lundi 18 août 2014

Un fleuve, un golfe et des hommes

Par Georges Gaudet        georgesgaudet49@hotmail.com

Ce fleuve que j’aime.

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Jacques Cartier y était entré par son golfe en expédition de pêche avant l’année officielle de 1534. Puis en cette année historique de prise de possession d’un territoire donné au nom du roi de France, il y est entré par le détroit de Belle- Isle, en a exploré tous les contours et remonté ses rives jusqu’à ce qui devint près d’un siècle plus tard Hochelaga (Montréal) et puis Stadaconé (Québec). Un sacré navigateur que fut ce Jacques Cartier. Non content de traverser l’atlantique en seulement 20 jours sur ce qui aujourd’hui aurait l’air d’une grosse chaloupe, il en a grossièrement cartographié tous les pourtours, décrit minutieusement les beautés et même les richesses potentielles, allant jusqu’à soupçonner les terres limitrophes de cette grande rivière de porteuses de minerai de grande valeur. Bien sûr il a fait le tour de ce que sont les Îles de la Madeleine aujourd’hui et nommé l’Île Brion du nom de son commanditaire, le Sieur de Brion. Déjà, en ce temps là, l’homme soutirait tout ce qu’il pouvait de la terre nourricière et se servait des cours d’eau comme autoroutes de transport. Cet homme savait-il à cette époque que l’avidité insatiable de l’homo sapiens avait la capacité de complètement détruire son garde-manger? Peut-être pas! – et nous n’en connaîtrons jamais la réponse. Hélas, cette possibilité est plus que réelle aujourd’hui.

Golfe 

Là ou le golfe s’apprête à devenir océan

Ce fleuve et son golfe, ils ont du caractère, des sautes d'humeur imprévues, de fortes marées en certains endroits, des courants désordonnés, des brumes sournoises, des hauts-fonds, des récifs cachés à fleur d’eau, de nombreuses îles tout le long de son parcours. Excécrables et magnifiques tout à la fois, ils peuvent être féériques, envoûtants et même séducteurs. Ce fleuve et son golfe sont une voie royale, une autoroute d’eau, l’artère principale d’un pays toujours en devenir. Les hommes qui habitent ces rives aiment ce fleuve, ce golfe aux airs d’océan. Ils en connaissent les richesses, ils en puisent leur existence depuis que leurs ancêtres et les premiers habitants de ces baies et lagunes en connaissaient les secrets. Pourtant, ils ne sont pas tous prêts à en honorer les bénéfices. Certains de ces hommes, dotés d’une volonté mercantile à courte vue et équipés d’armes d’extraction de richesses au-delà de la capacité de renouvellement de ce trésor, sont prêts à tout saccager ce riche jardin sans égard aux conséquences de demain. Bâillonnements de scientifiques, viols d’accords protectionnistes internationaux, sables bitumineux et pipelines, transports dangereux et explosifs en pleines zones populeuses, dénis de territoires protégés, extraction de gaz par fracturation de roches, dénis de lois municipales voulant protéger l’eau potable…et j’en passe.

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Le danger, pour ne pas dire le viol n’est pas en devenir, mais il est là présentement. Dès que les pipelines et les chemins de fer seront rendus à Québec, des dizaines de pétroliers passeront bientôt autour des Îles de la Madeleine, chargés de cet or noir, direction les pays dits en émergence. Déjà que nous sommes en danger chaque fois qu’un pétrolier vient nous livrer cette essence essentielle à notre bien-être insulaire, déjà que nous sommes en danger chaque fois qu’un seul pétrolier passe au large du Rocher-aux-Oiseaux pour amorcer un voyage transocéanique, il est facile d’imaginer ce que seront ce fleuve et ce golfe, le jour où plus rien de comptera sauf les tours de forage ou de fractionnement de la roche, que ce soit le long des rives, en pleine mer ou sur l’Île d’Anticosti. Hier, en plein milieu d’un atelier d’écriture, une personne s’exprimait ainsi.

Clair de lune (1) 

Même en pleine nuit, il est beau ce fleuve.

