lundi 6 avril 2015

Les déchets des uns, les trésors des autres.

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

Assailli par la culpabilité dans une grande ville

(*faits vécus)

 

SDF bien nantis 

Des SDF bien nantis, …mais pour ce qui est des humains ???

Montréal est une grande et belle ville. Comme toutes ces agglomérations où les gens sont entassés les uns sur les autres, les plus riches dans les hauteurs et les plus pauvres dans les bas-fonds, cette ville est capable du meilleur comme du pire. En résumé, cette grande bourgade a toujours eu le don de me foutre un grand malaise en peu de temps, voire même en une seule demi-journée.

Me voilà donc en train de bouffer sur l’heure du midi, bien calé devant un met chinois, en plein cœur de la citée souterraine de la ville fondée par le Sieur de Maisonneuve et Jeanne Mance vers l’an 1642. Du moins, c’est ce qu’on nous en a appris tout en oubliant que les Iroquois et les Hurons se disputaient ce territoire bien avant l’arrivée des « faces blêmes » venant d’Europe. Bon! Revenons à aujourd’hui. La place est pleine de monde et à observer les habits de chacun, il y en a pour toutes les classes de la société. Personnellement, je me suis habillé « chic », car en plus de la journée qui sera passée au lèche-vitrine, la soirée sera consacrée à une pièce de théâtre à laquelle je souhaitais assister depuis quelque temps. Malgré mes revenus habituels qui se situent au ras de la moyenne inférieure, je suis de ces chanceux que les grands malheurs ont passablement épargné jusqu’à ce jour. Alors, il m’arrive parfois de jouer le jeu des apparences et de me payer une apparente aisance, ce qui me permet encore plus d’observer l’univers humain qui m’entoure.

essai 

Il m’arrive parfois de jouer l’inverse aussi. Cela permet de s’imprégner de la réalité des autres.

Je suis donc là, devant mon plateau de carton et un type à l’apparence d’un nettoyeur de cabarets se promène entre les meubles en tenant un sac de plastique qui me semble rempli de déchets de table. À ma grande surprise, il sollicite un jeune couple assis non loin de moi pour que ces derniers veuillent bien vider le contenu de leurs restes dans le sac qu’il leur tend. Comme ils s’exécutent, ils sont gratifiés d’un grand merci, d’un Dieu vous le rendra et je réalise tout à coup que les déchets de table que ce type ramasse, c’est sa nourriture à lui. Malheureusement, mon assiette est déjà vide, même que j’en aurais léché le fond n’eût été du monde autour. Je fouille dans mes poches et je n’ai que quelques gros billets, enfin, des gros billets selon ma propre échelle, c'est-à-dire quelques 20. $ et j’ai honte. Je suis partagé entre l’envie de courir après ce type afin de lui donner un vingt et cette petite voix intérieure qui me dit « reste assis » et ne bouge plus. Des images flottent en ma tête. La parabole biblique de l’homme riche et ses chiens qui mangent les miettes sous sa table alors que le pauvre qui le sollicite n’a rien. Je crois que St-Mathieu connaissait bien la nature humaine. Quelque temps plus tard, un type acquiert un plat bien fourni et il paye sur-le-champ. Légèrement barbu, chemise de bûcheron, il est du type prof d’université ou contestataire professionnel de l’humanité. Il claque alors des doigts et comme par magie, mon bonhomme au sac de plastique surgit de derrière une colonne et s’avance vers lui. C’est là que je viens prêt de tomber en bas de ma chaise. Il donne tout son repas au pauvre type qui en pleure de joie, de courbettes et de remerciements, puis il s’en va comme il est venu. Alors, là j’ai vraiment honte de moi et puis le pauvre type, il s’assoit derrière une colonne et commence à déguster ce repas tout frais. J’en ai les larmes aux yeux et je me trouve lâche. Je n’étais pas encore habitué à ce genre de détresse. Un agent de sécurité surveille du coin de l’œil ce pauvre homme, mais il ne semble pas souhaiter intervenir. Tant mieux pour lui et peut-être aussi pour moi, car j’étais prêt à lui sauter dessus s’il intervenait.

