vendredi 30 novembre 2018

Cinquième croisière

UNE CROISIÈRE À DEUX

Le matelot attendait sa belle sur le quai. Chaleur intense d’une ville mêlée à la chaleur de deux corps qui s’embrassent passionnément. Cette cinquième traversée, elle sera entièrement pour elle. Je la veux heureuse, pleine de découvertes, intime et remplie de surprises.

Je lui raconte des tas de choses, des contes de marins, des histoires empreintes d’embruns, de brumes célèbres et de naufrages historiques à lui faire peur. Je ne me rends même pas compte que la mer lui est presque étrangère et je défile histoires après histoires tous les trésors imaginaires de la piraterie des siècles passés. Nous finissons par en rire et la traversée se passera sur les vagues du bonheur, sur le blanc de ces vagues qui cassent sous leur poids et sur ces pas de danse qui épuisent le corps, mais rajeunissent l’âme. 

Une fois déposés sur le quai d’arrivée, l’appel de la mer se fera encore présent, mais un grand vent nous portera plus sur une route faite de dunes et de « butteraux ».

Le petit scooter surnommé «Snoppy »nous portera sur ses reins et les routes des Îles défileront avec splendeur tout au long de ces plages et rives au sable doré et aux galets argentés. Finalement, un lendemain moins venteux permettra aux voiles de notre joli trimaran en location de se gonfler avec douceur tout en laissant glisser sous ses trois coques, des filets d’eau en gouttelettes, trop pressées de disparaître dans les sillons créés par les lames des pontons en quête de vitesse. Le bonheur est total. 

Des amis d’enfance seront de la partie quand nous nous promènerons sur les quais. Maintenant vieux retraités se déguisant tout comme moi en « vieux loups-de-mer », nous échangerons avec plaisir notre savoir et surtout nos frasques d’adolescence, les pieds dans nos « bottes de rubber » la tête dans les nuages et le cul assis sur la lice d’un quai. 

Pourtant, soixante-neuf années viennent de s’écouler depuis ma naissance. Un peu comme le texte de cette chanson de Gabin, je regarde la terre et je ne sais toujours pas comment elle tourne. Et elle tourne pour moi depuis plus de 25,000 jours et je n’y comprends rien encore. Je reste songeur et je plonge dans les beaux yeux de ma douce. Ils me disent qu’à trop chercher, on risque de s’y perdre et qu’il vaut mieux s’accrocher à ce précieux sentiment qu’on appelle l’amour. On dit que c’est le seul coup du temps qui compte et j’ai envie de le suivre aveuglément, comme non-voyant qui fait confiance au bras qui le guide. 

Le jour du départ des Îles est arrivé. La sirène du navire se fait entendre et la cheminée crache sa noire fumée au rythme du démarrage des moteurs. « Snoopy »est remisé, le trimaran n’est plus et un vague sentiment de tristesse envahit mon être. C’est l’heure du départ vers une autre terre promise. 

Mon travail consiste à raconter des histoires aux passagers et j’aime ce travail. J’aime les inviter dans mon univers de vagues et de sel, de tempêtes et de grands calmes. J’aime leur présenter mon amour pour ce grand fleuve et je les invite au partage. Depuis quelques années, je traîne mon sac de marin rempli d’histoires, de naufrages, de tempêtes célèbres, de faits héroïques, de baleines perdues et de grands sauvetages. J’aime sortir ces voyageurs de leur univers de bitume, de cartes à poinçonner, d’heures de pointe, de cônes oranges et de folie matinale vers un ailleurs jamais satisfait. 

La mer me calme, la mer me console, la mer m’émerveille. Elle coule l’amour en mes veines et lui donne un air salin.
Ce soir, devant le hublot de mon écriture, ce n’est pas la lune qui danse en canots d’argents sur les flots qui m’émeut, mais un soleil qui saupoudre d’or les vagues dépassées par notre navire voguant à la vitesse des baleines noires. Encore une fois, Cap Desrosiers s’efface sur bâbord et nous voguons vers l’ouest, tout comme ces premiers navigateurs des temps anciens. Ma douce danse dans le salon des amusés et je me demande si tout ce bonheur qu’elle exprime est de moi ou de cette mer qui nous donne tant. Je suis heureux pour elle. C’est un exercice égoïste. Offrir le bonheur multiplie le bonheur de celui qui le donne. Je nous sais sur une autre planète, loin du bruit des marteaux-piqueurs, des klaxons, des sirènes de voitures, des chaleurs pesantes et des mauvaises nouvelles quotidiennes. Si le bonheur existe, il est ici, juste en bas de ces hublots, sur cette mer profonde soutenant de ses vagues caressantes, cette immense coque d’acier qui nous isole de la cruauté de ce monde.

Le soleil nous laisse encore quelques traces d’or sur la mer avant de se coucher derrière les montagnes de la Gaspésie. Cette Gaspésie si méconnue, si mystérieuse et si belle. Jamais satisfaits du bonheur présent et toujours en quête de nouvelles découvertes, je me prends à rêver d’un voyage aux pieds de ces montagnes majestueuses avec mon amour, tous les deux aux guidons d’un cheval mécanique et grugeant des kilomètres de route tout le long de ces imposants monuments de terre, de grès et de forêts plongeant dans le fleuve. 

GG

PS : Si dans votre entourage privé ou professionnel, vous êtes intéressé à ce que je vous présente ma conférence portant sur le fleuve Saint-Laurent, le tout accompagné d’un dialogue avec le public et supporté par des documents visuels, veuillez communiquer avec moi à l’adresse suivante   : georgesgaudet49@hotmail.com        


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