lundi 14 octobre 2013

Un bateau est une île

* Excusez mon absence, mais j’ai de bonnes raisons. La promotion de notre roman « UN CADAVRE DANS LE CHALUT », plus de 3000 km le long des routes du Québec et 15 jours de camping dans la « Dodge Caravan » en plus de la nécessaire décompression après ce voyage m’ont éloigné de vous, fidèles lectrices et lecteurs. Permettez-nous alors, à Dominique et moi, de vous raconter un peu notre histoire d’été. Un été unique, un été qui restera longtemps gravé en notre mémoire. Ce blogue en est un de mots, de bateaux et occasionnellement de pinceaux. Eh oui, j’adore illustrer ce que j’aime. Alors, bienvenue à nouveau dans mon monde; cette fois-ci, dans notre monde à Dominique et à moi… et puis bonne lecture.

Georges Gaudet

Doux souvenirs

North Gaspé

C’était l’été de mes 18 ans, nous étions en 1968, et j’avais bien des projets en tête. Au grand plaisir de mon père, afin de payer mes années d’études, j’avais travaillé pendant toute la saison estivale sur le « North Gaspé », un bateau faisant la navette entre les maritimes et les Îles. Depuis ce temps, jamais je n’avais eu l’occasion de revivre une expérience similaire, même si au plus profond de mes souvenirs, je rêvais de revivre ce temps en mer. Et puis l’an passé, le sort ou la chance, peut-être les deux, ont fait que j’ai vécu avec ma compagne, 12 semaines en mer avec passagers et équipages.

 PB230006Dimanche le 25 août, nous quittions le pont du CTMA VACANCIER pour une dernière fois cette année. C’était la fin d’un contrat, un contrat bien rempli par les deux parties. C’était une belle expérience qui se terminait bien, même si le cœur était gros, même si nous retenions nos larmes pour ne pas avoir l’air trop émotifs, trop idiots. Et pourtant, nous percevions les mêmes émotions chez tous ces membres d’équipage que nous avions côtoyés au cours de ces nombreuses semaines.

Patio 1Pour tout vous dire, quand le mardi suivant, le bateau a quitté le port, nous l’avons regardé partir de notre balcon, et tous les deux, nous nous sommes sentis… orphelins.

Quitter son bateau, c’est comme quitter son île. L’insularité demeure dans les veines. Un bateau, c’est plein de vie là dedans. Il y a un capitaine bien sûr, mais il y a aussi tant de gens. Des gens gentils, d’autres un peu moins, des gens heureux, d’autres un peu moins, des gens souriants, des gens qui aiment la mer, qui aiment leur île qui glisse sur l’océan. Le navire est leur maison tout comme ce fut la nôtre tout au long de ces voyages. Le grand navigateur français qu’était Éric Tabarly n’a-t-il pas dit qu’un navire, c’était une maison dont on pouvait changer le paysage à volonté? Difficile de prétendre le contraire quand pendant deux étés, comme un immense diaporama, vous avez vu sous toutes les couleurs, sous toutes les températures, sous toutes les heures du jour et de la nuit, les Îles de la Madeleine disparaître à l’horizon ou y renaître. Quand vous avez vécu le même émerveillement pour le Rocher Percé, les berges du fleuve St-Laurent jusqu’à l’Île au Coude et l’arrivée à Québec au pied du Cap Diamant et du château Frontenac.

IMG_8596Difficile de ne pas être ému ou de sourire quand chaque fois que le bateau glissait sous un des ponts enjambant ce majestueux fleuve que si peu connaissent, d’entendre quelqu’un crier à la blague : « baissez vos têtes ». Difficile d’oublier tous ces voyageurs que nous avons accompagnés chaque semaine. Différents de groupe en groupe, les uns très joyeux, d’autres un peu inquiets, certains soignant de graves blessures intérieures et partageant avec nous ce beau pansement qui s’appelle, une croisière. Difficile d’oublier tout ça.

Et si un bateau de croisière était plus que cela encore. Si c’était une île totalement indépendante, avec ses chefs, ses travailleurs, sa direction, ses objectifs et surtout sa population, si petite soit-elle. De la femme de chambre qui jour après jour fait les lits de chacun et chacune en passant par tout le personnel de la cuisine, il y a un monde dont le travail est essentiel au bon fonctionnement de l’île. Le personnel de la timonerie sait d’où il vient et où il va bien sûr. N’est-ce pas comme ça que devrait fonctionner une société normale? Quant au personnel des services, alors là, c’est le grand luxe pour les vacanciers. C’est là que prend tout son sens l’expression « soignée aux petits oignons ». Et puis il y a les travailleurs de l’ombre, tout aussi efficaces, qui voient à la bonne marche de l’île mouvante sur l’onde. Ils s’appellent ingénieurs, huileurs, mécaniciens, matelots de pont, électriciens, officiers de bord… etc., ceci sans oublier ces gens qui se chargent d’amuser ces passagers de quelques jours, pour qu’ils ne s’ennuient pas. Et qui pourrait s’ennuyer ainsi à moins d’être complètement mort? La salle de spectacle est toujours occupée à quelque chose. Un couple enseigne la danse ou fait danser son monde, des musiciens s’y produisent avec grand talent, des conférences et des ateliers y sont tenus alors que non loin de là, salle d’exercices, salon de coiffure et salon de massage en plus d’une salle d’amusements pour enfants se voisinent d’une porte à l’autre.

Pendant ce temps, le temps véritable s’oublie. Il disparaît dans un autre monde alors que les changements de pilotes et les baleines occupent la galerie. Gaston en profite pour enseigner comment on déguste un homard.

IMG_0058Dominique donne des ateliers d’écriture et moi,

 IMG_8313 je raconte bien humblement, comment étaient les Îles de la Madeleine, bien avant ce qu’elles sont aujourd’hui.

IMG_8432 (e)Dans le sillage laissé à la poupe, disparait parfois pour les uns, un monde de souffrances, un monde épuisant pour d’autres. Le rêve s’installe sous les étoiles et la luminescence du plancton au clair de lune. Dans chaque chambre, les vibrations du moteur, le cœur du navire, inquiètent parfois les uns, rassure et fait dormir les autres. Au fond du navire, des gens veillent aux machines et dehors, les hélices brassent la mer pour que notre île continue d’avancer. Elle avance vers d’autres îles ou vers la terre ferme, vers un continent qui réclamera bientôt son lot de gens qui l’ont quitté. Alors, d’autres s’embarqueront encore une fois, sur notre île mouvante, notre île voyageuse.

Quand les nouveaux arrivants embarquent à bord, l’officier responsable de la réception leur souhaite la bienvenue tout en les gratifiant de deux consignes bien claires. D’abord, à partir de maintenant, vous êtes en… vacances et ensuite, ici à bord, nous sommes déjà aux Îles de la Madeleine. Alors, c’est vous qui avez un accent, pas nous! Et ils éclatent tous de rire et pour la plupart, ils riront jusqu’au moment de quitter le bord, à la fin du voyage.

P1150033 BQuand ce mardi suivant, le CTMA VACANCIER est parti sans nous, c’était une île qui nous quittait. Heureusement que nous vivons toujours sur une autre île, mais celle-là, elle est plutôt difficile à faire bouger. Le quai est désert, les trois navires de CTMA sont partis, le gazon pousse trop vite à notre goût, et en notre tête, nous sommes toujours en voyage. Un beau voyage!

Georges Gaudet et Dominique Damien

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