vendredi 14 décembre 2018

Septième croisière



Rencontres, pluie, soleil et amitié.

Il me dit : « Quelle est la monnaie que les poissons utilisent ? »Et devant ma perplexité face à une telle question, il me répond avec un grand sourire de vainqueur : « Des sous-marins! »J’éclate de rire et lui avoue que je me suis fait avoir. Ses yeux pétillent derrière de grosses lunettes à plusieurs champs de vision. J’essaie de deviner son âge. Pas très grand, casquette de pêcheur sur la tête, chandail aux motifs bigarrés bourgognes et gris, il se promène allègrement sur tous les ponts du navire, toujours en quête d’une victime de ses petites devinettes qu’il sème au gré du vent tout en enfilant le bastingage. Le personnage m’intéresse, beaucoup plus par curiosité que par la qualité de ses petites attrapes verbales et j’ose lui poser la question suivante sous forme de réflexion à voix haute : « Vous semblez prendre un grand plaisir à faire rire les gens. » Et c’est là qu’il se mit à parler de lui.

Je suis un chevalier qu’il me dit. J’en déduis qu’il veut dire « Chevalier de Colomb »,cette confrérie catholique de bienfaisance d’origine américaine, créée en 1882 pour, dit-on, faire opposition à la grande majorité d’origine protestante de l’époque, tout en rappelant à cette dernière que Christophe Colomb,«découvreur» de l’Amérique, était bien un catholiqueNe voulant pas glisser sur ce piège, je demeure muet et il continue. « Je me suis donné pour mission de faire rire les gens. J’essaie de déclencher en chacune des personnes que je rencontre, un rire, un sourire, afin que ma rencontre, si fortuite qu’elle puisse être, fasse de cet individu, un être plus heureux ou meilleur si c’est possible. En d’autres mots, j’essaie de semer un peu de bonheur dans le cœur des gens sur le chemin de ma vie. »Noble mission que je lui dis, mais ne voulant pas en savoir plus, je me contente de le remercier pour sa petite blague tout en me demandant ce que pouvait cacher cette obsession de semer du bonheur à tous vents. Autrefois journaliste, j’aurais approfondi bien plus son histoire, mais ils sont comme ça, les touristes sur notre navire. C’est une drôle de race. Ici le semeur de bonheur, là une dame qui pleure silencieusement, enfouie dans un fauteuil moelleux. Ailleurs  une autre dame rit aux éclats comme vaisselle qui casse alors qu’une autre crée un véritable branle-bas parce qu’elle a failli s’étouffer avec sa nourriture. Quelques fumeurs et fumeuses se traînent péniblement vers le balcon des fumeurs, d’autres lisent des bouquins et pendant ce temps, quelques baleines font le dos rond non loin de mon hublot. Donald et Audette terminent leur prestation de danse professionnelle et Brigitte se donne pour mission de « brasser la cabane »avec ses chansons endiablées. 

Le soleil m’a fait un véritable cadeau ce matin. Il a peint sur la vitre en face de ma table dans le « lounge »,une toile de gouttelettes comme seule la nature sait en créer la beauté. 

Le Rocher-aux-Oiseaux et l’Île Brion se sont révélés dans toute leur splendeur, du coup faisant oublier leurs tristes histoires de naufrageurs et d’îles parfois maudites. Il va faire beau que me dit un passager, comme si cela ne tenait pas de l’évidence. Une partie de moi nage en plein bonheur et l’autre s’ennuie de sa belle. Comme il est difficile de vivre tant de belles choses et de ne pouvoir les partager avec ceux et celles qu’on aime.

Une fois à quai, mon scooter « Snoopy »me guidera sur 198 kilomètre d’îles en îles le lendemain. 
Et le jour suivant, je hisserai la grande voile et le foc, montrant ainsi à mon ami Rémy comment le vent se fait complice de nos rêves quand on sait le respecter. Les vagues de la baie intérieure glisseront le long de la frêle coque de ce petit voilier aux formes bourrues et à l’agilité hésitante, mais juste assez pour déclencher des lumières d’émerveillement dans les yeux de mon ami. 

De retour en Gaspésie le 15 août, la ville de Gaspé s’est fait tonnerre, éclairs et pluie torrentielle. Étais-ce une façon de souligner la fête nationale des Acadiens que je n’en serais pas surpris. L’ondée a trempé en quelques minutes toutes les rues de même que nos vêtements. Heureusement, la chaleur intense nous aura probablement préservés d’un bon « coup-de-froid » bien mal venu. Et puis comme pour se faire pardonner, dame nature accompagne maintenant notre navire sur une mer calme, légèrement ondulée et parcourue de frissons alors que le soleil darde encore une fois de ses rayons toutes les fenêtres de la cafétéria. Je regarde les flots et je rêve. Un ciel gris sombre touche la mer au nord-est alors que le nord-ouest semble préparer le lit du soleil pour la nuit. Les vibrations du navire caressent mon cœur. Je suis loin de la civilisation, loin de ma sirène dont j’ai hâte d’entendre le chant. Les ouvrières du bateau ramassent les tasses et assiettes, quelques sourires me sont adressés à travers ma solitude. Elles respectent avec délicatesse mon isoloir au fond de cette cafétéria habituellement si remplie de bruit et de vaisselle cassée.
Seules, quelques personnes à l’opposé de la salle jouent aux cartes. Des cris sporadiques et paroles fortes fusent occasionnellement de leur table de jeu, mais sans plus. 

…Et moi, je préfère regarder la mer par mon hublot. Le hublot de mon cœur, celui qui après-demain, me mènera à celle qui m’attendra sur le quai du bonheur.

GG      


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