vendredi 25 janvier 2019

*Ce texte, je l’ai écrit et publié dans le journal local des Îles de la Madeleine le 24 février 1993. Encore aujourd’hui, je n’arrive pas à me relire sans émotion. Comme je serai absent de ce blogue pour une période d’au moins un mois, je vous l’offre en réflexion sur ce qu’est la vie et son contraire, pour nous tous, les humains, et finalement pour tout ce qui vit autour de nous. 

FANNY
Toile réalisée par son maître



24 février 1993
Cet après-midi, je viens d'euthanasier ma petite chienne.  La décision la plus cruelle de toute ma vie. Après treize ans de vie commune, de fidélité et de caresses, j'ai dû jouer à Dieu, et décider d'un coup, de la vie, de la mort d'un être que j'aimais.  J'avais le choix entre la laisser souffrir et l'aimer, ou la tuer pour ne pas qu'elle souffre.  

Que de beaux mots nous les humains, avons inventés pour nous masquer la réalité. Les aveugles sont devenus des "non-voyants",les sourds des "malentendants".  L'interruption de grossesse a remplacé l'avortement et "euthanasier"remplace aisément le mot "tuer".  

Bien sûr, il serait irréaliste de ne pas reconnaître que de tout temps, l'homme a tué.  Tué pour manger, pour survivre, pour s'habiller.  Malheureusement aussi, pour assouvir son besoin de pouvoir, de domination et encore pire... par esprit sportif.  Mince consolation, nous ne sommes pas les seuls.  La nature tue, les animaux tuent, même certaines plantes tuent... puis la nature renaît.  Un cycle beau et infernal tout à la fois, géné­rateur de peurs, d'anxiétés et aussi... d'émerveillements.  Peut-être est-ce ainsi que le Grand Maître l'a voulu. Peut-être est-ce pour cela que des questions comme celle-ci se pose!

Avons-nous le droit de nous substituer à Dieu, combattre la fatalité, gérer la maladie?  Si les Dieux ont semblé prendre plaisir à la mort des humains, il faudrait peut-être qu'ils nous disent pourquoi.  Remarquez qu'ils n'y vont pas toujours avec des gants blancs.  Enfants malades, handicapés, jeunes qui sautent sur des mines, transpercés par des obus, martyrisés par d'autres humains, enfin de quoi nous donner la honte de s'émouvoir devant l'animal vivant que nous croyons par devoir; ou est-ce par peur de notre propre souffrance,... éliminer. 

« Eliminer » n'est peut-être pas le mot juste puisque je lui ai dit : « Tu vas partir pour un grand voyage ma belle. » Pendant un bon dix minutes, je lui ai donné mon gant, celui avec lequel elle aimait toujours jouer.  Elle s'est appuyée le menton dessus et j'ai lissé son poil, les larmes aux yeux. Je voulais lui dire qu'un jour on se retrouvera. Que je voyais un long champ de foin vert, un ciel bleu éclatant et une brise légère qui secouait les tiges et les fleurs. Puis comme un grand goéland, un petit avion blanc passe en trombe juste au-dessus du foin... puis du haut des airs, soudain son pilote les aperçoit tous.  "Popie", "Milou", "Princesse", "Killy", "Poncho" et "Fanny".  Ils jappent tous de joie à l'atterrissage… et le pilote c'est moi. À l'arrière, dans le talus, sont cachés mon gros matou noir et blanc, mon tigré des douces années de jeunesse, "Sylvestre" et puis "Oslo" (Mimine), mes quatre amis félins.  Plus indépendants que leurs congénères poilus, il se font désirer avant de m'appro­cher.  Puis il y en a d'autres qui sont venus par après, car il a aussi bien fallu vivre ma vie avant d'aller les retrouver.

Comme si elle avait entendu mes pensées, elle me regarda de ses grands yeux embrumés d'une cataracte, et soudain elle se mit à trembler.  Je continuai de la caresser d'une main sur la tête alors que son menton reposait sur mon autre main.  À ce stade-là, elle ne pouvait marcher qu'avec peine.  Je la pris dans mes bras et la déposai sur la table de chirurgie avec sa serviette et mon gant.

L'assistante du vétérinaire lui plaça un garrot autour de la patte avec le sérum et lui dit bien tendrement.  "Je vais t'envoyer là où il y a un super party de gentils petits chiens comme toi".

Mes larmes couvraient ma vue et je m'aperçus que le vétéri­naire, également, contenait avec peine, son émotion.  Comme je semblais les gêner, je me retirai en leur disant : Bon, je vais vous laisser faire votre "job". Pendant deux minutes, je suis sorti pleurer à chaudes larmes dehors, puis je suis revenu dans la salle.  Elle était là, couchée sur sa serviette.  Sa respira­tion avait cessé, son pouls n'existait plus, ses pulsations cardiaques étaient infimes.  Pendant encore quinze bonnes minutes je restai là, à pleurer, à la caresser et me remémorer les sou­venirs qui me restaient d'elle.  Le vétérinaire était à côté de moi et m'écoutait.  Il dit : «Vous savez Monsieur, vous avez pris la bonne décision.  Quand j'aurai 95 ans et que je ne pourrai plus supporter ma douleur, j'aimerais bien avoir le choix de mourir comme ça.»

Elle s'était endormie comme un petit bébé.  Il ausculta encore son coeur, leva la tête et me dit : « C'est fini ».  Je lui retirai son collier, l'enveloppai dans sa serviette et je la pris dans mes bras pour la redéposer dans sa cage.  J'insistai pour qu'elle soit déposée dans la fosse commune, ainsi enroulée dans sa serviette.  Puis je sortis pleurer encore une fois.

Roulant en voiture, je dû arrêter car les larmes me couvraient la vue. C'est là que j'interpellai mon oncle préféré, déjà parti de l’autre côté du miroir de la vie.

Je lui dis : "Je te la donne jusqu'à ce que j’arrive de l'autre bord auprès de toi.  Puis là on s'arran­gera bien.  Prends-en soin.  Comme nous tous, tu avais des défauts quand tu étais sur terre, mais j’ai toujours connu et apprécié ton grand coeur.  Alors garde là auprès de toi jusqu'à ce que j’arrive".

Puis m'est venu l'idée que c'est peut-être cela la résur­rection.  Ceux qui sont de l'autre côté ont la possibilité de recréer tous les êtres vivants qu'ils ont aimés. C'est pourquoi Jésus disait que la clef du paradis, c'était l'amour.

Serons-nous alors tous créés un jour par ceux qui nous auront aimé, et à notre tour, nous ferons de même ?

Ceci expliquerait alors la grande détresse des gens sans amour. La lumière au bout du tunnel, ce serait l'amour ?  Elle engendrerait la pensée créatrice qui à son tour se matérialiserait en une multitude d'êtres et de choses vivantes autour de nous ?

Cependant, aujourd'hui, j'ai éteint la lumière.  Les années et les choses de la vie, dans leur grand mystère, m'enseigneront peut-être comment la rallumer un jour.

Adieu Fanny, et si le paradis existe, il existe aussi pour tous, y compris les petits chiens.

Georges Gaudet



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