lundi 14 juillet 2014

Arthur et diversion dans un fjord

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

Un bateau est une île, une île est un pays.

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Tous les bateaux ont un langage. Il suffit de les écouter. Les uns sont tous petits, fragiles ou très fiables, d’autres plus grands, sont fiers, braves courageux, parfois téméraires, mais la nature a ceci de particulier qu’elle rappelle sans cesse que c’est elle qui maîtrise tout, qui impose ses lois et force la crainte ou l’admiration, toujours selon son bon vouloir. Il y a quelque temps, en une pure fiction bien sûr, j’ai rencontré l’âme d’un navire, la belle âme d’un beau et quelque peu, « vieux » navire. Encore solide, rempli de rêves et d’aventures, il m’a parlé de son existence heureuse, presque toujours assignée à promener des gens d’une île à l’autre, d’un port à un autre, d’un fleuve à un golfe. Ses tôles d’acier toujours solides témoignaient de sa force et l’usure de ses boiseries de son élégance. Son âme se tenait dans le coin d’une de ses cabines et c’est autour d’une bonne bouteille de vin que j’ai écouté sa belle histoire.

Si ma coque est de métal, mon âme, indissociable de celle-ci, est faite d’histoires, d’émotions et d’expériences me dit-il tout d’un coup. Pendant l’hiver, je remplace un traversier et pendant l’été, je promène des gens qui ont toutes sortes de raisons de monter à mon bord. Je suis à la fois le fou du roi qui amuse la galerie et le consolateur des affligés qui soigne les blessures. Et des blessures, il y en a tu peux me croire. J’avais les deux pieds bien ancrés sur son pont numéro 5 et petit à petit ce navire me raconta l’histoire de chacun. Tu vois ce mec là-bas? Dit-il? Il se bat contre un cancer virulent et sait que l’issue est peut-être proche. Il a choisi de monter à mon bord avec son épouse, question d’oublier un peu et de rêver une vie nouvelle tout en se payant le plaisir de dire merci pour celle déjà vécue. La sagesse entoure ses moindres gestes et moi, je veux devenir le meilleur navire sur lequel il a navigué. Et puis il y a cette femme. Remarque comment elle est plongée dans son bouquin. Elle veut être seule, pas dérangée par qui que ce soit et pourtant, elle meurt d’envie de partager avec quelqu’un ce voyage déjà entrepris en solitaire. De l’autre côté de ce couloir de cabines, tu as sans doute remarqué ce couple qui s’embrasse tout le temps. Ils ne sont pourtant pas jeunes, mais je t’assure que leur cœur le demeure. Ils dansent avec adresse et passion sur le parquet de mon salon parfois houleux et leur grâce rend hommage à la beauté de l’amour tout simplement. Ils m’ont dit, par la voix des murs bien minces de leur petite chambre, qu’ils étaient tous les deux seuls en ce monde. Ils souffraient du départ précipité d’un vieil amour et le hasard avait fait que mon passage devant leur chalet respectif le long du fleuve les avait incités à monter à mon bord. Tu sais, ce soir ils danseront tous au salon-bar et le bonheur que mon étrave labourant la mer pourra leur apporter sera une richesse de plus à mon crédit. Je suis ainsi, comme tu vois. Je suis un porte-bonheur, parfois un consolateur des affligés et surtout, un pont entre un bonheur possible et un bonheur réel, vécu dans le présent et qui refusera pour longtemps de mourir dans le souvenir de mes passagers. Les rives du Saint-Laurent n’auront plus jamais cette saveur tiède après qu’ils auront navigué à mon bord et les beautés de la Gaspésie et des Îles de la Madeleine, des fjords du Saguenay et des rives de la Basse-Côte-Nord, ne seront plus jamais que des noms sur une carte, mais bien des lieux tatoués dans leur mémoire, une mémoire qui refusera toujours d’oublier.

Une tempête, un refuge.