En soirée

SDF

Avec ma compagne, rue Ste-Catherine, non loin de La presse internationale, nous voyons un policier sortir d’un restaurant avec une assiette remplie de saucissons et autres victuailles, puis il s’engouffre dans la voiture demeurant stationnée au coin de la rue. Marchant le long de l’hôtel des gouverneurs, même bien habillés, nous grelotons de froid. C’est alors que nous remarquons un homme couché sur le trottoir. En réalité, à première vue cela semble un amas de vieux linge abandonné sur le ciment froid par un petit -15 °C. Réalisant qu’il y a un être humain sous cet amas de vieux linge, nous ne savons que faire. Je n’ai pas de cellulaire et qui pourrait-on appeler? Dans quel état est cette personne? Les gens tout autour l’enjambent presque ou le contournent. La voiture de police tourne à quelques pieds du malheureux et entre dans le garage chauffé de l’hôtel. Il s’agit du même policier et je remarque que son plat de saucisses est toujours sur le siège avant, à droite. Je fais un effort pour ne pas juger ce policier, car je ne sais pas s’il a vu la scène et comme tout le monde passant, je ne suis pas mieux. Nous ne savons que faire, mais il me vient à l’idée que s’il s’était agi d’un chien blessé au même endroit, quantité de personnes se seraient intéressées au sort de l’animal. On aurait probablement appelé la SPCA ou quoi encore. Le chien aurait peut-être fait la une d’un journal, tout comme ces animalistes qui pleurent sur le supposé mauvais sort des loups-marins dans le golfe, mais là, un homme ou une femme, couchée sur le trottoir par -15 °C, il n’y avait rien à faire. Était-ce une personne violente, agressive, dangereuse? Est-elle morte gelée sur le trottoir en cette même nuit? Nous ne le saurons jamais, mais à ce stade de la survie, il s’agit toujours d’une personne malade, dans tous les sens du mot. Ne sachant que faire, la mort dans l’âme, rageant contre une société ne comptant que sur le bon cœur de bénévoles et pas capable de se payer une escouade spécialisée pour remédier à une pareille détresse, j’ai moi aussi contourné cet être humain et puis je suis allé assister à la pièce de théâtre réservée depuis longtemps. Torturé par ma conscience et bouleversé par un tel étalement de misère humaine, j’ai quand même réussi à rire de bon cœur et à oublier ces évènements pendant la plus grande partie de la pièce de théâtre.

Au sortir du St-Denis, un type à l’allure peu reluisante tendait envers les bienheureux spectateurs éblouis par la performance théâtrale, un vieux verre en carton avec quelques sous dedans. N’y tenant plus, j’ai fouillé dans mes poches et sans regarder la valeur du billet, je l’ai mis dans le gobelet du pauvre type. Oui je sais, je l’ai fait pour soulager ma conscience, mais je l’ai fait aussi pour contribuer un peu à la réparation d’une injustice flagrante, celle qui permet à une société de tolérer que des banques empochent des millions détournés vers des paradis fiscaux avec bannières au soleil. J’aurai toujours de la misère avec une société qui se paie les meilleurs avocats, les meilleurs médecins, les meilleurs spécialistes, pour « dorloter » sa minorité richissime tout en accusant celui qui du fin fond de sa misère, doit bien être l’artisan de son propre malheur. Certains me diront que ces gens font volontairement pitié pour attirer une fausse sympathie et qu’ils gagnent souvent plus que les donneurs eux-mêmes. Certains autres me diront que c’est le choix personnel de ces personnes et que des maisons de charité existent pour eux un peu partout dans la ville. D’autres diront que c’est ainsi et que dans le monde, il faut des gagnants et des perdants. « Bullshit »!

Les pires des criminels, assassins d’enfants ou coupeurs en rondelles de leur prochain, auront quand même leurs trois repas par jour en prison. Ils seront vêtus et placés dans un endroit chaud, protégés qu’ils seront par une convention internationale. On nous dira qu’il en va de la dignité humaine et j’adhère à ce principe. Alors, pourquoi celui qui au plus profond de sa malchance, de son manque de jugement, de ses démons ou de ses erreurs et qui se voit condamné à la rue, n’a même pas droit à un abri, la chaleur, le vêtement et la nourriture? Qu’en pensez-vous, monsieur le maire Coderre? Qu’en pensez-vous, monsieur Couillard? Qu’en pensez-vous, monsieur Harper? Vous me direz peut-être que je ne suis qu’un petit madelinot qui ne supporte pas ce que les Montréalais sont habitués de voir et ne voient plus, puis vous auriez raison. Justement! – j’espère ne jamais devenir aveugle à ce point. Nous chassons le loup-marin chez nous, mais jamais nous ne laisserions un humain couché le long de la rue, sur un trottoir ou près d’un édifice chauffé, sans lui porter secours. Cela ne se fait tout simplement pas, même pour un chien ou un chat. Votre ville est belle, monsieur Coderre, mais elle serait tellement plus belle si vos malheureux n’étaient ni exposés ni cachés, mais bien, aidés. Qu’en pensez-vous, monsieur le maire?

Malgré tout, bonne semaine à vous toutes et tous, lecteurs fidèles.

GG

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