dimanche 30 mars 2014

Histoire d’une passion Partie 2 (suite 4)

 

Un trou dans les nuages

Au dessus du NB-UHE

Pour un pilote qui vole dans un espace sans visibilité, un trou dans les nuages représente l’espoir, surtout si ce dernier n’a aucune formation pour le vol aux instruments, ce qui implique une formation spéciale s’ajoutant à une licence de base. Un trou dans les nuages devient alors un point de référence et surtout la possibilité de retrouver une route perdue, ceci sans oublier la disparition d’un puissant stress pouvant mener à une erreur fatale.

Nous sommes en 1984. Je travaille comme vendeur automobile chez Le Grand Trianon Ford à Québec. C’est un autre de mes innombrables travaux menant vers le néant d’une carrière sans issue satisfaisante. La flagornerie qu’on nous imposait pour vendre un véhicule me donnait la nausée. Un jour, je vis au sortir d’un restaurant, une annonce stipulant la fondation d’une école d’aviation d’ultralégers, une nouvelle vague d’appareils volants qu’on disait accessibles aux moins fortunés. Dans la détresse d’un travail où je me sentais dévalorisé, après la perte deux années auparavant d’un emploi dont j’étais fier, mais dont les portes de mon employeur furent fermées pour cause de faillite, après la perte de ma maison, l’opportunité de voler aux commandes d’un appareil fit renaître en moi un vieux rêve qui s’était presque éteint. C’était mon trou dans les nuages. À défaut d’une carrière professionnelle en pleine chute libre, un loisir qui m’avait toujours été interdit par un dossier médical allait me donner ce qu’il fallait pour renouer avec une saine ambition de vivre. Un docteur de l’aviation civile eût pitié de moi et en juin 1984,  j’obtins mon premier passeport pour une autorisation restreinte de voler.

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Copie du renouvellement de cette licence en 1990.

J’étais fou de joie et malgré les coûts encore passablement élevés pour les 25 heures de vol exigées pour l’obtention du permis et les 25 heures de formation théoriques, j’étais au champ d’aviation à St-Lambert de Lévis tous les jours de beau temps dès six heures le matin. Petit à petit, une fois les cours théoriques réussis, je commençai à voler avec mon instructeur afin d’accumuler les 10 heures essentielles minimales afin d’entreprendre mon premier solo dans les airs. Je le dis sans vantardise, mais j’étais doué et j’apprenais très vite. Les heures passées en plein ciel avec mon frère pendant les années 70 et les moindres occasions que j’avais eues de me familiariser avec les lois de l’aéronautique y étaient pour beaucoup. Aussi, faut-il ajouter à cela les nombreuses lectures sur le sujet, car il y avait toujours une revue de l’aviation qui traînait quelque part dans un coin de la maison. C’est alors qu’un certain matin, précisément le 1er août 1984, vers les 7 heures le matin, après quelques minutes à peine de vol et quelques atterrissages réussis en compagnie de mon instructeur, ce dernier me dit : « Bon, maintenant, c’est à ton tour. C’est ce matin que tu voles tout seul. Tu n’as plus besoin de moi. » Mon coeur fit un bond dans ma poitrine alors qu’il détacha sa ceinture et partit vers le hangar. J’étais figé sur mon siège et je n’avais pour toute expérience que 5,4 heures de formation.

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Preuves à l’appui de mon journal de bord (Log book)

Il revint avec deux plaques d’acier munies d’un anneau et il plaça ces deux poids de 75 lb chacun sur son siège et boucla la ceinture afin que ces deux masses ne se déplacent pas en plein vol. Cela devait le remplacer et maintenir le centrage de l’avion. C’était un beau matin, presque sans nuage et avec un vent minime. Jeannine m’avait accompagné et hasard des hasards, elle avait ma caméra. Les genoux me claquaient tous seuls, mais pas question de lâcher. C’était mon jour J et je savais que cette journée allait marquer toute mon existence, pour le meilleur ou pour le pire. Je fis donc ce qu’il fallait faire.

