vendredi 16 novembre 2018

Troisième croisière

Sur la planète entre mer et ciel

Le cri d’une femme surexcitée qui lance des dés sur un jeu qui lui semble tellement passionnant me fait sursauter. La pianiste noie cette frénésie par une douce balade créée au fil des notes de son piano. Décidément, ce « lounge» me sert d’inspiration avec tout son brouhaha, ces éclats de rire et ces cris comme des mouettes devant un banc de poissons. Le rythme change et « Inch Allah» vient remplacer ce décor pour le moins tumultueux. Nous sommes sur une planète et la terre n’existe pas. Il y a des yeux fermés qui absorbent cette chanson et moi, je navigue entre vieux souvenirs d’adolescence et désert de guerre. À l’extérieur, un nuage de fumée de cigarette arrive du pont six et tourbillonne devant mon hublot. Je ne comprends pas cette obsession de tirer sur un bout de feu afin d’en tirer une fumée qui tue. Pourtant, notre vaisseau navigue dans un univers dont l’air salin et frais donne à tous un cadeau de fraîcheur et de santé. Hélas ! Telle semble être la nature humaine, avec ses beautés et aussi ses travers.

Je m’amuse à imaginer la vie secrète de chacun et chacune. Cette proximité en vase clos cache tout de même bien l’univers de ce petit monde aux prétentions toujours heureuses. Fonctionnaires blasés en vacances, couples en tentatives de réparations, âmes blessées en quête de guérison, je n’en sais trop rien, mais j’ose croire que mes Îles ont posé un baume sur certaines douleurs. Ils me l’ont parfois dit sans vraiment le dire. Un sourire, une poignée de main et un « venez que je vous embrasse » amicalement bien sûr, servent parfois de signes réparateurs. Une tape amicale et « mon Dieu que je suis content de vous avoir rencontré »,sans autre ajout, donne le ton d’une confidence presque secrète. Quand cela m’arrive, en toute honnêteté, je me demande si j’y suis pour quelque chose. 

Je pense à mes parents, à mon père qui de son univers lointain, est peut-être fier de son fils navigateur sur les mers des âmes tout autant que sur les ondes d’un fleuve. Les larmes montent parfois. Je ressens toujours ce besoin de consolation venant de ma mère et ce partage fraternel avec mon frère disparu. Ils m’habitent constamment et m’appellent parfois sans insister. Ils sont là, pour me dire qu’ils sont là, tout simplement et qu’ils voyagent avec moi. La mer, serait-elle l’autoroute du ciel que je n’en serais pas surpris. Ma mère la craignait sans vraiment la connaître. Mon père en avait fait sa maîtresse et mon frère son unique évasion. Et moi, je navigue en plein cœur de cet univers, loin de ma sirène, la tête dans les nuages, l’âme entre peine et bonheur puis le cul à dix mètres au-dessus de l’eau.

Angèle arrive avec son violon. Les cordes rient et pleurent au gré de son archet magique. Le « lounge» se vide et c’est dommage. C’est l’heure du dîner pour la plupart et pourtant, les notes de ce violon nourrissent tellement le cœur et l’âme. Le bateau passe à proximité d’une baleine. A-t-elle entendu le violon que je n’en serais pas surpris. Il y a tant d’univers autour de nous.
Une voie lactée liquide, impénétrable à nous les humains et totalement étrangère comme planète à des années-lumière de notre perception. Les baleines dansent peut-être juste à côté de nous et nous n’en savons rien. Parlent-elles entre elles ? Aiment-elles la musique d’Angèle ? Et si elles étaient à la recherche d’une autre voie lactée, toute fascinées comme nous devant une nuit sans lune et cloués à nos satellites. Leur dos rond à quelques pouces de la mort, tout comme nous à quelques kilomètres d’un vide sidéral aux approches mortelles. 

Je divague sur la vague comme dirait un ami. C’est ma drogue et je ne m’en excuse pas. Je sais qu’elle n’est pas mortelle et tellement consolatrice de ce monde fou dans lequel nous vivons. 

Cap Desrosiers brille encore sous les rayons chauds d’un soleil couchant sur un fleuve aux allures d’immensité. Un véritable cadeau des Dieux comme pour nous dire que la vie peut être belle quand on s’y arrête pour la contempler. Pour les uns, c’est une toute petite fenêtre ouverte sur le bonheur. Pour d’autres, c’est l’évasion, la fuite devant le bruit infernal, le jardin arrosant de lumières les jours d’une vie sur son crépuscule. J’observe, je regarde et je me demande où je suis dans tout ça. La réponse m’importe peu. Je me berce de ce bonheur ou seul manque la présence de ma bien-aimée. Un vieux couple d’habitués se tenant par la main passe devant mon hublot. Ils clopinent de vieillesse, mais se tiennent la main comme de jeunes amoureux. Je ne les envie pas. J’ai ma part de bonheur et je remercie ce Dieu dont personne ne sait avec certitude l’existence. Je ne prends pas de chance, je le remercie tout de même, juste au cas où. Et si ce Dieu était ce tout !
Ce ciel, ces nuages, ce fleuve, cette mer, ce paysage aux allures de jardin céleste.     

GG     

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire