lundi 23 juin 2014

Des voiliers et l’amitié

Par Georges Gaudet  georgesgaudet49@hotmail.com

Le plaisir n’est pas toujours proportionnel à la grosseur du bateau

Doris à mon père

Le doris de mon père.

Deriveur 1 

Mon petit dériveur de 11 pieds.

C’est l’été, enfin si celui-ci veut bien arriver avant que les jours ne commencent à rétrécir un peu trop vite. Voilà qui justifie les sujets à venir, puisque j’ai l’intention de vous entretenir de bateaux, petits et grands. J’ai même l’intention de dialoguer avec les bateaux et non, je ne suis pas fou. Mon père disait souvent que les navires, tous les navires, avaient une âme et que c’était pour cela que les bateaux ne savaient pas mourir. Ceux en fer finissent à la ferraille, dépouillés de tout et rouillés. Ceux en plastique terminent souvent leur vie dans un parc à déchets, cuits par le soleil et polluant l’environnement. Ceux en bois craquent et s’affaissent sur leurs structures, s’allongent le long d’une plage ou se fracassent sur des rochers pour disparaître au fond d’un havre, d’une crique ou même de l’océan. Les Vikings avaient une façon particulière de terminer la vie de leurs drakkars. Guerriers autant que pêcheurs et conquérants des mers, leurs bateaux mouraient avec leurs propriétaires. On étendait la dépouille du défunt sur le fond de son voilier, on y montait la voile et tout en orientant l’étrave vers le large, on y mettait le feu pour que celui-ci brûle avec la dépouille de son capitaine et rejoigne ses ancêtres au fond des mers inconnues de l’au-delà. Pas pratique pour les règles d’aujourd’hui, mais drôlement symbolique et respectueux du lien parfois indéfectible qui peut exister entre un marin, la mer et son bateau.

Petite histoire banale

La pluie avait saveur de sel et la température des allures d’automne, même si nous étions au début de l’été. Tirant derrière ma voiture mon petit dériveur, je décidai d’arrêter au bistro, question de siroter un vrai bon café de marin tout en espérant que dame nature veuille bien se calmer un peu. C’est là que je reconnus un vieil ami depuis longtemps disparu des quais que je fréquente habituellement. Il s’appelait Maurice et enfants, nous avions partagé notre passion pour les petits voiliers tout en rêvant d’en avoir de bien plus gros le jour où nous allions devenir riches. Ensemble, nous avons bâti un « Optimist » et puis un « Mirror » pour ensuite accepter que la vie nous éloigne l’un de l’autre. Maurice souffrait d’une maladie que l’on aurait pu appeler « ignorance du danger » et « ambition sans limites ». Cette particularité pouvait expliquer le nombre de fois qu’il avait dessalé « chaviré » avec ses dériveurs. D’une part, il s’était souvent trouvé dans la flotte et d’autre part, il était devenu un spécialiste du redressement d’un petit voilier. Personnellement, je n’étais pas peu fier de mon dossier vierge en renversement alors que lui, comptait avec fierté le nombre de fois qu’il était revenu sain et sauf sur la rive après quelques dessalages spectaculaires.

Optimist Mirror 

Un OPTIMIST                                                                    un MIRROR.

Quelque 30 années étaient passées depuis ce temps-là. Nos cheveux sont maintenant la couleur d’un nuage d’automne, nos tailles respectives un peu plus rondes et nos articulations passablement plus douloureuses. Toutefois, le feu de la passion de la voile ne s’est jamais éteint. Après quelques bières bien calées, Maurice m’apprit qu’il n’avait plus de voilier. Tu sais, à une certaine époque, je me suis payé le grand luxe. Quand j’ai quitté le pays pour faire carrière dans l’immobilier, je me suis vu d’abord avec un voilier de 22 pieds. Puis a suivi un 30 pieds et finalement, j’ai un jour possédé un beau « Swan » de 48 pieds. Et tu sais ce qui me chagrine le plus aujourd'hui? – pendant toutes ces années, j’ai eu l’impression d’être un chien qui courait après sa queue. L’argent rentrait bien, mes bateaux étaient ce que j’avais toujours désiré, je me suis marié, j’ai eu deux enfants et puis nous avons fait de merveilleux et trop courts voyages un peu partout dans le monde… en avion. Cela me coûtait une fortune pour les assurances, les places à quai, l’entretien et l’hivernement de ces beaux voiliers. Le pire dans tout cela, mes enfants n’ont jamais partagé ma passion pour la voile et quant à mon « ex », inutile de te dire que chaque fois que je voulais partir vers la mer en sa compagnie, il me fallait inviter toute sa communauté d’amis, de confrères et consoeurs de travail, mais uniquement pour un barbecue sur le pont, bien attaché à la marina. Je te le dis à toi, mon vieil ami des beaux jours, j’avais le sourire accroché jusqu’aux oreilles, mais j’étais malheureux comme un « plogueil » hors de l’eau.

Après de telles confidences, je me sentis obligé de partager une partie de mon existence avec ce vieil ami retrouvé. Comme la plupart d’entre nous, j’avais connu des hauts et des bas et à la différence de Maurice, la richesse n’était jamais passée sur mon chemin. J’étais demeuré collé à mon petit coin de mer après les études et je m’étais contenté de quelques petites chaloupes à voile tout en fabriquant mon petit bonheur, à la journée, en compagnie d’une formidable compagne qui avait toujours partagé ma passion pour la mer. Par courtoisie, devant cet ami plutôt malheureux, je me retins d’exposer mon petit bonheur sans grande histoire. Avalant une dernière gorgée de bière, je remarquai que les nuages s’étaient dissipés et un bon vent frais du nord d’environ 15 nœuds semblait s’être bien établi. Je donnai une bonne tape dans le dos à Maurice et lui dis : « Vient-en, on s’en va faire de la voile » — ce à quoi il répondit : « Je me demandais quand tu allais te décider à m’inviter. » Alors, nous sommes partis pour le club de voile non loin du bistro. Après quelques manœuvres dans la descente, mon petit voilier de 12 pieds était à l’eau et par esprit de compétition, Maurice se loua un « Laser » et me lança le défi de le battre autour des bouées du chenal du havre. Bien que je n’étais pas de taille avec mon petit esquif, j’acceptai pour le plaisir et je reconnaissais là, l’esprit compétitif de Maurice. Une fois sur le fil de départ imaginaire que nous nous étions fixé, nous sommes pour ainsi dire tous les deux décollés sur les chapeaux de roues… sur les écoutes de grande voile en quelque sorte.

Laser 

Un LASER

La course

Bien que plus lent à cause de la configuration de mon dériveur, je tins tête à Maurice pour un bon bout de temps. Les vieux réflexes de ce fier compétiteur tardèrent à venir, mais avec les embruns en plein visage, le sourire lui est revenu avec les gestes oubliés depuis trop d’années. Presque coque contre coque, nous avons filé bon plein jusqu’à la première bouée du chenal. Devant nous, quelques jeunes filaient largue dans leurs OPTIMISTS et se demandaient sans doute qui étaient ces deux vieux rabots qui semblaient tant s’amuser avec leurs embarcations si différentes. Certains d’entre eux tentèrent de s’intégrer à notre parcours et même de compétitionner avec nous, mais pour une fois, devant la vieillesse, ils durent s’incliner dignement alors qu’au vent arrière, une fois la troisième bouée contournée, Maurice prit la tête avec la fierté d’un paon et une expression presque piratesque digne de ses jeunes années. Les étraves de nos voiliers labouraient l’eau devant nous et la barre à la main, le corps tendu sur l’arrière de nos voiliers, jeunes et vieux filèrent vers la rive à la vitesse que le vent voulait bien nous pousser. Dérive relevée, safran débarré, les uns après les autres, nos voiliers s’échouèrent doucement sur la rive légèrement vaseuse du camp de vacances alors que plusieurs jeunes vinrent nous trouver pour nous applaudir. Les voiles s’abaissèrent, Maurice souriait et personnellement, je retirai mon mat de son emplanture, remisai ma voile et ramai jusqu’à la descente et embarquai mon voilier sur sa remorque. Après avoir remisé le LASER, Maurice vint me rejoindre. Tout en m’aidant à sécuriser le tout sur la remorque, il me regarda droit dans les yeux et je ne pu que constater qu’il pleurait. Quelques larmes bien discrètes qui avaient l’air de larmes de vent étaient en fait ce qu’un jeune enfant avait déjà appelé devant mon désarroi, « de l’eau de peine ».

La main sur mon épaule, un peu gêné, il murmura : « Merci! J’avais oublié qu’on pouvait avoir autant de plaisir avec quelque chose d’aussi simple. Merci mon ami et promets-moi une chose… » Et c’est quoi cette promesse que je lui dis? – que nous recommencerons à la prochaine occasion fut sa réponse. Quelques dizaines de minutes plus tard, nous partagions une bonne pizza et quelques bons souvenirs au resto du coin. Un dicton anglais dit tout : « The smaller the boat, the greater the fun. »

Bonne semaine à toutes et à tous.

…et Bonne St-Jean.

GG

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