vendredi 12 mai 2017

Maman

Fête des Mères

Ce qu’elle m’a laissé !

Que puis-je écrire à propos de ma mère alors que je suis âgé de 67 ans et qu’elle est partie depuis plus de huit ans ? -Tant de choses, des moments, des faits, des conseils, des anecdotes, des dons surtout. Eh oui, il y a des mères qui laissent à leurs fils des dons, des cadeaux qui ne sont trop souvent reconnus qu’après qu’elles soient parties, mais des dons qui avec le recul, vous font réaliser que ces cadeaux vous ont servi de balises tout au long de votre vie.

Maman était de celles-là. Une femme féministe avant son temps sans le savoir. Elle se méfiait des curés alors que mon père les croyait au-dessus de tous soupçons. Elle questionnait tout, curieuse de tout, et ne faisait surtout pas confiance aux politiciens pas plus qu’aux faiseurs de morale à tous crins. Bien qu’elle était une personne respectueuse de l’ordre, elle râlait souvent contre ces règles imposées aux femmes, comme l’obligation de porter un chapeau à l’église où de voir le sort réservé aux femmes du village quant au lavage du plancher du temple à coup de brosse à poils durs et de savon Bon Ami ou Hertel. Elle menait ses petits combats simples, mais avec le recul, j’ai fini par me faire un portrait global de ma mère et par ricochet, celui de mes parents.

Mon père était le doux, acceptant son sort comme si tout était écrit à l’avance pour tous les êtres de la terre. Profondément croyant, il acceptait tout ce que la vie lui envoyait avec humilité. Merci, si c’était bien et, « il doit y avoir une bonne raison », si les choses allaient plutôt mal. Maman était son contraire. Bien sûr, il était le chef et savait « en apparences » imposer son autorité, même que ma mère jouait le jeu avec lui, mais ma mère était la guerrière qui arrivait toujours à ses fins… ou presque. Heureusement, j’ai toujours eu la conviction qu’ils s’aimaient tous les deux et cela transcendait toutes les autres préoccupations de la vie. Maman, c’était la tigresse prête à défendre ses petits et dans son univers personnel, sa nichée comprenait ses deux enfants et aussi son mari. Elle était prête à tout pour défendre sa famille et malheur à qui s’y frottait. Elle avait certainement hérité ça de son père, un homme rigide en apparence, mais qui souffrait du malheur des autres. Capable de se battre à coups de poing en périodes électorales et pourtant, capable aussi les dimanches d’hivers, d’atteler son cheval à une traîne, d’y mettre quelques morceaux de viande et aller porter le tout discrètement, sans s’en vanter, chez des familles qu’il savait avoir de la difficulté à se nourrir. Sur ce point, maman lui ressemblait tellement. Allergique à l’injustice, cela se reflétait dans tout son comportement et en tant que femme, elle avait de quoi nourrir ses ambitions. Pour elle, l’amour, ça ne se trahissait pas et l’amitié non plus. L’injustice envers qui que ce soit la mettait hors d’elle. Combien de fois ai-je entendu mon père lui dire : « mais pourquoi ça te dérange? » Bien que ce fut utopique, j’ai toujours eu la conviction que si maman avait été la chef d’un gouvernement, plus personne n’aurait souffert de malnutrition, de maladie non soignée ou de pauvreté. Par contre, les mal intentionnés « auraient eu affaire à elle » comme le dit l’expression de chez nous. Combien de fois je l’ai entendue dire : « Ah! Si je savais écrire ! » Inutile de vous dire de qui je tiens cette envie de tenir la plume. Pour elle, tout était noir ou blanc alors que mon père jouait dans les nuances de gris… et ça n’a rien à voir avec le titre d’un certain roman. En ce sens, ils se complétaient parfaitement et quand papa est parti avant elle de l’autre côté de la vie, c’est probablement pour ça qu’elle est « retournée en enfance » peu de temps après le décès de celui avec qui elle avait partagé son existence pendant 56 années. Vous remarquerez que je trouve cette expression « retourner en enfance » bien plus respectueuse des gens que l’autre définition « médicale » que je ne nommerai pas, tellement elle est injuste pour les personnes qui en sont victimes et leurs familles.

Maman, le jour où je suis entré dans ta chambre et que tu m’as dit : « Kis que té? » (qui es-tu?) est un des jours les plus tristes de ma vie. J’ai beaucoup pleuré ce jour-là et j’en ai voulu à tout le monde, au corps médical, à la société et même à Dieu. Toi qui t’amusais à taquiner papa en lui disant que Jésus et Marie Madeleine avaient « probablement » été en amour alors que lui te trouvait « scandaleuse » d’oser même y penser, j’ai compris que pour toi, l’amour était à la base de tout et son contraire, totalement inacceptable. Alors, quand tu es «retournée en enfance», je savais ce qu’il me restait à faire et je savais parfaitement aussi ce que mon amour pour toi et ma conscience me dictaient, ceci sans aucune hésitation. Pendant plus de 18 mois, presque chaque jour, je t’ai donné à manger, je t’ai peignée, lavé le visage et les mains, massé et lavé les pieds, bordée et souhaité « à demain » et ce jusqu’au dernier jour de ta vie. Je n’oublierai jamais le moment où j’ai tenu ta main jusqu’à la toute fin, le moment où j’ai senti cette chaleur envahir mon bras qui tenait le tiens pour monter vers mon cœur, puis vers mon épaule et puis enfin vers l’infini. Si le ciel existe, je sais que tu y es et dans mon petit univers terrestre, j’aime imaginer que papa est à tes côtés. Il fait probablement la pêche là-haut et mon frère lui, parcourt les planètes, d’une galaxie à l’autre, aux commandes d’un quelconque navire spatial inimaginable pour moi alors que toi, tu es la conseillère politique de quelqu’un de bien important dans cet univers qui nous échappe.

Bonne fête des Mères maman et merci d’avoir été au moins la moitié des assises de ce que je suis devenu. Merci pour cette allergie à l’injustice sous toutes ses formes, merci pour ce questionnement constant devant cet univers changeant, merci pour cette combativité que tu m’as transmise, merci pour cette partie de toi que tu ne cesses d’alimenter en moi. Bonne fête maman. Je t’aime.


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