jeudi 1 novembre 2018

Première croisière-2018

Ce quai qui refusait l'oubli

« Que c’est beau la vie » au « lounge » du pont 7 sur le navire.
La musicienne joue cette ballade au piano alors que dans mon coin, je laisse cette mélodie bercer mon coeur entre peine et joie. Les rives du fleuve défilent devant les fenêtres du saloon à la vitesse des vagues et mon vague à l’âme semble suivre le même roulis.


Je pense à toutes ces personnes que j’ai rencontrées lors de cette première croisière terminée. Elles sont toutes parties chez elles, la tête probablement remplie de souvenirs, les valises pleines d’objets inutiles, le compte en banque à sec et avec compagnon, le dur réveil du premier jour de la rentrée au travail. Et moi, je ne suis pas de ceux-là. Je suis de ce second voyage. Je dois amuser la galerie alors que dans ma tête, une porte crie au bonheur et en mon cœur, les larmes coulent. Au cours des six dernières années, mon amour m’accompagnait tout au long de ces croisières pas toujours faciles et en automne, comme la tombée des feuilles, elle m’a quitté comme l’arbre qui se fige en hiver. Un hiver qui n’a pas laissé longtemps place à la tristesse, puisqu’une fée a décidé de traverser ma sombre route. Elle fut celle qui a su mettre de la musique en mon cœur, a pansé mes blessures profondes à coups de baisers, de partages, de caresses et d’abandon en deux corps parfois aux cœurs meurtris et à la passion charnelle consolatrice. Ensemble, nous avons pleuré, nous avons ri, nous avons joué, travaillé et dansé sur la tombe d’un passé que nous voulions tous les deux enterrer dignement et en tout respect, afin de mieux voir le soleil se lever sur la neige de ce long hiver. 

Mais aujourd’hui, je dois quitter ma salvatrice. Non pas pour toujours, mais pour embarquer une fois de plus sur ce navire pour une septième saison. J’ai peur de revoir ces corridors où j’ai aimé et souffert, où j’ai retenu ce feu en moi, cette envie de crier mon bonheur sur toutes les rambardes du monde et où je me suis aussi noyé par la suite en des pleurs silencieux. La vie de marin me fait toucher à travers mon travail d’artiste à bord, cette sensation des départs toujours tristes, arraché des bras de ma douce et ces retours où le cœur s’emballe de bonheur, noyé dans les bras de l’autre sur ce quai qui refuse l’oubli.

Le premier départ fut triste et des larmes ont coulé. Ma fée craignait autant les corridors que moi. Nous nous sommes quittés peu rassurés et comme un cadeau de la vie, les corridors sont devenus ce qu’ils devaient être. Joyeux, pleins de roulis, de tangage et diablement ordinaires.
J’ai retrouvé ma chambre, mais cette fois-ci seul, comme tout marin solitaire, uniquement entouré sur l’oreiller de mon chien en peluche, de mon ourson aviateur et de son compagnon «Snoopy». Je me suis découvert libre, solitaire, mais heureux tout en même temps, avec cette envie incontrôlable de partager mon bonheur avec celle que j’avais laissée sur le quai. J’ai réalisé soudainement que j’étais en train de guérir. Je me suis tourné vers tous ces passagers de passages. Une société en soi. Les uns visiblement heureux, les autres cachant une peine, une douleur, une fin prochaine. Parfois bandits incognitos, saltimbanques en fuite, parfois nouveaux amoureux nageant dans le bonheur comme carpes en rivières et quelques fois infidèles en quête d’une aventure passagère. J’ai parlé avec tous ces gens, je les ai écoutés, ils m’ont écouté. Ils m’ont souvent confié leurs petits et grands bonheurs, leurs petits et grands malheurs. Nous avons partagé, nous avons lié des amitiés éphémères, toujours respectueuses, parfois teintées de rires et quelques fois, teintées de larmes furtives, bien cachées par le vent ou une mèche de cheveux. Et j’ai dormi seul avec mes rêves, avec cette image de ma fée laissée sur ce quai refusant l’oubli. Puis le jour du retour arriva. Poche de linge sale à l’épaule, elle eût l’idée de me photographier avant que je puisse l’embrasser.
Je n’ai jamais reçu un si beau cadeau puisque je me suis souvenu de mon père, le visage plein de poussière de charbon, tournant la rue Saint-André en cette ville de Nouvelle-Écosse. J’avais à peine 5 ans. Il était marin sur un bateau vapeur au charbon et il était mon héros. À bout de souffle, je courais vers lui et alors qu’il me prenait dans ses bras, j’enfouissais mon visage dans les plis de sa chemise sale et les poils en sueur de sa poitrine et puis je disais chaque fois : «Ça sent le travail». J’entends encore son rire, je sens encore la force de ses bras tenant mon petit corps et la force amoureuse de ses muscles protecteurs. En réalité, ça sentait le bonheur véritable.
L’amour ne s’embarrasse pas toujours de parfum et de chemises propres. Il est là, tout simplement et il comble tous ces vides du cœur et de l’âme. 


Puis j’ai embrassé tendrement et passionnément ma fée devenue sirène. J’ai alors réalisé que les cicatrices se refermaient sur mes plaies et une douce fraîcheur s’installait sous les moindres méandres de ma peau. J’étais redevenu heureux. 

…Fin de la première croisière


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