lundi 24 novembre 2014

Salut Jerry

Il avait inventé un mot : « L’accordance ».

Jérémie Cyr

Jérémie Cyr en train de peinturer «la ridelle» sur l’arrière du North-Gaspé à Pictou en Nouvelle-Écosse.

Les premiers souvenirs qui me viennent de lui remontent aux années 1953-55. J’avais entre quatre et six ans et nous habitions, mes parents, mon frère et moi à Pictou en Nouvelle-Écosse. Il naviguait avec mon père sur le LOVAT, un vieux vapeur faisant la navette entre la Nouvelle-Écosse (Pictou) puis Charlottetown et Souris à l’Île-du-Prince-Édouard, et enfin la Grande-Entrée, Pointe-Basse, Cap-aux-Meules et Havre-Aubert aux Îles-de-la-Madeleine. Chaque année, du mois d’avril au 21 décembre, ces marins bravaient tempêtes et tous les risques associés de ce métier , afin de procurer à leur famille respective le pain sur la table et tous les biens essentiels de cette époque.

LOVAT 

Jerry, comme les gens l’appelaient, passait souvent chez nous en Nouvelle-Écosse. Partageant le même métier que mon père, il était devenu un ami de la famille. Aussi loin que les souvenirs m’amènent, je vois ce jeune homme constamment nous taquiner mon frère et moi jusqu’à ce que nous nous réfugions en riant derrière mon père ou les jupes de ma mère. Demeurant aux Îles, il disparaissait du décor néo-écossais pendant les quatre mois d’hiver alors que mon père était le gardien du LOVAT en cale sèche à Pictou pendant la même période.

Jérémie & Lauretta 

Savaient-ils à cette époque qu’ils allaient lui et Lauretta fonder une belle famille de 10 enfants?

Plus tard, il continua de naviguer, mais cette fois sur le North-Gaspé et enfin pendant de longues années au service des bateaux de la CTMA. Rien à cette époque ne semblait indiquer qu’il allait devenir mon beau-père pendant 23 années. Mercredi dernier, le 19 novembre 2014, à l’âge de 85 ans, Jerry est décédé comme il l’a toujours souhaité, c’est à dire sans souffrance majeure et comme une chandelle qu’on éteint. Entouré de la présence de sa famille, Lauretta, son épouse et 9 de ses 10 enfants (Isabelle, sa deuxième fille étant décédée avant lui), monsieur Jérémie Cyr est parti naviguer vers un autre monde qu’on dit fait de justice et d’amour infini. Tout comme mon père, cet homme était d’une autre époque et aussi d’une autre race, de la race de ceux qui ont tenu à bout de bras avec leur épouse, tout un monde à l’origine du grand confort que nous, les enfants, bénéficions aujourd’hui. Sans leurs bras, leur labeur, leur sueur, leur résilience, il est difficile d’imaginer ce que serait notre monde actuel. Forgé au sel de la mer, Jérémie fut ce que la vie l’avait fait. Amoureux de la nature, dur à lui-même, chasseur invétéré, parfois (gentil) braconnier sur les bords et toujours, sans jamais renier cette responsabilité, le bastion gardien de toute sa famille et ses petits enfants. Il est difficile aujourd’hui de visualiser le travail de ces hommes de la mer. Dans les vapeurs de charbon comme le bruit des treuils, la houle menaçante où le mépris de certains patrons et capitaines, sans oublier les heures de travail souvent plus longues qu’entre le réveil du coq et le lever de la lune, ces hommes comme Jérémie ont su maintenir le grand cap de la dignité humaine, de la fierté et du sens des responsabilités familiales comme elles le devraient par toute l’humanité.

North Gaspé

Le North-Gaspé

Madeleine ctma

Le CTMA MADELEINE

Un jour, entre lui et moi et deux verres de Gordon Dry Gin, je lui ai demandé quelles étaient les choses les plus importantes pour lui dans la vie. La réponse fut simple et directe : — que mes enfants ne soient jamais malades et puis… (l’accordance).

Accordez-vous qu’il m’a dit. Y a rien d’pire que la chicane… pis la maladie, on n’en parle pas, c’est l’pire de toute… fin de la citation.

Salut Jerémie. Nous n’avons jamais été de proches amis, mais jamais adversaires ou ennemis non plus. Je garderai de toi l’image d’un homme ressemblant au dernier des Mohicans, un air de dur cachant sous cette apparence bourrue une belle sensibilité, un amour inconditionnel des siens et… un courageux d’une autre époque. Nul doute que de l’autre bord, St-Pierre qui était pêcheur, vient d’acquérir un sacré bon navigateur.

GG

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