lundi 24 août 2015

Devoir de mémoire

Lanterne 

Avant que le temps range cette lumière dans le tiroir de l’oubli

…par Georges Gaudet

J’avais 5 ans. Grand-maman m’avait préparé des galettes à la mélasse, du pain de maison, du beurre de maison, de la tête fromagée et une cruche d’eau avec un filet de lin tout autour, pour de pas la casser.

J’étais assis à l’avant du bateau et je tenais fermement le sac de galettes et la cruche d’eau. Une fois l’ancre levée, Grand-papa démarra le moteur et dirigea son « botte » vers la sortie du chenal. Le soleil était encore sous l’horizon et une brume épaisse couvrait toute la baie. Je ne comprenais pas comment il pouvait faire pour ne pas se diriger tout droit sur les bancs de sable entourant la sortie du havre. Assis sur la boîte de bois recouvrant le moteur pétaradant d’un « toc-o-toc » régulier et tirant régulièrement sur sa pipe, il jetait parfois un regard furtif sur le compas posé à plat devant lui et puis tournait le regard vers ces légers frissons qui semblaient courir sur l’eau.

départ matinal 

Et puis tout à coup, comme un grand rideau de théâtre, la brume s’est levée, le soleil en a écarté le tissu alors que la mer s’est parée de ses plus belles couleurs. Le havre était maintenant des milles sur l’arrière du bateau et en face, la mer, immense et légèrement houleuse, belle et indifférente à notre présence.

Lever de soleil

Soudainement, grand-papa arrêta le moteur. Il se mit à genou, le visage tourné vers cet horizon flamboyant et sans rien dire, fit le signe de la croix. Je n’y comprenais rien. Tout aussi imprévisible, il remit le moteur en marche et continua à tirer de longues bouffées d’effluves de tabac comme en témoignait la fumée s’échappant de sa pipe. Ce matin-là, nous avons fait une très bonne pêche. Je devrais plutôt dire, grand-papa a fait une très bonne pêche. Plus de cent maquereaux alors que je n’en ai pris qu’un seul, mais vous auriez dû voir avec quelle fierté j’ai remonté ce poisson hors de l’eau sous le fier regard de mon grand-père. Une fois revenu à la maison, j’ai raconté ma prise au moins une dizaine de fois à grand-maman. Puis j’ai posé la question suivante à grand-papa qui souriait à chaque fois que je répétais mon récit. – pourquoi tu as arrêté ton « botte » tout d’un coup et que tu as fait ton signe de la croix? Cet homme qui parlait si peux me répondit : — quand on voit queck-chose de beau d’même, il faut savoir remercier l’bon Dieu pour ça! J’ai alors haussé les épaules, n’y comprenant pas grand-chose.

Dix ans plus tard, dans un collège loin de mon île et pleurant d’ennui, la tête cachée sous les draps, je comprenais enfin le geste de mon grand-père. La brume, la mer, les nuages rouge feu, cette immensité si envahissante, si indéfinissable, m’appelaient jusqu’au plus profond de mes cellules. Et je me suis surpris à prier silencieusement, demandant secrètement à Dieu de me ramener chez moi, en ce paradis connu seulement de ces poètes qui, sans paroles, savaient regarder et apprécier ce que la nature nous offre de plus beau.

Capt mémoires

Merci grand-papa, sans le savoir, tu étais un sacré poète.

GG

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