lundi 17 août 2015

Une vieille histoire

Clovis le menteur
* Il y a quand même plusieurs années de cela (décembre 2008), il fut un soir où, tenté par la plume, je me suis amusé à inventer cette petite histoire. Samedi dernier, le 15 août 2015 était la Fête nationale du peuple acadien. Ce peuple sans pays, mais avec un hymne national, une patronne, une fête nationale et un drapeau, aura tracé ces quatre traits d’histoire en deux congrès seulement, soit le 15 août 1881 à Memramcook au Nouveau-Brunswick et en 1884, à Miscou à l’Île-du-Prince-Édouard.
0-1 
N’oubliant pas que ce peuple était doté de grands conteurs qui l’ont aidé dans sa survie pendant les jours les plus sombres de son histoire, je vous offre ce soir un texte de mon cru afin de leur rendre hommage tout en souhaitant bien sûr, être à la hauteur d’une telle tâche.
Mille merci de toujours me lire.
GG 
Dans mon village, quand quelqu’un se faisait dire qu’il était « menteur comme Clovis », la chose n’avait rien d’un compliment.
Il faut dire que Clovis était un personnage bien spécial. Comme il était le gardien de prison du village et qu’il n’y avait presque jamais de bandits à surveiller, Clovis se promenait fièrement par tout le canton, l’uniforme bien pressé sur les palettes d’épaules, la cravate toujours en ligne droite avec la boucle de sa ceinture de pantalon et les souliers brillants comme ceux des zouaves du Pontife. Son endroit de prédilection pour raconter ses hauts faits de maître-geôlier était la coopérative des pêcheurs située non loin du quai du gouvernement. Là, la pipe au coin de la bouche, ses gros souliers bien cirés appuyés sur la barre du poêle en fonte dont la chaleur du feu chauffait ses grosses semelles, il commençait toujours son récit par un bulletin météo passablement coloré et détaillé.
« Y t’as un méchant poudrain dehors, mais cé rien à côté de l’hiver que j’étais à Pictou. Ça poudrait tellement que quand j’ai ouvert la porte d’la maison, j’ai cru qu’y avait un gros cap de neige droite devant. Cé rien qu’en avançant la main que j’ai réalisé que c’était le vent avec le poudrain qui faisait un vrai mur, vrai comme j’sus là! Y vantait tellement que quand j’ai avancé ma main de l’aut bord du cadre d’la porte, j’mai quasiment fait arracher l’bras. »
Les autres écoutaient sans rien dire, fascinés par les récits de Clovis. Hochant la tête, ils étaient habitués à entendre leur ami raconter ses hauts faits imaginaires alors que brûlait dans leurs pipes un tabac aux odeurs de pays exotiques et à l’arôme de belles demoiselles aux effluves de parfums des Caraïbes. Comme par magie, tout à coup le tour du poêle de la coopérative devenait dans la tête de chacun, un port d’Amsterdam, une pluie de souvenirs remontant à la surface comme autant de poissons volants, ou tout simplement, la chaleur de la présence d’une femme toujours aimée, même après une douzaine d’accouchements à répétition.
IMG_1249 (superposition)
Ça, c’était un peu l’histoire personnelle de Clovis. Sa Mélodie, il l’aimait beaucoup. Elle lui avait donné douze beaux enfants forts et en santé. Sept gars et cinq filles, bien nées, presque à chaque année depuis un mariage qui lui semblait très lointain et si près tout à la fois. Les enfants étaient maintenant tous grands. Clovis et Mélodie coulaient alors des jours heureux dans leur humble demeure devenue trop grande pour ce vieux couple qui s’aimait toujours comme la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Bien sûr, grand-père Clovis ne manquait jamais une occasion de raconter à ses petits enfants ses hauts faits de gloire et ses aventures extraordinaires. Il leur racontait qu’il fut un temps ou un prisonnier du nom d’Alcatraz avait été condamné par le juge Dugas à 7 années de prison pour avoir volé 24 commerces, à la pointe du fusil, partout aux Îles, et ce, pendant plus de deux années. Ainsi disait-il à ses petits enfants assis autour de lui, tous yeux grands ouverts, la bouche pendante et les oreilles aux aguets : « Chaque matin, quand j’partais pour surveiller ce dangereux prisonnier, j’disais « Mélodie, passe-moé mé guns » et pis là j’partais pour la prison après avoir fait un p’tit bec à ma douce et pis j’vous dis que l’Alcatraz, y n’en m’nais pas large quand j’étais là. »
Ainsi s’écoula la vie de Clovis, jusqu’au jour où, pris d’une crampe à la poitrine, il prit le chemin qui mène à la porte du paradis. Là Saint Pierre l’attendait, les mains sur les hanches et le regard menaçant. Il lui dit : « Te vlà enfin Clovis, mais cé pas ici que tu vas pouvoir me conter tes menteries. Y a que l’diable pour endurer dé pareilles âneries ridicules et encore là j’su pas sur qui va pas te piquer d’sa fourche a fumier pour t’envoyer chauffer encore une fois le vieux poêle du magasin de la coopérative, mais s’te fois icitte, su la braise. »
Clovis était pétrifié, tétanisé. La vue de la braise du poêle de la coopérative lui cuit le sang dans les veines, enfin... ce qui lui restait de veines, puisqu’il était mort depuis au moins trois jours. Alors il dit à Saint-Pierre : « Mais, mon bon Saint-Pierre, j’ n’ai jamais conté de menteries du tout, j’ai juste arrangé un tout p’tit peu... la vérité.» — menteur lui crie Saint -Pierre en brandissant un trousseau de clefs en or au bout de son bras droit. -« Mais non monsieur Saint-Pierre. Cé plate d’être un gardien de prison tout le temps et surtout quand y n’a pas d’prisonnier. Cé à peine si en 40 ans de carrière, j’ai eu trois prisonniers à surveiller. Même que j’les surveillais pas, y m’aidaient à planter mes patates, essarber mon jardin, faire des conserves avec ma belle Mélodie, pis même que le soir, y rentraient dans leur cellule tous seuls et tournaient eux-mêmes la clef dans la serrure avant d’aller s’coucher. » — S’te fois-là, Saint-Pierre vérifia dans son grand livre, et même si cela lui paraissait invraisemblable, il lut que pour une fois, Clovis lui disait la vérité. Derrière lui, Jésus riait à s’en taper les mains sur les cuisses. « Entre dans mon paradis mon cher Clovis » que Jésus lui dit. « J’ai tellement ri à écouter tes menteries que j’en ai même collectionné une coupe pour raconter à mes douze apôtres quand on s’fait un p’tit lunch chaque vendredi soir. Même que j’t’invite à table pour le prochain vendredi » que lui dit Jésus.
Soulagé, n’en croyant pas ses oreilles, Clovis entra ainsi au paradis. Curieusement, tout l’monde le connaissait. « Salut Clovis » que lui dit l’ange Gabriel. « Bienvenue ici » que lui dit la Vierge Marie; même qu’on entendit dans les haut-parleurs de tout l’ paradis Lucifer qui disait : _ « Aie, Geesus, t’aurais pas pu me l’envoyer en enfer, on s’ennuie à p’tit feu icitte. »
Clovis 1
Puis ce vendredi soir là, Clovis raconta à Dieu lui-même, la foi où il naviguait entre Pictou pis les Îles et que la brume était tellement épaisse que quand il a tenté de se moucher, il a mouché son ami Placide. Ça, c’était d’la brume épaisse « en Bon Yeu » ...Oh pardon mon Dieu. Pis y a l’autre fois, quand y avait tellement de maquereau dans la baie que la quille du « botte » chauffait. C’était d’ailleurs s’te fois-là qui avait fallu se cacher pour « bouetter » nos « crocs » de dire Clovis. Plié en Dieu, pardon, en deux, Dieu riait comme il n’avait pas ri depuis la création de l’univers. Quant il prit enfin son souffle, il regarda tendrement Clovis et lui dit bien gentiment : « Clovis, un ange va t’enseigner les rudiments de la vie au paradis. On dirait que tu as seulement besoin d’un petit cours de convenances pour t’adapter ici et on va s’y mettre tout de suite.
Sitôt dit, sitôt fait. Un bel ange s’avança alors vers Clovis tout en tenant un grand livre d’or ouvert sur des pages transparentes. À sa grande surprise, Clovis vit plusieurs moments de sa vie sur terre et quand l’ange tourna une des pages, il vit le jeune Albin, celui qu’il avait surnommé affectueusement Alcatraz. Du coup il vit le jeune avec le cordage à la main, prêt à se pendre dans sa cellule. C’était le jour du jugement du juge Dugas. Clovis arriva juste à temps pour lui arracher le cordage des mains et s’assura qu’il ne resta rien avec lequel ce pauvre Albin puisse tenter à nouveau de mettre fin à ses jours. De plus, il le sermonna vertement tout en essayant de lui faire comprendre que la vie, c’était précieux, que ça avait une valeur impossible à évaluer, prisonnier ou pas et que, pire, personne n’avait le droit de faire ça, un point, c’est tout! Albin pleurait et malgré sa rage, Clovis se surprit à le prendre dans ses bras, le serrer fort et lui dit avec une voix bien posée : « Fais pas ça mon garçon, fais pas ça! ». Puis il mit les menottes au prisonnier et l’amena devant le juge « dret là ».
Ce jour-là, le jugement sévère tomba. Sept années de prison pour ce bandit de grand chemin. Pourtant, petit à petit, dans le coeur de ce jeune homme égaré, bafoué par sa famille et méprisé des siens, naquit une affection sincère pour Clovis. Bien sûr, le jeune condamné dû pendant sept années, endurer les menteries de son geôlier, sarcler son jardin, laver la vaisselle de Mélodie, nettoyer l’étable, tirer les vaches et laver les planchers de la prison. Mais à sa grande surprise, il découvrit avec le temps, des êtres extraordinaires, capable de l’aimer, lui, le brigand de son village. Quand il avait la grippe, Mélodie lui faisait des “cataplantes de moutarde” et Clovis lui faisait bouillir son bon thé des bois, aromatisé de mélasse et avec juste un p’tit peu de gros gin. Ça te décapait un rhume des «pomons» s’taffaire là, y a pas de doute. Tu pissais la sueur pendant toute une nuit, à condition d’être bien emmitouflé sous les courtes pointes de Mélodie puis le matin, y fallait te laver de partout, bien t’habiller chaud dans le “capo de poil” prêté par Clovis et comme par magie, la grippe ne se montrait plus le bout du nez pour le reste de l’hiver. En ces jours de maladie, Mélodie insistait pour qu’Albin couche à la maison, près du poêle et non dans sa cellule de prison. Et ce que disait Mélodie, Clovis obéissait, geôlier de prison ou pas.
Puis un jour, Clovis laissa Albin travailler dans le jardin avec sa propre fille Jeanne. Belle comme le jour, l’odeur de la terre fumante aidant, les deux jeunes tombèrent follement en amour. Le jour de la libération, avec la bénédiction du curé, ils se marièrent dans la vieille église du village. De ce mariage, Albin et Jeanne donnèrent à Clovis et Mélodie, trois beaux petits enfants bien en santé. C’étaient les premiers de l’auditoire intéressé de Clovis qui pendant des années, tout en gardant ce grand secret de famille, lui permit de voir grandir autour de lui une ribambelle d’arrière-petits-enfants qui furent tous baptisés dans la même paroisse et par le même très vieux curé.
En revoyant cela, Clovis se mit à pleurer. L’ange lui dit : “Ne pleure pas Clovis. Dieu voit ton coeur comme la transparence des feuilles de ce livre et il sait que tu n’as jamais menti. Tu as simplement embelli la vérité. Ta poésie simple, exagérée, naïve et sans masque, a arraché des mains la corde avec laquelle un jeune allait se détruire. Tes histoires les plus farfelues ont enrichi l’imaginaire de centaines d’enfants et pour cela, Dieu n’a que faiblesse et compassion. C’est pour ça qu’il m’a chargé de te montrer ceci.»
— puis l’ange d’un geste gracieux fit un trou dans les nuages du ciel et Clovis aperçut le grand bonheur qui l’attendait.
Là, juste un peu plus bas, Mélodie, sa Mélodie, celle qu’il avait aimée toute sa vie, arrivait devant Saint-Pierre. Le maître des portes du paradis tenait d’une main un grand livre sur lequel Clovis pouvait quand même lire le nom de sa belle; et dans l’autre main, celle qu’il cachait dans son dos, il pouvait voir une clef d’or sur laquelle était écrit : “Clovis et Mélodie... pour toujours.”
Depuis ce temps, on a jamais conté autant de menteries dans le ciel, mais une vérité demeure : L’amour révèle toujours la transparence de l’âme et la bonté du cœur. Alors ça, le diable, même avec ses grosses lunettes, ne pourra jamais rien y voir.
GG

Georges Gaudet

























Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire