lundi 1 décembre 2014

Petite histoire de bateaux et d’un homme

 

OLYMPUS DIGITAL CAMERA  

Enfants non identifiés jouant avec des modèles réduits à la marina de Havre-Aubert.

*Je suis né presque dans « Le petit ruisseau » pour ainsi dire, là où autrefois les anguilles, barbots et « picassous » de même que « plogueils » remontaient au niveau du pré à deux pas de la maison où nous habitions, mes parents, mon frère et moi. Cet endroit, quoique altéré passablement par le modernisme, existe toujours, mais probablement sans la vie marine qui l’habitait. Il s’agit du Chemin des fumoirs, à Havre Aubert, un endroit où au début des années soixante, les chaloupes, doris, radeaux fabriqués par les enfants et autres objets flottants patentés en tout genre, flottaient ou s’échouaient régulièrement sur la rive, au gré des vents et des marées.

Il était un grand constructeur de petits bateaux

Pardonnez-moi ce préambule, mais il est là pour expliquer toute l’admiration que j’avais pour un homme dont l’esprit créateur, inventif et passionné aura peuplé mon imaginaire adulte de tous les rêves possibles et imaginables en matière de construction de bateaux bien spéciaux. Pour qui est né, a grandi et vécu dans un milieu maritime comme celui des Îles de la Madeleine, dans un décor de carte postale des années soixante et presque toujours les deux pieds dans des « bottes de rubber », les conceptions de cet architecte naval prolifique qu’était Philip C. Bolger ne pouvaient faire autrement que d’attiser la passion que j’ai toujours eues pour ces petits bateaux accessibles à la portée de presque toutes les bourses.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA 

Philip C. Bolger est né le 3 décembre 1927 et a vécu à Gloucester, au Massachusetts pendant la majeure partie de sa vie.  Celui qui allait devenir le plus connu des concepteurs de bateaux très originaux à prix abordable a toutefois toujours soutenu avoir été grandement influencé par les grands mentors de la construction navale américaine et internationale, LF Herreshoff, Nicholas Montgomery et Howard Chapelle. Faut-il préciser ici qu’au sein de la construction navale de haut niveau, ces noms sont comme les Maurice Richard,  de notre sport national. D’ailleurs, Bolger n’a pas que travaillé à la conception de petits bateaux. Sa première construction fut un 32 pieds (9,75 m) pour la pêche sportive qui fut publié en janvier 1952 dans le prestigieux magazine de l’époque, le magazine Yachting. Homme à l’imagination fertile, Bolger aura conçu au cours de sa vie environ 668 bateaux différents, faisant de lui l'un des designers les plus prolifiques du 20e siècle. L’étendue de son expertise s’étend de la réplique d’une frégate du 18e siècle d’une longueur de 114 pieds et 10 pouces (35 m) à une simple chaloupe en forme de boîte carrée de 6 pieds et 5 pouces (1,96 m) en contre-plaqué. Ici, il faut préciser que la particularité de cette « boîte carrée » peut quand même être repliable en sections pour le transport, porter deux hommes entre la rive et un bateau au mouillage en plus de se voir ajouter une petite voile à livarde et une dérive sur le flanc. Disons que c’est pas mal pour une espèce de grosse boîte d’allumettes flottante.

Boîte d'allumettes

Une boîte d’allumettes bien fonctionnelle.

Il est fort possible que si tous les enfants des rivages de l’Atlantique des années cinquante avaient connu les premiers livres écrits par Bolger sur sa conception des bateaux, ces petites chaloupes carrées auraient peuplé les rives des lacs, rivières et bords de mer partout là où les enfants aiment jouer.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA 

Un plan Bolger pour enfants

Bolger a toujours eu tendance à favoriser la simplicité plutôt que la complexité. Beaucoup de ses coques peuvent être fabriquées à partir de matériaux en feuilles, généralement en contreplaqué et sont à bouchains vifs, c’est à dire sans rondeur, mais avec des courbes en angles serrés. L’idée derrière tout ça étant de créer des plans d’une simplicité presque enfantine tout en permettant à des amateurs sans expérience de construire des petits bateaux amusants, mais fonctionnels, performants et « presque » toujours jolis. Ici, le mot « presque » a de l’importance, parce que Bolger fut quelques fois accusé par d’autres concepteurs, de ne construire que des boîtes carrées flottantes. Sensible à la critique, Bolger revenait avec un dessin traditionnel qui pouvait faire l’envie de tous. Cet homme disait avoir besoin de créer des bateaux qui pouvaient être bâtis par n’importe quel amateur capable de s’acheter quelques feuilles de contreplaqué à la quincaillerie du coin, des clous et quelques vis, une voile en tissu et même en « typar », une paire de rames et quelques gallons d’époxy avec un minimum de fibre de verre.  Pendant de longues années, les lecteurs de la revue bien connue des amateurs de bateaux en bois « Woodenboats » auront eu plaisir à lui écrire personnellement afin de lui soumettre le bateau de leurs rêves. Souvent, il s’agissait de demandes qui se résumaient à quelque chose comme un bon bateau, solide, performant, petit mais spacieux, joli et surtout pas cher. Malgré toutes ces contradictions, Bolger sortait toujours un plan, beau, bon, pas cher, et qu’il soumettait à tous les lecteurs de la revue. De ces dessins sont nés des bateaux qui furent construits par centaines de par le monde par la suite. Les plus populaires furent le Micro, un voilier de 15 pieds ( 4,5 m) qui peut naviguer là où des bateaux bien plus grands auraient envie de revenir au port. À cela, on peut ajouter le populaire « Gloucester light dory », un doris léger, surbaissé, rapide et facile à construire. Pour terminer, citons le voilier de type « cat-boat » (une seule voile), le « Bobcat » dont quatre exemplaires furent bâtis ici aux Îles par des amateurs avertis. Ces quatre bateaux sont d’ailleurs en mouillage la plupart du temps dans la baie du Cap-Vert pendant toute la période estivale.

Bobcat IM - 2

Les quatre bobcats dans une course amicale en fin d’été à Havre-Aubert.

Bobcat IM - 1

Quelques planches de contreplaqué, de la résine d’époxy, de bons plans et un peu d’espace et puis vous avez un joli petit voilier. Quel beau plan d’hiver.

Écrivain prolifique, Bolger a écrit de nombreux livres dont le populaire « Boats with an open mind » (des bateaux à l’esprit ouvert) ainsi que plus de 550 articles de magazines sur la conception de petites embarcations. Bolger est décédé le 24 mai 2009 à l’âge de 81 ans, d'une blessure par balle auto-infligée. Sa femme a expliqué que dans les mois qui ont précédé son suicide, il se savait atteint d’une maladie dégénérative et qu’il avait de nombreuses pertes de mémoire. Cette fabuleuse imagination qui était son bien le plus précieux, il semble bien que Phil Bolger ne pouvait tolérer la perdre. Ce geste de désespoir aura mis fin à la brillante carrière d’un maître de la création maritime. Ce jour-là, c’est toute une communauté de patenteux et constructeurs de petits bateaux qui fut en deuil. Elle venait de perdre son artisan et mentor le plus prolifique.

GG

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire