Ce
père que je souhaite à tous les enfants.
Bientôt la fête des Pères! Je dois donc écrire
au passé puisqu’il n’est plus là depuis le 25 août 2004. C’est un peu normal
puisqu’il aurait 97 ans aujourd’hui. Il est quand même parti si vite, lui qui
s’était occupé de maman presque toujours malade depuis les tous débuts de leur mariage.
Le docteur lui a dit ça tout simplement. «
Monsieur, on ne peut plus rien faire pour vous. Votre foie est plein de
métastases. Vous n’en avez que pour un mois, trois tout au plus. » Je le
sais, j’étais là juste à côté de lui quand on lui a annoncé ce verdict comme si
on lui avait dit : « Monsieur, il
n’y a plus de places dans l’avion, va falloir vous débrouiller tout seul. »
Les médecins il les connaissait pour ma mère, mais pour lui, c’était des gens
qu’il préférait éviter. Il n’est même pas revenu à la maison. Du cabinet du
médecin, il est passé à une chambre d’hôpital pour quitter cette terre
exactement 7 jours plus tard. Je me suis assis en face de lui sur le rebord de
la fenêtre. Dans l’espace non masqué par ma présence, il regarda avec nostalgie
le port de mer et un bateau de pêche qui rentrait au port. Il était alors âgé
de 84 ans. « Je ne pensais pas que ça
pouvait aller vite de même » qu’il m’a dit.
Je me souviens
Aujourd’hui, presque 17 ans plus tard, je me
souviens mots pour mot des nombreuses phrases qu’il a ancrées en ma tête
d’enfant, d’adolescent et d’adulte tout au long de sa vie. Des mots, des
expressions, des citations qui sont encore et toujours aujourd’hui comme des
balises qui tracent encore parmi les nuages de l’âme, les chemins à suivre pour
que je ne tombe pas de très haut dans cette mer de surprises qu’on appelle, la
vie. Je n’oublierai jamais son beau regard aux yeux bleus qui traduisait la
beauté de son âme. Adolescent, comme bien des jeunes, je suis entré en conflit
avec lui. Nous nous sommes chicanés, même engueulés, envoyés promener et pour
chaque fois, revenir l’un vers l’autre, penauds et le cœur rempli de regrets.
Il n’était pas parfait, loin de là et moi non plus. Nous le savions tous les
deux. Je parlais beaucoup plus que lui, car lui, il parlait avec ses yeux. Et
ces yeux, malgré la colère, la douleur ou la déception, portaient toujours en
eux une étincelle de pardon des centaines de fois plus puissante que tout le
reste. Il était mon père, il m’aimait et je le savais. Plus que cela, j’en
avais la certitude. Mon frère avait 2 ans et moi quatre. Nous étions assis sur
le plancher en train de jouer avec des camions. Je le revois devant le miroir du
cabinet de pharmacie placé dans la cuisine de ce misérable appartement à Pictou
en Nouvelle-Écosse. Il était en train de se raser et tout en nous regardant
avec tendresse, il nous dit à tous les deux : « Il y a deux choses que papa ne vous pardonnera jamais et je ne serai
plus votre père. C’est si vous volez ou tuez quelqu’un. » Voilà, même s’il
ne croyait pas un mot de ce qu’il disait, les balises étaient placées pour nos
propres vies. À 4 ans, je savais déjà où était le bien et où était le mal. Il
était issu d’une époque où les hommes ne pleuraient pas et où la démonstration
de l’amour était quelque chose qu’il fallait cacher. Cela ne l’empêchait pas de
nous raconter toutes sortes d’histoires de navires, de pirates et de pêcheurs
courageux qu’il disait avoir connus en plus de nous fabriquer à la moindre
occasion, à coup de hache, d’égoïne et de marteau, de jolis petits bateaux en
bois que nous faisions flotter dans toutes les flaques d’eau disponibles en
toutes saisons. C’est peut-être pour ça, qu’en les dernières années de sa vie,
j’avais percé cette carapace au cœur tendre à tel point que je le serrais dans
mes bras à chaque occasion, je l’embrassais sur la joue et lui disait sans
retenue :« Je t’aime papa.» Je
l’avais vu pleurer quelques fois, même s’il tentait de s’en cacher. Les yeux
pleins de larmes, je l’entends encore dire à ma mère qui venait de se faire
hospitaliser pour une énième fois : «
Mais quand ça va-t-il cesser, toute cette misère? » Et pourtant, il est
parti avant elle et assis sur son lit d’hôpital, conscient que ses derniers
jours approchaient, il m’a encore dit :«
mais comment vous allez vous arranger, vous autres, toi, votre mère et puis ton
frère?» Le chevalier en lui n’avait pas peur de la mort, même qu’il
l’ignorait. Sa peur résidait dans le fait qu’il n’allait plus être là pour nous
protéger tous. Des pères comme ça, je sais qu’il y en a beaucoup dans ce monde,
mais hélas, tous les enfants n’ont pas cette chance. D’ailleurs, enfant
j’écoutais aux portes. Peut-être est-ce pour cela que je suis devenu
journaliste plus tard, sait-on jamais. Ce père que la vie m’avait prêté était
un profond croyant. Dieu, le Christ et son Église étaient les piliers de la
raison de son existence. Sa Foi était inébranlable, même que ce fut à l’origine
de nos conflits quelques fois. Pour lui, le doute n’existait pas et même si
j’enviais sa certitude, personnellement, je préférais en douter et tout
questionner. C’est ainsi que très jeune, j’ai eu la certitude de tout l’amour
que mon père portait à sa femme et à nous, ses deux enfants.
Nous étions revenus aux Îles de la Madeleine.
C’était l’année de l’hiver qui n’a pas eu lieu, tout à la fin des années
cinquante. Quelques glaçons se déplaçaient avec la marée dans le havre de
Havre-Aubert. Il faisait tellement doux en ce mois de février exceptionnel
qu’il était assis sur le perron en compagnie de son frère Paul. « Pas une haleine de vent » comme le dit
si bien cette expression madelinienne et tous les deux grillaient une cigarette
« en p’tite chemise ». Moi, comme
toujours, je n’étais pas loin d’eux et je jouais avec un de ces fameux petits
bateaux qu’il nous avait tant de fois bricolés. À défaut d’eau, je faisais
glisser mon petit navire sur le bois de la galerie tout en attrapant au vol
quelques bribes de leur conversation. Je sais qu’il était question de valeurs
familiales et des difficultés d’élever une famille en ces temps difficiles.
Tous les deux parlaient de choses et d’autres, mais tout à coup mon père dit à
son frère ceci : « Ben moi, j’en ai
eu seulement deux…sic(des enfants), et si jamais je venais à en perdre un, eh
bien, l’bon Dieu, y pourrait bien garder son paradis rien que pour lui !... Fin
de la citation.
Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai
réalisé toute l’ampleur de cette citation dite avec tant de conviction, surtout
venant d’un homme d’une telle soumission à sa Foi. C’était comme si l’bon Dieu
avait été bien averti. Tu fais ce que tu veux, mais ne touches pas à mes
enfants. Voilà, tout est dit et c’est ce genre de père que je souhaite à tous
les enfants de la terre.
BONNE FÊTE DES PÈRES PAPA. Je sais que Dieu
t’avait bien compris cette fois-là. Les vieux curés disaient qu’il ne fallait
jamais se confronter à Dieu, car c’était prétentieux, mais je sais aujourd’hui
que tu as une place auprès de lui et tu sais pourquoi? Tout simplement, parce
que devant tant d’amour, il n’a pu faire autrement que de t’approuver.
Je
t’aime papa.
Ton fils Georges xox
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