lundi 7 juillet 2014

Souvenirs fabriqués de vent, de voiles et de feuilles.

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

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Goélettes et petit carnet de notes

Il fut un temps en ce début du 20e siècle, et ce, jusqu’à la fin des années cinquante où leur présence dans les havres des Îles de la Madeleine était omniprésente. Un siècle auparavant, beaucoup plus nombreuses, elles avaient baroudé le long de toutes les côtes des Îles. Chaque printemps, elles étaient plus d’une centaine, la plupart d’origine américaine. Avec chacune un équipage moyen d’une vingtaine d’hommes, elles amenaient aux pêcheurs et commerçants des Îles un précieux apport économique par l’achat de poisson et de biens essentiels à la pêche. Protégées par le traité de Versailles qui avait accordé un droit de pêche aux Américains dans le Golfe, la « descente à terre » de ces « occupants saisonniers » connut aussi sa période sombre et dont il faudrait plus que cette chronique pour traiter du sujet. Je m’en abstiendrai donc, car il est un autre volet beaucoup plus glorieux à propos de ces navires et équipages qui appartient en toute légitimité à de braves Madelinots. Ces hommes à l’eau salée dans les veines, à la ténacité des découvreurs et armés d’une Foi qui les honorait, avaient compris que si les autres pouvaient venir chez nous, pourquoi ne pouvaient-ils pas faire la même chose et tenter de conquérir les routes commerciales, mais à l’inverse.

La BTU

Une toile de la goélette BTU peinte avec fidélité par un de nos grands artistes méconnus aux Îles, monsieur Raynald Verdier

À la fin des années cinquante, les quelques goélettes survivantes de cette épopée portaient les jolis noms de ARIEL, propriété du capitaine Alphonse Arseneau, BTU et MCA, propriété du capitaine Hypolite Arseneau et bien d’autres dont les noms avaient souvent peu d’importance, car elles étaient mieux connues par le nom de leur capitaine. La goélette à Clopha qui en 1942 transporta 102 Madelinots quittant les Îles pour s’établir en Abitibi, la goélette à Taker, connue pour son transport de charbon et combien d’autres dont le modernisme à fini par faire abattre les mâts et transformer en caboteurs jusqu’à ce que CTMA et la Clark Steamship Company finissent par les remplacer toutes.

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Un jour, le hasard me mit en contact avec un vieux carnet de notes dont rien ne pouvait indiquer le trésor historique qu’il contenait. C’est en ouvrant les premières pages que j’ai réalisé à quel point son petit contenu portait en quelques lignes un tracé d’histoire, des bribes de vie illustrant parfaitement la dure réalité de ces marins et propriétaires de goélettes d’autrefois. C’était en 1950. En première page apparait la liste des dettes variant de 50 cents à deux dollars dans le pire des cas. Et puis ces voyages de pêche à Chéticamp et ces achats ou emprunts de filets de pêche. Des dépenses courantes comme l’achat de provisions. 7.60 $ chez Jos Bouffard et 25.20 $ chez George Savage pour la gazoline. Déjeuners payés à l’équipage à Chéticamp : 36 cents à chacun et achat de 6 pains, 96 cents. Ensuite les prises en novembre. En cinq voyages de pêche, on y mentionne 532 livres d’éperlans déposés à l’entrepôt frigorifique de Havre Aubert qu’on appelait le frigidaire.

Au tournant de chacune de ces vieilles pages jaunies, on a l’impression d’entrer dans un autre monde, une autre galaxie, mais toute aussi réelle que notre monde d’aujourd’hui et si différent en même temps. 1950, travail commencé le 10 avril, premier voyage de hareng chargé le 1er mai – parti des Îles le 4, arrivé à Souris le 5, à Georgetown IPE le 6 avec 445 barils de hareng, « over » de 5… ce qui voulait dire 5 barils sur le pont. Deuxième voyage, chargé le 15 mai, partis le 19 et avons fait Souris, Georgetown, Montague, Murray Harbour, Pictou NE et retour aux Îles le 30 mai. Vendus 435 barils de hareng, « short » de 31. Retour avec 44 tonnes de charbon. Troisième voyage : Parti des Îles le 6 juin, arrivé à Pictou NE le 7. En route pour Malagash NE, arrivés le 9 et retour aux Îles le 13 juin avec 46 tonnes de sel… et ainsi de suite en 1951, toujours avec ce parcours à faire rêver les vacanciers d’aujourd’hui et qui était si dangereux et pénible en cette époque pas si lointaine.

Ce petit carnet de notes, c’était celui de mon père. Lui aussi avait possédé sa goélette. Elle s’appelait Grace L. MacKinnon, construite en 1924 à Ingonish Ferry en Nouvelle-Écosse, enregistrée à Sydney NE sous le numéro 152651, elle ne mesurait que 56 pieds et 2 pouces (17 m 12) pour un tonnage de 29 tonneaux. Ce bateau était le bateau de ses rêves. Des rêves qu’il avait élaborés avec ma mère dans les premières années de leur mariage. Je ne peux compter le nombre de fois qu’il nous a raconté à mon frère et à moi les péripéties vécues avec ses frères, André, Pierre et Paul sur cette petite goélette, presque toujours chargée au-delà de ses capacités.

Papa - ateliergoélette maquette

Maquette de la Grace L. MacKinnon une fois terminée.

Au couchant de sa vie, il en a même réalisé la maquette tout simplement de vive mémoire. À part le profond attachement à ma mère, à ses enfants et à sa propre famille, sa goélette avait été son plus grand amour, même si ce vieux rafiot de 26 ans lui en avait fait baver de toutes les couleurs.

Des trésors

Il existe des trésors aux Îles et ces richesses ne sont pas dans des coffres cachés sous terre le long de nos côtes. Ils sont dans les souvenirs écrits ou gravés en mémoire d’hommes et de femmes qui, en leur époque respective, ont façonné ce que nous sommes aujourd’hui. Plonger dans chacune de ces générations passées, c’est réaliser toute l’ampleur du travail accompli, la grande espérance de ces gens à la résilience incroyable et la bravoure sans limites de ces hommes et femmes qui avaient l’air de poteaux plantés dans la mer, capables de résister à tous les vents, à toutes les tempêtes. Il fut des époques oubliées que nous n’avons pas le droit de laisser mourir dans la mémoire universelle.

Jean-Guy Poirier 

Passionné de voiliers d’une époque précédente à celle des goélettes, le Madelinot Jean-Guy Poirier excelle dans l’art de la construction de vaisseaux de guerre des XV, XVI, XVII et XVIIIₑ siècles. Véritables œuvres d’art, ces maquettes n’ont pas de prix, tant sur le plan historique que sur l’ampleur de la passion qui anime ces constructeurs de navires bien particuliers.

Encore aujourd’hui, des passionnés de cet autre monde s’amusent à recréer en miniature cet univers qui ne reviendra jamais. Un univers dont nous ne voudrions pas, tout simplement parce qu’il est comme cette montagne gravie de peine et de misère, de rires et de défis, de joies et d’aventures. Mais cette montagne vaincue sera toujours là et pour longtemps, tout comme un rappel de ceux et celles qui nous ont portés sur leurs épaules, afin que nous puissions continuer notre route, celle initiée par leurs coups de rames assurés.

Il fut un temps où la voile était l’outil de travail d’un peuple de navigateurs. Aujourd’hui, c’est un outil de plaisir et c’est très bien ainsi. Il nous suffit de ne jamais l’oublier.

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG

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