vendredi 4 janvier 2019

Huitième croisière

Nous avons tant à apprendre des autres.

Encore une rencontre exceptionnelle. C’est l’avantage d’une croisière sur un navire relativement petit. Tout une micro société y vit avec tous ses penchants, ses habitudes et ses manières de vivre. Nous venons de contourner la pointe de l’entrée dans la baie de Gaspé et faisons voile vers Québec. Le navire roule et tangue légèrement par ce vent en poupe. La brume masque notre route alors que l’étrave bouscule légèrement les rouleaux de mer juste devant nous. Appuyé à la rambarde, mes pensées se portent vers la journée précédente.

C’était hier et je venais de terminer une conférence en anglais. « Puis-je vous parler » qu’il me dit dans la langue de Shakespeare. Bien sûr que je lui dis et c’est là qu’il entama le récit de sa vie. Âgé de plus de huit décennies, il m’apprit qu’il fut d’abord médecin généraliste, puis plus tard gynécologue et chercheur attaché à une grande université bien connue mondialement. Intéressé par la génétique, il fut le premier scientifique à expérimenter l’insémination artificielle auprès de femmes stériles. Ses recherches et expérimentations l’ont mené à parcourir la planète, à visiter de nombreux pays et à se lier d’amitié avec certains peuples dont la majorité étaient d’Afrique. Selon ses dires, il aurait appris autant de ces gens que de ses études universitaires. Aujourd’hui retraité, père d’une fille chercheure comme lui et grand père d’un jeune se destinant à la médecine, c’est avec une fierté avouée qu’il me présenta sa famille, sans oublier son épouse, elle aussi infirmière spécialisée en recherches médicales. Aussi, me parla-t-il d’un peuple bien particulier, découvert lors de ses nombreux voyages autour du monde. Un peuple refusant l’inégalité au sein de sa communauté. Un peuple satisfait de ses jeux de société en autant que toutes les parties finissent par un compte égal, allant jusqu’à compter dans son propre filet de foot pour égaler le compte. Un peuple refusant de tuer tout ce qui était vivant tout en n’étant pas végétarien. Je lui fis remarquer que ce peuple me semblait un peu en contradiction avec lui-même puisque les gens de ce village demandaient aux voisins d’un autre village de tuer pour eux leurs poulets et autres bestioles de leur environnement. Il me sourit gentiment tout en me spécifiant que nos sociétés ne font pas mieux quand elles achètent leurs viandes dans les supermarchés tout en se prétendant amies des animaux. Drôle, mais je n’y avais pas pensé. 

Voyant que je ne pouvais rivaliser de connaissances avec ce charmant érudit, je lui posai la question ultime qui me titillait depuis un bon moment. 

Croyez-vous en Dieu ? que je lui dis, ajoutant que la très grande majorité des scientifiques affirment haut et fort qu’ils ne croient qu’en la science et qu’en tant que scientifiques, il leur est impossible de croire en un Dieu quelconque. Et c’est là que sa réponse me bouscula passablement.

« Je vais vous surprendre, mais oui, je crois en Dieu, ou appelez-le comme vous voulez, cela n’a pas d’importance. Personnellement, je suis de confession anglicane, mais je crois aussi que personne de l’autre côté de la vie va vous demander, le moment venu, de quelle nomination religieuse vous étiez. Personne d’ailleurs n’est venu nous dire comment c’était de l’autre côté du miroir de la vie, mais je persiste à croire en quelque chose de bien plus grand que nous, au-delà de notre science si orgueilleuse de son savoir. Je vais vous avouer une chose. Chaque fois que je suis devant un problème grave à résoudre, comme par exemple l’ablation de cellules cancéreuses ou toute autre menace à la vie, je m’isole dans un bureau du centre hospitalier et je m’agenouille devant plus puissant que moi et lui demande de guider mon scalpel. Bien sûr, je n’ai jamais vu Dieu au bout de ce scalpel, mais je peux vous assurer que j’ai été témoin de miracles. Des miracles rares certes, mais des guérisons dont je savais n’y être pour rien tout de même. Et c’est là, la grandeur de cette force, de cette énergie bien plus grande que nous et devant qui ou quoi, nous devons tous faire preuve d’une certaine humilité. » 

J’étais bouche bée, fasciné par la sagesse qui se dégageait de ce vieillard. C’est en des moments pareils qu’à mon tour, je remercie Dieu de mettre sur mon chemin des êtres si extraordinaires. Le navire berçait mes pensées et j’eus l’impression que cet homme les lisait comme un livre ouvert. Votre langue seconde est très bienqu’il me dit. Vous parlez comme un insulaire de l’Île-du-Prince-Édouard.Je ne pus que sourire à ce compliment et nous avons continué notre conversation autour de l’insularité bien sûr, mais plus encore. Ensemble, nous avons échangé sur des phénomènes particuliers, souvent ressentis dans la chambre d’un mourant et lui, docteur en science, loin de me dire qu’il ne s’agissait que de fabulations, en rajouta un peu plus en disant qu’il était parfaitement conscient de ces phénomènes pas toujours présents, mais nullement rares non plus. Nous nous sommes serré la main avec chaleur et son regard plongé dans le mien, il me dit : « Merci de m’avoir accordé votre précieux temps », ce à quoi je lui répondis :« C’est plutôt à moi de vous remercier pour cette enrichissante rencontre. »Et puis nous nous sommes séparés.
    
C’est parfois comme ça une croisière. Bonne bouffe, rires, jeux, chants et danse sont presque toujours de la partie, mais il est des jours où il y a plus. 

Beaucoup plus. 

GG

    

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