Il est un fleuve que j’aime plus que tout autre cours d’eau. Ce fleuve coule en mes veines, en mon cœur. Il puise sa source en plein milieu d’un jeune pays et coule au-delà des îles de mon enfance. Fleuve capricieux, brumeux, surprenant, mais franc, sans autres artifices que sa grande beauté. Il est beau ce fleuve. Son visage devient golfe, puis haute mer. Il est plein de bélugas, de baleines, d’anguilles, de loups-marins, de morue, maquereau, flétan et surtout d’humains installés le long de ses berges. Ces gens l’aiment ce fleuve, ce golfe. Hélas, d’autres ne l’aiment pas et il est en danger. J’ai peur pour lui, j’ai peur qu’on lui arrache le pétrole de ses veines profondes, qu’on le saigne comme un pauvre animal, qu’on l’abreuve de son sang noir, qu’on l’asphyxie en tenant sur son embouchure des dizaines de pétroliers, des centaines de tours de pétrole, autant d’aiguilles plantées dans sa peau, la peau de toutes ces espèces vivantes qui ne vivent que grâce à lui. «Quand il n’y aura plus d’or noir, alors les hommes comprendront peut-être trop tard que les fleurs ne poussent pas sur les derricks, que les ponts de bateaux sont de pauvres jardins, que l’or noir est imbuvable et ses résidus immangeables.» …citation inspirée d’une maxime autochtone.

Au pays du mépris de la poésie

Voilà un drôle de sous-titre me direz-vous. C’est qu’en ces temps modernes, on a tendance à mépriser ce qu’on ignore et disons que les mots ont souvent… mauvaise presse. Pourtant, dans un film sublime portant le titre de « La société des poètes disparus », on y entend un professeur dire à ses brillants élèves à peu près ceci : « Ne croyez jamais quelqu’un qui vous dit que les idées et les mots ne peuvent pas changer le monde. » D’ailleurs, l’histoire nous en fait une éloquente démonstration. Les grands écrivains, les grands philosophes, sont à la source de toutes les grandes époques, les grandes découvertes, les grandes lumières. En éteindre le rayonnement, l’expansion, c’est tuer l’humanité dans ce qu’elle a de différent avec le monde animal. Est-ce ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui?-il est des jours où je me le demande. Nous banalisons tout ce qui vient d’un cri de l’âme, nous crions nos frustrations à travers des chants qui ont plus l’air de cris de terreur que d’appels à la raison. Nous rions de nos humanistes, de nos joyeux fous, sauf quand ils meurent. Deux d’entre eux sont partis de ce monde au cours de la semaine dernière.

Robin William

Robin William

Grand acteur ayant porté son art au plus haut des étoiles. Grand clown marqué par le mal de l’âme et la richesse terrestre. Le suicide de cet homme porte bien haut le cri d’alarme d’une humanité en grande souffrance. Par son geste désespéré, Robin William clame maintenant depuis l’éternité que la vraie richesse vient du dedans et non du dehors, que l’on peut faire rire aux larmes et pleurer dans son cœur, que l’on peut marcher dans la foule et être seul de l’intérieur, que l’on peut donner l’impression d’être libre et terriblement prisonnier de ce qui ne se voit pas. N’a-t-il pas dit : « La cocaïne est le moyen que Dieu a pris pour nous faire comprendre que nous gagnons trop d’argent? » Ce grand acteur a fait rire et pleurer le monde entier. Malheureusement, personne ne semble s’être aperçu qu’il habitait chacun de ses rôles et en demeurait totalement prisonnier. D’ailleurs, il les jouait si bien qu’il était lui-même et non l’acteur. L’acteur n’a peut-être jamais existé. L’acteur était ailleurs dans la foule, Robin William était seul, atrocement seul.

L’Abbé Gravel

L'Abbé Gravel

Il fut la preuve que l’on peut aimer une institution et en même temps, la critiquer sévèrement. D’ailleurs, n’est-il pas plus grande preuve de fidélité que d’oser remettre en question une institution que l’on aime et qui nous semble sur le point de s’écrouler?- il était le curé des exclus. Cela nous semblait un peu «à côté de la trac » comme diraient certains. Ben voyons donc! – oser remettre en question la parole de tout puissants évêques, les cardinaux, voire même le pape, lui, un ti-cul de Joliette, ex-barman et ami des robineux, des prostituées, des homosexuels, des pauvres, des malades, des mourants. Eh bien justement! L’Abbé Gravel aura été tout ce qu’un homme d’Église devrait être aujourd’hui. Jésus n’a-t-il pas été l’ami et le consolateur de tout ce beau monde? Ah oui, c’est vrai, j’allais l’oublier. On l’a crucifié aussi. L’Abbé Gravel était un « brasseux de cage », nullement impressionné par les dogmes érigés par des hommes et prétendument sanctionnés par Dieu. Nul doute que de là-haut, si Jésus le rencontre, ils auront peut-être un mot à dire à ce Dieu, car son monde, il est loin d’être parfait. Il est plutôt pas mal foutu de ces temps-ci.

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG

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