mardi 19 mai 2015

Doux souvenirs d’enfance…(suite 2)

Par Georges Gaudet

georgesgaudet49@hotmail.com

 

Doux souvenirs d’enfance dans un havre de pêche… (Suite de la semaine dernière.)

Départ pêche au homard cage-homard 

Le plus beau métier du monde.

« La pêche, c’est le plus beau métier du monde » disait mon père. Et puis après une pause de quelques secondes, il ajoutait : « quand il est bien fait ».

Évidemment, le texte qui va suivre sera biaisé un tout petit peu, puisque nombre de gens passionnés de leur métier pourraient affirmer la même chose. Du cultivateur au pilote d’avion en passant par le pompier, le professeur ou l’infirmière, tous pourraient débattre de la beauté de leur métier ou profession pour peu qu’ils en soient convaincus et heureux ou heureuses de le pratiquer.

Pour ma part, je ne peux vous raconter ce métier qu’à travers les yeux de mon père. Il fut d’abord pêcheur dès l’âge de 12 ans avec son père, puis marin dans la marine marchande pendant la Deuxième Guerre mondiale, ensuite capitaine caboteur et pêcheur sur sa propre goélette, puis marin sur le LOVAT, puis à nouveau pêcheur et enfin, pendant les 25 dernières années de sa vie professionnelle, garde-pêche. Nous sommes alors au début du printemps 1960. La morue ne se vend plus et pire, il n’y en a plus pour les pêcheurs côtiers. Le hareng est bloqué par des seineurs au large du Rocher-aux-Oiseaux et l’avenir s’annonce sombre pour tous ceux qui veulent continuer de pratiquer la pêche côtière. Criblé de dettes et ma mère s’étant mise en tête de nous expédier au collège classique mon frère et moi, mon père décida d’appliquer à un poste vaquant de garde-pêche. Grâce à l’influence d’un dénommé Clawrence Clarke de Grosse-Île, lui-même chef garde-pêche, mon père obtint le poste convoité. Pour ma mère, ses rêves de nous expédier au collège devenaient possibles, mais pour mon père, il s’agissait de deux choses bien différentes. D’une part, l’accusation voilée d’une trahison de sa propre confrérie de pêcheurs et d’autre part, l’abandon d’un métier qu’il aimait plus que tout au monde. Jamais je n’oublierai le matin de son premier départ au travail. J’étais non loin de la chambre de mes parents et mon père était assis sur le bord du lit. Il disait à ma mère : si jamais je savais ne jamais revenir à la pêche, je refuserais la « job » dès ce matin. Inutile de dire qu’il eût droit à tout un sermon de la part de ma mère et presto, il était prêt pour ce nouveau travail qu’il allait exercer pendant les 25 années suivantes.

garde-pêche 

Mon père

Un rêve utopique

Je n’avais que 12 ans et j’accompagnais mon père presque partout, allant même sur les nuits de patrouilles avec lui. Dans ma grande naïveté, je voulais le protéger de tout mauvais parti qu’on aurait pu lui faire. Il connaissait les ficelles des fraudeurs puisque lui-même avait quelque peu joué auparavant dans une illégalité bien « vénielle » comme auraient dit les curés de cette époque. Une cage tendue hors saison pour quelques homards par automne constituait son bagage d’illégalité, mais cela lui avait suffi comme expérience pour prendre sur le fait un bon nombre de ces pêcheurs illégaux, dont quelques-uns… de ses amis pourtant bien avertis à l’avance de bien se tenir. L’intégrité à un prix et ce fut une des belles leçons que mon père m’aura apprises. Il disait souvent : tous les pères de famille des Îles devraient avoir le droit de tendre une cage à homard par année en toute légalité. Le gouvernement n’aurait qu’à accorder un permis pour chaque chef de famille et punir sévèrement les contrevenants. C’était son rêve utopique et évidemment il n’en parlait à personne sauf à nous, autour de la table. Il considérait la mer comme un jardin venant de Dieu lui-même et qu’aucun individu ou organisme n’aurait dû prétendre en avoir un droit exclusif d’exploitation. Maintenant qu’il est de l’autre côté des nuages, je l’imagine souvent en train de pêcher dans ce monde qu’il souhaitait ouvert à tous. Certains pêcheurs le haïssaient pour son intégrité et jamais ils n’ont réalisé à quel point il les défendait en coulisse. J’ai souvenir de ses conversations avec de hauts fonctionnaires de l’ancien ministère des Pêcheries du Québec, des individus qui comme il le disait d’eux; qui n’ont jamais vu une queue de homard, sauf dans leur assiette et qui se permettaient de sortir toutes sortes de règlements en se foutant complètement des conséquences que tout cela allait avoir sur le labeur des pêcheurs. Quand on lui reprochait d’avoir un parti pris pour les pêcheurs, je me souviendrai toujours de ce petit sourire de satisfaction qui en disait long sur l’opinion qu’il avait de son critique.

Un règlement absurde.

Un certain printemps, un hurluberlu du ministère avait réussi à faire passer un règlement qui stipulait à peu près ceci. Tout pêcheur ramenant à quai ne serais-ce qu’un seul homard n’ayant pas la mesure requise, devait voir toute la pêche de sa journée rejetée à l’eau immédiatement en étant accompagné au large par un garde-pêche. La mort dans l’âme, mon père a obéi à cet ordre émanant de ses supérieurs sur la colline parlementaire. Je me souviens de ce soir où il est entré à la maison, bouleversé de ce qu’il avait vécu. Il avait vu un pêcheur pleurer amèrement en remettant à l’eau plusieurs centaines de livres de homard. Quelques jours plus tard, ce fut sa propre vie qui fut mise en danger alors qu’un autre pêcheur tenta de le jeter par-dessus bord pour la même raison. Ironie du sort, ce pêcheur devint garde-pêche quelques années plus tard sous les ordres de mon père, et ce, jusqu’à sa retraite. J’entends encore mon père lors d’une conversation téléphonique avec son patron immédiat à Québec, traiter de criminels les imbéciles qui avaient passé une telle loi punitive. Avez-vous idée de ce que c’est que de jeter à la mer toute la pêche d’une journée pour un homme qui a une famille à nourrir qu’il leur disait? – et bien sûr vous ne faites pas la différence entre le début de la saison et la fin d’une saison, ajoutait-il! Quelques semaines plus tard, le fameux règlement fut aboli et remplacé par des amendes au prorata du nombre de petits homards saisis par les garde-pêche.

Une licence annuelle de pêcheur de homard se vendait approximativement 3.75 $ à cette époque et elle n’était pas toujours facile à vendre. Tous n’étaient pas convaincus non plus de la nécessité de protéger la ressource. Je me souviens de ces affiches très laides, de couleurs jaune, rouge et noir que mon père devait afficher un peu partout sur les quais de débarquement et sur lesquels on y lisait : mesurez bien votre homard et ne tuez pas la poule aux oeufs d’or, un slogan qui ferait bien rire aujourd’hui. Mon oncle Cyril,- Cyril à Daniel, avait fait une bonne année de pêche cette année-là, avec 7000 livres à la fin de la saison. Pêcheur à Grande-Entrée et habitant une cabane de pêcheurs pendant les deux mois de la pêche, il mouillait son botte dans la P’tite Baie en bas du Cap chez Mounette en fin de saison. Cette année-là, un pêcheur de Grande-Entrée avait atteint les 20 000 livres pour une première fois dans les anales de la pêche au homard autour des Îles de la Madeleine.

Les plus beaux jours de son métier de garde-pêche.

Ses plus beaux jours étaient toujours les jours de l’ouverture annuelle de la pêche au homard. Je le revois encore debout sur le pont de Havre-aux-Maisons, montre chrono d’une main et lance-fusée de l’autre, attendant patiemment que les aiguilles de sa montre indiquent 5 h « tapant ». C’était interdiction totale de passer sous le pont avant l’heure et bien sûr, certains ne tenaient pas en place. Alors fusait les menaces d’infractions et les plus nerveux du départ revenaient sur la ligne légale. « Ils ont la tête dure » répétait mon père, mais il n’y avait jamais de méchanceté dans sa voix, tout au plus un haussement d’épaules de désespérance. Puis, la fusée partait et la mer devenait subitement blanche sous le pont. Les cris de joie se mêlaient au bruit des diesels et au gazouillis des tourbillons provoqués par les hélices lancées en toute furie.

C’était habituellement un samedi matin et mon père revenait à la maison sans dire un mot. Toutefois, chaque printemps, le temps n’était pas bien long où entre deux œufs avalés et quelques toasts, il disait ceci à ma mère : Obéline, à matin j’aurais donné mes vieilles t’chulottes pour être avec eux. Y diront s’qui voudront, mais la pêche, cé l’plus beau métier du monde.»

À la retraite.

On ne peut oublier la mer quand on y a consacré sa vie. Son dernier bateau fut le Lucie Johanne, un bateau de pêche… bien sûr.

 Lucie-Johanne  À la barre

Bonne semaine à toutes et à tous.

GG

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