Fjord Saguenay

Une tempête s’annonce et je file à l’anglaise dans un port abrité. Le confort de mes vacanciers est plus important que la bravoure d’un défi lancé à cette mer qui me supporte. D’ailleurs, je la connais bien cette mer. Souvent d’une beauté sans pareille, parfois houleuse comme un parcours de montagnes russes et rarement, mais quelques fois dangereusement déchaînée. Alors, là; je garde mes distances et j’admire sa fureur et la puissance de tous ces Dieux olympiens qui ont façonné toutes ces vagues aux couleurs profondes, aux sommets d’une blancheur unique et à la force que seuls, les plus téméraires peuvent affronter, mais jamais sans danger.

Si je suis ainsi, c’est aussi parce que je suis guidé par un fantastique équipage. Mon capitaine est bien important bien sûr. Il est comme un patron, un maire, une personnalité sur terre, mais il n’est pas seul. Toutes sortes d’équipes contribuent à m’aider dans ma mission, soit celle de labourer l’onde de mes puissantes hélices et montrer aux passagers que je transporte, toutes les beautés de ce pays aux milliers de lacs et rivières, d’un grand fleuve et d’une mer s’ouvrant majestueusement sur un océan. Dans mes entrailles d’acier, des gens exceptionnels travaillent sans cesse à la dure tâche de voir à mon existence. Du huileur au laveur de vaisselle, de la femme de chambre au maître des cuisines et son équipe, des ingénieurs aux matelots et officiers, tous sans exception, contribuent au bonheur que je tente de procurer à tous ceux qui ont décidé de monter à mon bord.

Moments de réflexion

Appuyé à la rambarde, j’imaginais facilement ce monologue émanant du navire alors que l’écume de mer dansait le long de sa coque sous les yeux de quelques dizaines de passagers. Je les observais et je me demandais s’ils étaient vraiment conscients de tout le travail et tout le professionnalisme qu’exigeaient leur confort, leur sécurité, leur bonheur en somme. Tiens que je me disais. Combien d’entre eux réalisent toute l’importance des femmes de chambre? Et d’ailleurs, pourquoi dit-on « femmes de chambre » et non pas « hommes de chambre? ». Au pays des égalités souhaitées, des métiers « non traditionnels », se pourrait-il qu’on ait fait un oubli? – un oubli volontaire? Et que seraient ces passagers sans ces femmes? – sans ces personnes qui jour après jour, ramassent nos déchets, nettoient salles de bain, douches et toilettes, balaient chaque espace et surtout, soulèvent quantité de matelas, draps et oreillers pour que nous, les voyageurs, ne souffrions pas du moindre désagrément?

Un peu penaud, je suis retourné à ma chambre, mais non sans avoir salué au passage ces deux femmes de chambre qui ne se doutaient certainement pas du contenu de mes pensées. Une fois bien calé entre deux oreillers, mon ordi sur les genoux, j’ai obéi à ce besoin d’écrire le texte que vous lisez présentement. Le sommeil allait sans aucun doute venir, mais avant de me laisser aller dans les bras de Morphée, je me suis encore abandonné à ce rêve éveillé d’un dialogue avec l’âme de ce navire. Une âme qui me disait essentiellement ceci : « Tu vois, un navire, c’est comme une île. Il est entouré d’eau et subit constamment les assauts de la mer à cette différence près qu’il se déplace sur sa surface. En ce sens, il devient un pourvoyeur de liberté puisqu’une île, quand on peut en partir et y revenir à volonté, celle-ci peut nous sembler paradisiaque, mais si l’on ne peut la quitter, cette dernière devient facilement une prison. Et si belle puisse être une prison, cela demeurera toujours une prison. Je suis donc une île libre, une île comme un pays. Eh oui! Des gens m’habitent, partagent mon espace, voyagent hors mes frontières. Un gouvernement me dirige et des gens travaillent à mon succès. Je procure confort et bonheur à ceux et celles qui veulent bien en profiter et comme tout bon gouvernement, je veille à ce que mes habitants y trouvent chacun et chacune, leur petite parcelle de bonheur.

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Je m’appelle navire ou bateau. Je suis une île qui avance sur l’eau, un pays qui flotte sur frontières entre rêves et réalités. Je suis votre navire de croisières. »

Bon voyage à toutes et à tous.

GG

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