lundi 20 juillet 2015

Afin de réhabiliter son nom et son honneur

Elle s’appelait AZÉLIE, quel joli nom.

Croquis Azélie

Si par malheur, le mot « Américain » était prononcé dans la maison, sa grand-mère se mettait à fermer les fenêtres et les portes tout en marmonnant une litanie de mots qui semblaient dire à peu près ceci :«mon d’jieu, mon d’jieu, les Amaritchains. » Intrigué, son petit-fils lui demanda un jour pourquoi elle agissait ainsi chaque fois que ce mot était mentionné dans sa demeure et il eût pour toute réponse : « toi, mêle-toi pas de ça. » Évidemment, ce genre de réponse ne fut jamais satisfaisant et le jour arriva où le hasard mit son petit fils devant des documents qu’il croyait ne jamais avoir le privilège de lire.

C’était par une nuit d’automne et l’historien du village avait décidé de lui accorder une rencontre afin d’élucider le mystère du comportement de sa grand-mère, une femme pourtant saine d’esprit et bien en santé. Entré chez cet homme vers les 20 heures, il en sortit tout chamboulé vers les 4 heures du matin. C’est que cet historien du village avait en sa possession certains registres d’église qui tout en moisissant dans son sous-sol, comportaient un lot historique paroissial qui valait son pesant d’or. Noms de baptême, baptistaires, actes de mariage et décès de presque un siècle et demi figuraient sous la plume de quelques curés d’une époque révolue et qui révélaient la triste histoire de quelques femmes et enfants dont on avait tenté d’oublier l’histoire.

Le côté obscur d’une certaine époque.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA  Il s’agit d’une époque d’environ un siècle, du temps des goélettes américaines qui, arrivant majoritairement de Gloucester au Massachusetts, envahissaient les baies des Îles de la Madeleine chaque année entre avril et la fin juillet afin d’y pêcher hareng, morue, maquereau et flétan. Par un vieux traité de Versailles, les Américains avaient eu le privilège de pêcher impunément dans les eaux du golfe Saint-Laurent, ce qui faisait bien l’affaire des pêcheurs côtiers et marchands. En effet, plus de 2000 hommes, chaque année débarquaient sur les côtes des îles pour y marchander poisson, victuailles, équipement maritime et… boisson alcoolisée. Qui dit boisson, contrebande et bagarres en résultant, finissaient souvent par des actes de vandalisme et des raids dans les maisons des villages au grand détriment des femmes et jeunes filles qui habitaient ces demeures. Cette époque, en quelque sorte lucrative, fit cependant de nombreuses victimes féminines alors que le mot viol n’existait pas. En effet, il était de nature connue qu’une femme ayant subi un viol devait « forcément » être responsable de son état. Elle était alors à la fois victime et accusée en même temps. Les traces de cette triste réalité se trouvaient donc dans certains registres paroissiaux où les mots : « s’est fait prendre » étaient accolés à une suite de noms d’enfants baptisés et suivis du mot « bâtard » entre parenthèses. Plus surprenant était le nombre de ces enfants et parmi eux, l’historien du village pointa dans une liste passablement longue, le nom de JEAN suivi de ladite annotation « bâtard », né de dame AZÉLIE (Zélia) et de père inconnu. C’est là que le jeune homme comprit le malaise de sa grand-mère, puisque cette dernière était la fille de Jean et la petite fille d’Azélie. Il s’agissait donc de son arrière arrière-grand-mère et c’est avec une grande tristesse qu’il découvrit peut-être le pourquoi des origines de ses nombreuses taches de rousseurs sur sa peau, particulièrement lorsqu’il était enfant.

Azélie, ce nom commençant par la première lettre de l’alphabet avait été transformé en Zélia, ce nom commençant par la dernière lettre de l’alphabet. Peut-être n’y avait-il aucune raison à cette transformation sinon que l’habitude de modifier les noms des personnes par facilité de langage, mais il faut reconnaitre ce curieux hasard. Ajoutant le poids de l’accusation sur la pauvre Azélie, le curé de l’époque avait annoté l’acte de décès de cette brave femme du commentaire suivant : « … et pour expier son péché, elle ne se maria point et porta le noir toute sa vie. »

Bouleversé et choqué d’une telle découverte, le jeune homme rentra chez lui avec une seule idée en tête. Un jour, il allait trouver l’occasion de réhabiliter le nom et l’honneur de son arrière arrière-grand-mère. C’est ainsi que plus de 30 années plus tard, lui et sa compagne, eurent l’idée de fonder une humble maison d’édition qu’ils baptisèrent du joli nom de « Les éditions Azélie ».

Logo des Éditions Azélie

Capitaine 1  À la semaine prochaine.

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