la tour elle-même et à une hauteur de 4000 pieds ( 1200 m). Il demande ce qu’est cette drôle de machine sur la piste. Est-ce un maringouin demande-t-il? Il ne sait pas que je l’entends et le contrôleur lui répond à peu près ceci : « Ah! ça, c’est une espèce de moustique qui vient ici de temps à autre. Il roule sur la piste, mais on ne sait pas si ça vole. En tous les cas, ça roule bien. »   C’était ce qu’il ne fallait pas dire. De rage, je débranche ma radio et regarde ma montre. Il est près de 19 h (7h pm) et je pousse les gaz à fond. C-INNE accélère comme sur une ligne de départ. La puissance du moteur me surprend et à peine ais-je réalisé la vitesse induite que je suis dans les airs à environ une cinquantaine de pieds (15 m).  Il est trop tard pour revenir en arrière, je vole et plus que je ne le souhaitais. La fin de la piste glisse sous le ventre de mon avion et je suis déjà à 1100 pieds d’altitude (335 mètres) selon mon altimètre. Je stabilise à l’horizontale vers 1200 pieds et l’avion répond à merveille. Cela me rassure. J’ai la main droite toute proche de mon déclencheur de parachute, juste au cas où, puis je me calme. Toujours en ligne droite, je file au dessus de la Petite Baie, tout droit sur la Dune du Nord. Le soleil approche du couchant et brille si fort sur mon hélice qu’il m’aveugle. Je regarde en bas. C’est tout simplement magnifique. L’eau est si claire que je vois le fond presque partout. Je me souviens m’être dit que si ça tournait mal, je pouvais toujours tenter d’amerrir plutôt que de me frotter au dur d’une piste. J’amène le moteur à 4200 tours minute et réalise que je vole à 55 mph (89 km/h) par rapport au vent sous mes ailes. Effectivement, je vole très vite et plutôt bien pour un ultraléger. Comme la vitesse d’atterrissage devrait se situer aux environs de 27 mph (43 km/h), je considère que j’ai une belle marge de sécurité. Bon, il faut maintenant savoir si cet oiseau peut virer, car là, ce sont les dunes devant puis la mer. Il faut revenir et depuis mon départ, je file en ligne droite vers le nord-ouest. Je donne un petit coup sur le palonnier et comme par magie, sans perdre un pied d’altitude, C-INNE tourne sur la droite avec grâce comme sur un rail. Je suis en plein émerveillement. C’est tellement beau de là-haut. Je vois maintenant l’aéroport, la piste, le hangar et puis Jeannine qui gesticule. Elle semble danser, les bras en l’air. Sur la droite, le camion de pompier sort et se stationne juste à l’entrée de la piste. Je rebranche ma radio et j’entends Emmanuel (le conducteur) dire qu’il se positionne là, juste au cas où j’aurais un problème. Je souris et je m’inquiète en même temps, ne sachant si c’est de bon ou mauvais augure. Je regarde autour de moi et mes cadrans plus d’une fois. Tout semble normal. Alors, j’amorce un virage sur la gauche, puis sur la droite, je fais la boucle de l’infini et réalise que j’ai bâti une merveilleuse petite machine volante. C’est le temps de rentrer maintenant. Je longe donc la piste à une hauteur de 1100 pieds, légèrement sur la gauche et par vent arrière. Je réalise qu’en haut, il vente bien plus qu’en bas puisque j’enfile la longueur du champ d’atterrissage bien plus vite qu’avec le vent dans le nez. Comme il faut atterrir face au vent, je vole vers la mer côté sud, puis passe au dessus du dépotoir municipal. Ensuite je tourne vers la droite, direction qui m’amène au dessus du camping de la Dune du Sud. Des gens m’envoient la main et deux cyclistes prennent la route en direction de l’aéroport, du moins c’est ce que je présume, comme s’ils avaient le feu au derrière. Un autre virage à droite et puis je cale le moteur presque au ralenti. Je suis maintenant dans l’axe de la piste et je maintiens la vitesse à 40 mph (64 km/h). Il faut atterrir maintenant et c’est la manoeuvre la plus difficile et la plus dangereuse bien entendu. J’ai de la difficulté à maintenir l’appareil dans l’axe, car un léger vent de travers me déporte vers la gauche, complètement en dehors du tracé. Il me faut corriger et j’approche la piste en crabe, comme si j’allais me poser presque de travers. Je maîtrise bien la manoeuvre et me rappelle les conseils de Paul Pontois en pareille situation. « Maintiens-le en crabe presque jusqu’au sol » m’avait-il dit. C’est alors que je réalise que je suis bien trop haut pour toucher la piste, même en son milieu. Je pousse alors le manche vers l’avant et c’est le plongeon presque à la verticale. Un plongeon qui me surprend et qui a presque fait arrêter le coeur de Jeannine m’a-t-elle dit par la suite. Je redresse à environs 10 pieds (3m) au dessus du pavé, je laisse glisser et comme par enchantement, je sens à peine mes roues toucher la piste, presque en son milieu. Je laisse rouler jusqu’à l’arrêt total et je tourne pour revenir vers le hangar. Je suis aux anges. J’ai de la difficulté à réaliser ce que je viens d’accomplir. Il y a maintenant du monde au hangar. Emmanuel et son camion incendie, les deux cyclistes, dont Émile à Horace et un autre dont je n’ai pas souvenir, ensuite un badaud qui passait par là et puis Jeannine. Je roule encore sur la piste et quand je tourne vers le hangar, j’enlève mon casque et je les entends crier malgré le ralenti de mon moteur. Ils courent à ma rencontre et de peur de blesser quelqu’un je coupe les gaz. Ils m’entourent, poussent C-INNE presque dans le hangar et j’ai de la peine à sortir de mon appareil, tellement j’ai des tapes dans le dos, des félicitations et Jeannine qui pleure à chaudes larmes. Je suis sans voix, soulagé et j’imagine ressentir les mêmes émotions qu’un athlète olympique qui monte sur le podium. C’était ma médaille olympique personnelle. Je l’avais voulue discrète, sans tapage, mais maintenant que c’était réussi, je me souviens avoir murmuré à l’oreille de Jeannine : « J’ai réussi »… et j’aurais pu ajouter sans vantardise : «against all odds – envers et contre tous » puis je me suis mis à pleurer moi aussi. 
OLYMPUS DIGITAL CAMERA 

Dernière page de mon carnet de construction

Ceci met fin à la partie 1 de mon récit. La semaine prochaine, je débuterai la partie 2 (probablement plus courte) et qui portera sur l’historique de cette passion dévorante d’une vie et du curriculum qui l’accompagne. Merci à toutes mes lectrices et lecteurs qui m’ont suivi jusque maintenant dans ce récit véridique, tracé au meilleur de mes souvenirs et au fil des notes prises à cette époque.
GG

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire