L’école polyvalente
des Îles de la Madeleine (EPIM) – 1966/1967 (2/3)
Les années de tous les
espoirs où
Comment 22 gars et leur prof
se sont payé un voyage à l’EXPO-67
C’est au cours d’une de ces pauses en cours
d’algèbre que Frère Guy nous proposa un projet bien modeste. Depuis quelques
années, les compagnies de bière ne consignaient plus les bouteilles pour les
Îles de la Madeleine à cause des coûts du transport. Résultat : les fossés
regorgeaient de bouteilles vides et lors des journées ensoleillées, les routes
avaient l’air recouvertes de diamants alors qu’il ne s’agissait que de verre
écrasé, soit un véritable désastre pour l’environnement. De là, surgit l’idée
de ramasser des bouteilles vides pendant les jours de congé dans le but de
faire pression sur les compagnies de bière afin de se payer en fin d’année,
chacun un veston marine avec plastron de l’ÉPIM, cravate bourgogne, chemise
blanche et pantalons gris pour toute la classe. Ainsi, le projet fut mis en
œuvre avec l’aide du camion de la polyvalente et la bienveillante collaboration
du conducteur, « les moulins à
coudre Singer », M. Gérard Cormier. D’ailleurs, cet homme jovial
et toujours de bonne volonté fut une grande perte pour tout le personnel et les
élèves de la polyvalente. Et c’est ainsi que cela ne prit que deux week-ends
pour nous rendre compte que le produit n’était pas récupérable le long des
routes. Nous nous sommes donc mis à frapper aux portes des maisons et à notre
grande surprise, bien des gens ramassaient leurs bouteilles dans leurs caisses
initiales, souvent bien rangées dans le sous-sol, la remise ou le garage. En
peu de temps, notre cueillette dépassa toutes nos espérances, mais les gens
voulaient au moins un petit pécule pour leur avoir. Nous avons alors expliqué
notre projet et promis 10 ¢/caisse si nous trouvions acheteur. Frère Guy
ouvrit alors un livre comptable. Cela ne nous coûterait rien si nous ne
trouvions pas d’acheteurs. En même temps, une lettre de sollicitation fut
envoyée avec explications de notre projet à O’Keefe, Molson et Labatt. Bien que
les réponses tardèrent à venir, la quantité de caisses de bière vides qu’on
nous offrait nous subjugua. Bien des gens ne nous croient pas encore, mais
entre mars et début juin 1966, notre classe de 22 gars en plus de notre
professeur avons amassé 42,000 caisses de bouteilles de bière vides.
De la logistique
Toutes les fins de semaine, nous avons ratissé
toutes les paroisses des Îles en nous divisant le territoire par secteurs
proches ne nos maisons respectives. C’était l’année où j’avais obtenu mon
permis de conduire et j’ai ruiné la suspension du vieux Chevrolet Biscayne 6
cylindres 4 portes de mon père et heureusement sans qu’il m’en coûte un sou. À
cela s’ajoutait les sorties en soirées des vendredis et samedis, tant et si
bien que le dimanche avant la messe, mon père mettait la main sur le capot de
sa voiture et disait souvent : « c’est
comme un diesel, le moteur est encore chaud ». Afin de prendre le
volant le plus souvent possible, je m’étais fait assigner tout le secteur de
Grande-Entrée en plus de Havre-aux-Maisons. Chacun faisait sa part comme il le
pouvait et avec l’aide des parents dans la plupart des cas. Dans la grange chez
moi, j’ai amassé 1400 caisses de bière en peu de temps et d’autres en ont fait
autant. Même que je me souviens combien on peut mettre de caisses de bière
vides dans une Chevrolet de cette époque. En retirant le cric, le pneu de
secours et en chargeant le siège avant tout en laissant juste assez d’espace
pour tenir le volant, j’ai fait 4 voyages à Grande-Entrée en emportant 105
caisses chaque fois. À cette époque, l’asphalte n’existait plus juste après la Pointe-aux-Loups
et toujours maniaque de l’aviation comme je l’étais, je me faisais plaisir en
accélérant jusque 60 mph (100 km/h) sur l’asphalte pour m’imaginer
atterrir dans un fracas de gravier à cette vitesse sans jamais perdre le
contrôle. C’est là que les « ball
joints » de la voiture de mon père ont pris l’bord. Et puis, la
compagnie Molson a répondu à notre appel. On nous offrait 35 ¢ la caisse
en plus du transport payé via CTMA, mais ils ne savaient pas encore que nous
avions amassé 42,000 caisses, dont une pleine que nous avons partagée entre les
22 débardeurs que nous sommes devenus pendant deux fins de semaine.
