lundi 17 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 2 (suite 2)


COMMENT NAÎT UN RÊVE.
Escalier 1                            
* J’ai souvenir de deux petits garçons et d’une armoire sous l’escalier. Tous les soirs, entre 20 h 30 et 21 h, juste après les devoirs, ils entraient dans ce qu’ils appelaient leur cockpit d’avion et en fermaient la porte. Avec une petite lampe de poche, ils jouaient au pilote et au copilote. Les murs et l’envers des marches de l’escalier étaient tapissés de cadrans dessinés sur papiers et cartons. Leur rêve devenait réalité dans leur tête alors que les sons de leur bouche simulaient les bruits ambiants et les conversations radio avec des tours de contrôle imaginaires des aéroports de tous les pays connus de leur monde. Cela durait des samedis entiers et les soirs de semaine, une demie heure seulement. Vers les 20 h 45, leur père frappait à la porte de leur cockpit et disait : « C’est le temps d’aller vous coucher. Ouvrez cette porte. » Les deux aviateurs savaient qu’ils bénéficiaient encore de 15 minutes de vol. Alors, ils répondaient presque toujours : « OK là, mais on est pas encore atterris ». Et là, s’amorçait un étrange dialogue entre les deux enfants. L’un disait : « Tour de contrôle de Montréal, tour de contrôle de Montréal, ici l’avion CFHA. Demandons permission d’atterrir », et l’autre de répondre : « Ici Montréal à CFHA, permission d’atterrir sur la piste 06 dans dix minutes. Maintenez votre cap et appelez-nous en approche. » Ces deux enfants avaient tellement lu de bandes dessinées et de livres d’enfants sur l’aviation et leurs héros tels Tintin, Buck Dany, Tanguy et Laverdure et d’autres qu’ils connaissaient déjà les premiers rudiments du langage aérien, bien que celui-ci demeurait enfantin. Une fois l’atterrissage toujours réussi, ils sortaient de leur avion imaginaire et allaient se coucher après une petite prière du soir au pied de leur lit… et ils s’endormaient en rêvant du jour où ils voleraient pour de vrai. Ces deux enfants, c’étaient mon jeune frère unique et moi.
Piper sur glace    
J’ai souvenir de jolis avions qui se posaient sur les glaces pendant la fameuse chasse aux loups-marins. Un jour, j’ai compté 19 de ces avions, tous posés sur le havre de Havre-Aubert, juste en face de notre maison, le long du chemin des fumoirs et du petit ruisseau. J’apprenais leur nom par coeur. Ils s’appelaient Piper, Aéronca, Cessna, Tailorcraft et parfois parmi eux, siégeait un gros Beaver. J’avais hâte à l’arrivée de cette chasse tout en étant triste pour le malheureux sort de ces pauvres petites bêtes.
Loups-marins
Chaque matin, ces avions s’envolaient vers la banquise avec quelques chasseurs et ramenaient en d’incessants voyages aller-retour, les peaux de loups-marins abattus sur les glaces.
Piper HAM
Avant la tombée de la nuit ou lorsqu’une tempête s’annonçait, ils ramenaient les chasseurs à la maison. Ces pilotes de brousse étaient de véritables casse-cous. Il leur fallait souvent voler dans des conditions hivernales épouvantables et sans instruments, puis dénicher une glace suffisamment longue pour y atterrir sur skis et ensuite s’envoler à nouveau avec une pleine charge de peaux de phoques. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux connurent accidents et même la mort en compagnie de quelques chasseurs madelinots. C’est à ce moment-là, entre 1963 et 1965 que fut stoppé ce genre de chasse. Mon père nous ayant éduqués à l’amour des animaux et quand même ancien chasseur de phoque se réjouissait de l’arrêt de cette dangereuse activité. Moi je me réjouissais du sort de ces petites bêtes, mais en même temps, pleurait la fin de la venue de ces avions qui nourrissaient constamment mon imagination tout au long de l’année au grand dam de mes institutrices.
1er vol

J’ai souvenir de mon baptême de l’air. Le 3 septembre 1963. Je venais tout juste d’avoir 14 ans et je partais pour le collège classique, précisément au Petit séminaire de Bathurst au Nouveau-Brunswick.  Il fallait respecter la promesse faite par ma grand-mère à quelqu’un qu’elle priait tous les jours : « Lui, le plus vieux des petits enfants, on l’a donné au Bon Dieu. » Plus excité de prendre l’avion pour la première fois que de partir pour le collège, grand-maman ne se doutait pas que le préféré de ses petits-fils n’avait aucunement envie de se diriger vers la prêtrise, mais plutôt vers le gros oiseau sur lequel il prit une première fois la route vers les nuages. Le temps était superbe en ce mois de septembre et pour la première fois de ma vie, j’ai vu les Îles du haut des airs. C’était sublime. Le nez collé au hublot, j’ai tout observé des manoeuvres du gros Dart Herrald de la compagnie Eastern Provincial Airways. Après Charlottetown puis Summerside à l’Île-du-Prince Édouard, ce fut un dernier arrêt à Moncton au Nouveau-Brunswick. À ce stade d’une première expérience, je ne voulais plus descendre de l’avion. C’était trop beau et je considérais mon avenir scellé. Pas question de prêtrise, mais j’étais convaincu que j’allais devenir pilote et rien d’autre. Grand-maman allait être déçue, mais qu’importe. Je savais qu’elle voulait mon bonheur et quelque part, j’étais convaincu que j’allais trouver la bonne occasion pour lui expliquer mon choix. Malheureusement, il fallait prendre le train pendant trois heures avant d’atteindre Bathurst en fin de journée. C’était le début d’une aventure qui allait durer trois années, les années de l’adolescence, les années tristes, folles et riches d’une jeune vie.
À peine sous les draps froids du collège, pleurant en silence sur mon sort, je rêvais déjà du retour à Noël et de ce va-et-vient en fin d’année. Cela faisait 12 atterrissages et décollages par année avec les arrêts à l’Île-du-Prince-Édouard. J’avais tout compté et cela suffisait pour nourrir un rêve, un rêve qui n’a cessé de grandir au cours des années qui ont suivi.
* La semaine prochaine, le rêve continue. GG





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