lundi 3 février 2014

Histoire d’une passion Partie 1 (suite 11)

« L’homme est-il fait pour voler? »

Qui sait si l’homme est fait pour voler? En tous les cas, je sais ce qu’il devient si on lui coupe les ailes et c’est ce qu’on m’a fait. À 18 ans, un problème cardiaque somme toute anodin si on m’avait opéré, à miné tous mes espoirs de carrière de pilote dans l’aviation. Cette tache dans mon dossier a accompagné tout mon dossier médical depuis le début de ma jeunesse jusque 5 années après une opération devenue nécessaire le 6 décembre 1996 à l’institut de cardiologie de Montréal, soit après les 28 années les plus productives de ma vie. Pourquoi ne m’a-t-on pas opéré avant? –réponse d’un médecin : « Cela aurait coûté trop cher à l’époque et des médicaments pouvaient contrôler ta pathologie. » WOW! Cette tache à mon dossier comme je l’appelle, a ruiné ma carrière professionnelle et j’ai coûté en médicaments, en maladie psychosomatique et en chirurgie dérivée probablement trois fois plus à la société que si j’avais pu réaliser mon rêve de jeunesse.

 GG - 1993 

1993

Un rêve qui était plus qu’une lubie. Il s’agissait ni plus ni moins d’une vocation. Mon obstination a voler au moins une fois avant de mourir en demeurera toujours la preuve. Et puis un jour, un médecin de l’aviation civile me propose un certificat médical « classe D », ce qui me donne au moins l’autorisation de voler seul et en ultraléger seulement. Ce n’est pas l’idéal, mais au moins, l’espoir se montrait le bout du nez.

« L’homme n’est pas fait pour voler » que les curés et même les scientifiques du début du siècle dernier disaient. Probablement que bien de mes amis pensaient la même chose. Certains sont même allés jusqu’à me dire : « Si Dieu avait voulu que l’homme vole, il lui aurait donné des ailes ». Et moi je répondais : « Et s’il avait voulu qu’on aille plus vite, il nous aurait donné un moteur et des roues. »

L’affaire tournait au ridicule parfois, mais j’ai dû gagner ma vie autrement et il est une chose dont je suis convaincu aujourd’hui. Si l’homme n’est pas fait pour voler, il l’est encore moins pour travailler derrière un bureau… et c’est malheureusement ce que j’ai fait pour y gagner ma vie, enfin, pour y gagner ce que j’ai pu dans de telles circonstances.

Je suis devenu un douanier (un gabelou)

La douane 

Photo d’origine inconnue tirée de sur le net.

Je n’ai aucune photo de ce travail, même si je l’ai exercé de septembre 1989 à fin juin 1996, en plein dans le temps où je construisais mon appareil. J’ai aimé la sécurité et le salaire que cet emploi m’offrait, mais j’ai détesté ce travail de fonctionnaire. Je l’ai détesté à tel point que lorsqu’on a fermé mon bureau aux Îles de la Madeleine, j’ai refusé une mutation à Québec et pris l’option d’une réorientation de carrière dans un autre domaine à l’âge dangereux de 47 ans.

Le 2 septembre 1993, voici ce que j’écrivais dans mon registre de construction d’avion.

« Exceptionnellement, je comptais sur une période chômée jusqu’au 1er avril de l’année suivante, ce qui m’aurait donné tout le temps nécessaire à consacrer à la construction de mon rêve. Malheureusement, mon confrère de travail se bat contre un cancer et je dois le remplacer sur-le-champ. Alors de 8 h à 17 h, je travaille maintenant à plein temps pour le gouvernement fédéral. Je pousse des crayons, griffonne sur des feuilles, accumule du papier dans des tiroirs, expédie des feuilles à d’autres qui vérifieront mes griffonnages, mes calculs, puis griffonneront à leur tour dessus pour enfin satisfaits, ranger le tout dans un tiroir à Québec. Ici, on me dit que c’est un travail important. Le dernier personnage qui placera la dernière feuille dans un tiroir sera encore beaucoup plus important que moi, du moins c’est ce qu’on me dit. On omettait aussi de me dire qu’il était encore bien mieux payé que moi, mais ça, cela fait partie de la normalité à ce qui parait. Et cet important personnage, il sera d’autant plus important qu’il aura été le dernier à avoir griffonné des chiffres et des lettres sur le même papier que le mien, mais en plusieurs copies s’il vous plaît. En récompense de tout cela, tous ceux qui auront mis des lettres et des chiffres sur les mêmes bouts de papier en recevront un autre tous les 14 jours. Celui-là, c’est le seul qui compte vraiment dit-on. Cela s’appelle… une paye.

Bien sûr pour moi, c’est le seul qui compte. Eh oui, parce qu’il me permet de rêver, mais il me permet surtout de créer, de concevoir, de m’acheter les outils nécessaires pour devenir moi-même, c’est à dire travailler de mes mains, sentir les émotions au fil des dents de scie dans le bois, la douleur des neurones dans le processus créatif et la satisfaction de voir naître une chose… qui me ressemble. Je suis probablement un grand naïf puisque je n’ai jamais compris pourquoi on ne pouvait pas tout simplement être payé pour être créateur. Il semble qu’en notre société d’aujourd’hui, il faille être concepteur d’étoiles pour en retirer leur lumière.

Autrefois, quand j’étais agent de sécurité dans un aéroport, je me percevais aisément comme ce personnage de St-Exupéry : “L’allumeur de réverbères” tiré de son merveilleux roman “Le Petit Prince.” J’allumais les lumières de l’aéroport et puis je les éteignais. Aujourd’hui, je suis un “gabelou”, autrement dit un compteur d’étoiles. (Les « gabelous » étaient des contrôleurs de taux de change à l’époque ou le sel servait de monnaie étalon entre les nations). Demain je volerai vers elles, je me noierai dedans et je n’aurai plus à les compter. Et si, de l’une d’elles jaillissait la lumière d’un rêve réalisé?…Quel bonheur ce serait. Mais en attendant, chaque soir après avoir compté les étoiles seulement pour compter des étoiles, gratté du papier seulement pour gratter du papier, il me faut encore construire pendant quelques heures, à bout de fatigue et de peine, les superstructures de mon rêve, celui que d’autres “gratteux” de papier m’ont volé, alors que je n’avais que 18 ans.

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Sable et sable encore mon Norbert, mon bon ami qui veut absolument que je vole un jour, car lui aussi, on lui a interdit de voler. Les oiseaux diabétiques volent, mais pas l’homme. Demain, c’est à dire la semaine prochaine, tout sera prêt pour le recouvrement de l’avion. Alors comme une coque de bateau, il commencera vraiment à ressembler à un avion.

GG

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