Un projet plus grand
que nature
Les autorités gouvernementales venaient
d’offrir aux élèves de la polyvalente, un voyage tous frais payé par avion pour
une durée de deux jours sur le site de l’Expo67. L’idée était alléchante, mais
notre classe a décliné l’invitation. Nous avions trop travaillé et nous
voulions vivre une expérience différente. Entre-temps, la compagnie Molson nous
a fait parvenir un chèque de 14,700 $ et c’est ainsi que nous avons décidé
d’un commun accord de faire différemment. D’abord, 4,200 $ furent
distribués aux gens qui nous avaient fourni tant de caisses et il nous restait
alors 10,500. $ pour planifier le reste du voyage. Pour nous, il n’était pas
question de faire un aller-retour en si peu de temps, mais de visiter en chemin
et comme disait le Frère Guy, enrichir notre culture, même avant d’arriver sur
le site de l’Expo67.
Nous avons donc nolisé le DC-3 d’Air-Gaspé, un avion de 23
passagers qui devait nous amener des Îles jusque Moncton au Nouveau-Brunswick,
puis un autocar de SMT (Service Maritime Transport) de Moncton jusque Rimouski
et ensuite, l’autocar Voyageur jusque Montréal avec un arrêt de deux jours à
Québec. Pour le retour, il fut convenu que chacun s’en revenait quand il le
voulait et selon ses propres moyens puisqu’il nous restait à chacun la jolie
somme de 320 $.
Il restait les examens
du ministère
Tout était planifié sauf que nous avions tous
un peu triché sur le temps consacré à l’algèbre, une matière dont j’étais trop
heureux de m’en passer personnellement. Frère Guy eut alors l’idée de nous
donner trois fins de semaine entières, exclusivement consacrées à l’étude de
l’algèbre, soit de 9 h à 16 h, tant le samedi que le dimanche. Aussi,
avons-nous dû charger à bout de bras sur des palettes de bois, 21,000 caisses
de bière vides à deux reprises à bord du CTMA MADELEINE (aujourd’hui, appelé le petit madeleine par les anciens
employés de CTMA). Inutile de dire que voyant les examens du ministère
approcher, l’examen d’algèbre nous faisait un peu peur, mais malgré un bourrage
de crâne évident en tout dernier recours, toute la classe a réussi l’examen.
Une fois le party de fin d’année consumé, il nous restait à convaincre nos
parents de notre planification de voyage et notre intention de retour selon ce
qui était convenu avec eux. Et c’est ainsi qu’un jour de fin juin 1967, un
avion atterrissait sur la piste de Havre-aux-Maisons pour prendre à son bord de
façon exclusive, 22 gars et leur professeur, direction Moncton, NB. Pour un
temps, c’était notre avion, notre voyage et surtout, notre projet que se
réalisait. Les adieux étaient faits à cette polyvalente qui nous avait tant
apporté en cette année exceptionnelle et il s’ouvrait devant nous, tout un
monde… où tous les rêves étaient permis.
*Dans la prochaine et
dernière chronique (3/3), un beau voyage et l’Expo67.
Georges Gaudet
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