Prep premier vol solo 1

Méticuleusement, je vérifiai tout sur l’appareil et je me vêtis adéquatement afin d’affronter le froid en haut, même si c’était un 1er août. Puis je me suis assis aux commandes et j’ai commencé à rouler vers le bout de la piste.

départ solo premier 01 août 1984 - 7h10

En roulant vers mon point de départ, j’ai tenu le curieux dialogue suivant avec Dieu et ma défunte grand-mère Mélanie (mon arrière grand-mère). Je dis le Notre Père en appuyant avec emphase sur le « que ta volonté soit faite », mais en espérant que sa volonté ressemble à la mienne et puis je dis à Mélanie : « Pose tes mains sur les commandes et attache-toi bien, on part », puis j’enfonçai les gaz à fond et manoeuvrai si bien qu’à peine après avoir roulé moins d’une centaine de pieds, j’étais dans les airs et je voyais mon instructeur et Jeannine m’envoyer la main et me faire signe que tout était beau. Ce moment ne peut être décrit avec des mots. Même la belle langue française ne suffit pas à exprimer ce que l’on ressent lors d’un premier vol en solo. Pas d’instructeur pour vous conseiller ou corriger vos erreurs, pas de conseil non plus si le moteur décide de faire des siennes, pas d’ami pour vous guider vers un atterrissage réussi. Vous êtes seul, à 1100 pieds dans les airs et là, le plus difficile reste à faire, c'est-à-dire atterrir sans casser du bois. C’est là qu’il faut plonger en sa mémoire, se faire confiance et garder son sang-froid tout en se remémorant les gestes faits avec un instructeur à ses côtés. À plus de 1000 pieds dans les airs, je réalisais avec une émotion indescriptible que pour la première fois de ma vie, le 1er août 1984, à des années lumières de mes rêves d’adolescent, j’étais aux commandes d’un appareil volant au dessus du magnifique paysage du village de St-Lambert de Lévis. Quelques nuages étaient maintenant sous moi. Enfin, je volais.

Alors, comme toute bonne chose a une fin, j’entrepris les manoeuvres d’atterrissage. Je volai en parallèle  avec la piste, par vent arrière, tel que je l’avais appris. Puis je piquai légèrement du nez tout en diminuant la puissance du moteur et j’amorçai un virage en descente sur la droite. Enfin, moteur au ralenti, le nez de l’avion en léger piqué après un autre virage sur la droite, j’étais dans l’axe de la piste et presque en vol plané. C’était là, la manoeuvre la plus délicate.

Premier atterrissage 

Photo réelle de mon premier atterrissage.

Je crois sincèrement que Mélanie y était pour quelque chose puisque jamais je n’avais fait, avec mon instructeur, un si bel atterrissage. À quelques pieds au dessus du sol, je relevai le nez de l’appareil

moi ulm 3 

Et il se posa comme une plume sur l’herbe de ce petit aéroport que je n’oublierai jamais. J’étais fou de joie, je criais mon bonheur et alors que je roulais vers Jeannine et mon instructeur, ce dernier me fit signe de remettre les gaz et de m’envoler à nouveau, ce que je fis avec grand plaisir. Après trois posés/décollés et autant de circuits sans bavure autour de l’aéroport, je roulai alors vers le hangar afin d’apprécier ce moment magique, ce moment que je n’oublierai jamais.

J’avais pour la première fois de ma vie, percé les nuages et je n’avais pas l’intention de m’arrêter là.

01 août 84 (1) 01 août 84 (3)

C’est deux photos témoignent bien de cette journée mémorable puisqu’elles furent prises avant le vol solo et l’autre… après. Là-haut, la température était plutôt froide, mais la sueur sur le front rend bien justice aux minutes magiques que je venais de vivre.

La semaine prochaine, « VOLER POUR LE PLAISIR ».

GG

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